Entretien avec Ardiouma Soma, DG du FESPACO
" L'État du Burkina-Faso assure 70% du budget du FESPACO ".
L'organisation d'un festival de la taille du FESPACO exige la prise en compte d'un certain nombre de paramètres, surtout dans un contexte mondial de crise où les budgets nationaux de plusieurs pays connaissent des cures d'amaigrissement. Aussi est-il important de chercher à diversifier les sources de financement y compris à travers un intéressement du secteur privé à la chose culturelle, particulièrement cinématographique. Les organismes, qu'ils soient publics ou privés, fixant leurs budgets au mois de décembre, le Fespaco doit généralement attendre parfois jusqu'à la fin janvier pour avoir une idée précise de son budget. Le Burkina Faso prend en charge 70% des frais, sur la base du budget prévisionnel.
La collaboration avec les JCC (Tunisie) est très importante : cette année, le Délégué Général du Fespaco, M. Ardiouma Soma, était aussi présent avec l'un de ses collègues en charge de la sélection et de la programmation. Entretien exclusif.
Pourriez-vous, monsieur le Délégué Général, vous présentez à nos lecteurs, s'il vous plait ?
Ardiouma SOMA : Je suis le Délégué Général du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco). J'ai été nommé à ce poste en décembre 2014. Pour ce qui est de ma carrière, je l'ai vécue en grande partie au sein de cette institution.
Depuis 1988, je m'occupe de la section artistique : la sélection et la programmation des films. J'ai été aussi directeur de la Cinémathèque Africaine de Ouagadougou. Entre-temps, j'ai été appelé au ministère de la culture et du tourisme en 2012 ou j'ai occupé le poste de directeur du cinéma et de l'audiovisuel jusqu'en décembre 2014.
Et, pendant que j'occupais ce poste, j'ai été en même temps Directeur artistique du FESPACO. Poste que je n'ai pas quitté jusqu'à ma nomination à la tête du FESPACO comme Délégué Général
Avez-vous suivi une formation cinématographique dans votre parcours professionnel ?
Avec la disparition des frontières entre les métiers de la communication du cinéma et de l'audiovisuel, on a du mal à dire ce que l'on est exactement. À la base, j'ai fait des études en Sciences et techniques et de l'audiovisuel à l'Institut Africain du cinéma de Ouagadougou [Inafec, Ndlr]. Par la suite, j'ai eu la chance d'aller à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne où j'ai fait des études théoriques de cinéma.
En gros, je me définis, par ma formation, comme communicateur audiovisuel. Comme je l'ai dit tantôt, j'ai fait toute ma carrière professionnelle dans le cinéma et plus précisément dans la promotion du cinéma dont l'organisation du festival (FESPACO), de l'administration du cinéma à la tête de la direction du cinéma et de l'audiovisuel.
Avant d'en venir plus au FESPACO, pourrions-nous connaître le regard que vous posez généralement sur cinéma africain ?
Pour quelqu'un qui travaille dans ce domaine depuis plusieurs années, je peux dire que le cinéma et l'audiovisuel africains ont un bel avenir. Parce qu'aujourd'hui, nous sommes d'accord que l'Afrique a beaucoup de choses à raconter. On se rend compte de l'engouement du monde entier autour de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel africains. Il y a aujourd'hui une forte demande de contenus de la part des Africains qui ont envie de voir eux-mêmes leurs propres images, qui ont envie qu'on leur parle des choses qui sont à coté d'eux mêmes et qu'ils vivent tous les jours. Donc, il y a un besoin du public de voir des produits audiovisuels africains. On se rend compte que sur le plan mondial, on a besoin aussi du produit audiovisuel africain.
Si on jette un regard sur les médias internationaux, on constate qu'il y a de plus en plus des contenus africains et de plus en plus diversifiés. Des contenus de plus en plus différents de ce qu'on a l'habitude de voir. Le plus souvent c'était des catastrophes qu'on nous montrait. Mais aujourd'hui on a de plus en plus de chaines étrangères qui diffusent des contenus avec des aspects positifs de la réalité africaine. Ses produits cinématographiques et audiovisuels se présentent comme une alternative. De ce point de vue, il est important, effectivement, que le continent continue à jouer un rôle ; un défi qui s'impose à nous tous en termes de production, de distribution et d'exploitation parce que la demande s'est exprimée.
Cela ne demande-t-il pas que les professionnels s'impliquent davantage ?
Il faut une nouvelle prise de conscience de la part des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, une prise de conscience pour un changement de mentalité. Nous sommes des créateurs, nous avons des choses à raconter. Il faudra de plus en plus que nous intégrions la dimension économique de nos pays et savoir que nous sommes des acteurs du développement économique. Donc, de ce point de vue, il faudra que nous changions notre façon de travailler et que les occasions de rencontres que nous avons comme les Journées Cinématograhiques de Carthage (JCC) ou le Fespaco, soient saisies pour exposer les vrais problèmes, pour poser un vrai débat. Voir quels sont les canaux à utiliser pour faire passer le message à toutes les parties prenantes ; parce qu'il y a le rôle des politiques consistant à créer un environnement favorable à l'industrie du cinéma, de l'audiovisuel ; et un environnement favorable, c'est de pouvoir mettre en place les textes législatifs, réglementaires qui permettent d'avoir un environnement juridique adéquat en place. Et pour cela, on a besoin de l'appui des gouvernants et des politiques pour collecter l'argent nécessaire à injecter dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle.
Cet argent nécessaire, on peut le trouver en Afrique. Parce qu'aujourd'hui, les Africains sont des consommateurs de produits audiovisuels de leur continent à travers les chaines qui arrosent l'Afrique. Des chaines qui ont compris que les Africains ont besoin, aujourd'hui, de voir leurs propres images. En intégrant cette démarche, on se rend compte que ces chaines satellitaires se servent du circuit audiovisuel. Seulement la question est : à quel prix elles achètent nos produits ? Est-ce qu'il n'y a pas des mécanismes à trouver parce que les Africains payent pour suivre ces chaines ? Il y a de l'argent qui est investi mais qui est récupéré à travers d'autres procédés. Il y a donc une réflexion à mener à ce niveau. Quand vous prenez le domaine de la téléphonie mobile, quand vous appelez en Guinée, en Côte d'Ivoire ou au Zimbabwe, vous avez comme fond sonore la musique du terroir. Nos musiques sont largement exploitées aujourd'hui et diffusées. Est ce qu'il y a moyen aujourd'hui d'en récupérer une rémunération qui permette aux créateurs de vivre de leur art ? Une partie de cet argent pourrait être utilisée pour développer le monde de la culture en général, celui de l'audiovisuel et du cinéma, en particulier afin qu'il puisse trouver sa part dans ce mécanisme.
Voici donc un certain nombre de choses qu'il faudrait mettre en place. Et puis il y a les infrastructures qui coutent très cher chez nous. C'est difficile pour un opérateur économique du cinéma et de l'audiovisuel de mobiliser des milliards de FCFA pour créer des infrastructures de production, de distribution comme les salles de cinémas, des plateformes et autres. Il y a un rôle clé que les politiques peuvent jouer en investissant dans la culture. Si nous avons les lois, les règlements, les mécanismes, les infrastructures, je crois que ça serait intéressant pour nous. Il faudra maintenant, après tout cela, s'organiser en commençant par une prise de conscience.
Aujourd'hui, quand on prend les cinéastes africains, on se rend compte qu'à 90%, ils sont à la fois leur propre réalisateur, scénariste et producteur. Il faut que l'on arrive à diversifier les rôles, et que certains soient de la production et d'autres de la distribution ; en gros, il faut une déconcentration. C'est pourquoi, je pense que qu'il est nécessaire qu'on se retrouve et qu'on se mette ensemble sur des axes d'intérêts communs liés à notre profession, et que chacun mette de coté son égo pour discuter et travailler sur des centres d'intérêts communs et que l'on puisse porter ce message à l'ensemble de nos gouvernements respectifs.
Il est bien de développer des ensembles sous-régionaux. Mais, il faut commencer par une organisation professionnelle dans chaque pays. Et quand il y aura une union forte dans chaque pays, les fédérations que nous mettrons en place seront aussi fortes.
Vous êtes un témoin oculaire de l'évolution du FESPACO depuis des décennies. Alors, financièrement, comment le FESPACO parvient-il à relever le défi de l'organisation ?
Le FESPACO se tient depuis 1969. Nous allons bientôt fêter ses 50 ans d'existence. La pérennité du FESPACO est due à la volonté du gouvernement burkinabé, mais aussi grâce à un appui permanant des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel africains. Auparavant, il y a eu les JCC qui ont commencé en 1966 ; la FEPACI est arrivée après autour des années 1970. Les cinéastes africains, à travers de la FEPACI, ont toujours été aux cotés de ces deux festivals (JCC, FESPACO), mettant à disposition leurs films. Mais, aussi en faisant tout le lobbying pour que ces rencontres obtiennent des financements et l'appui nécessaire des différents États des pays dans lesquels elles se tiennent, qu'elles puissent aussi obtenir des différents appuis de nos partenaires. Pour ce qui est du cas de FESPACO, le Burkina-Faso, tous gouvernements confondus depuis des décennies, a pris l'engagement de respecter cette volonté annoncée depuis 1972 d'institutionnaliser le FESPACO ; et Dieu merci, jusqu'aujourd'hui cet engagement est tenu !
Le principal bailleur du FESPACO est donc l'État du Burkina-Faso qui assure plus de 70% du budget. Le reste est financé par les partenaires au développement dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale. A partir du moment où le Burkina-Faso a présenté le projet - le FESPACO -comme un projet d'intérêt national et panafricain, cela a permis à ce festival de se tenir de façon régulière, près de 50 ans.
La gestion des ressources humaines est la plus difficile en matière d'organisation. Comment vous y prenez-vous ?
Le FESPACO se tient dans un environnement particulier qui est celui de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel africains. Si l'on considère l'évolution technique et technologique d'aujourd'hui, l'on voit que le cinéma mondial est dans l'air du numérique. Donc au FESPACO, en décidant de faire toutes les projections en DCP, il y aura une bonne partie des jeunes cinéastes africains qui sera éliminée. Le FESPACO a franchi aujourd'hui le pas de la numérisation. Nous exigeons que tous les films qui seront sélectionnés pour la compétition officielle du grand prix nous soient présentés en des copies en VCC ou DCP. Mais, il y a d'autres sections qui ont été développées afin de permettre une large participation africaine, surtout des jeunes et nous acceptons d'autres formats comme les DVD, pour garantir la participation de l'ensemble des cinéastes africains, parce que nous avons une cinématographie africaine dans laquelle le niveau des évolutions techniques et technologiques n'est pas pareil à tous les pays africains. Certains sont en avance sur d'autres. C'est cela aussi la réalité de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel en Afrique qui est en création et en évolution. Nous travaillons aussi selon les niveaux des financements à travers nos différents pays. Si l'on regarde la part réservée à la culture et notamment le cinéma, on voit que ce n'est pas si élevé que ça.
C'est déjà une prouesse de voir le festival se tenir de façon régulière pour donner l'occasion à des cinéastes de se retrouver, de montrer qu'ils existent, qu'ils prennent la parole au nom de l'importance de cette industrie. À ce titre, quand nous nous regardons sur le rétroviseur, il y a 30 ans, le cinéma africain n'était pas à ce niveau. Aujourd'hui, dans la plupart de nos pays, il y a des centaines, voir des milliers - anciens comme jeunes - qui travaillent dans le domaine de l'audiovisuel et du cinéma. Il y a de plus en plus de créations d'entreprises dans ce domaine ; donc on peut, à partir de ce moment, dire qu'il y a un important travail accompli par nos pionniers. Nous, en ce qui nous concerne, nous sommes arrivés après, avec les jeunes qui, eux, se sont sentis un peu perdus. Il faut consolider ces acquis et faire tenir des manifestations de ce genre de façon régulière qui sont des occasions de faire le point et de voir comment faire pour continuer.
Pouvez nous faire le point sur les préparatifs de l'édition à venir (FESPACO 2017), y compris au plan sécuritaire ?
Cette 25ème édition du FESPACO aura lieu du 25 février au 04 mars 2017 sur le thème " Formation et métiers du cinéma et de l'audiovisuel " et comme pays invité, la Côte-d'Ivoire. On a choisi ce thème parce qu'il y a quelques années, exactement en 2005, on avait fait de la formation un point important des enjeux de la professionnalisation. Souvent d'autres disent qu'il y a beaucoup de festivals, beaucoup de colloques et des résolutions. De 2005 à nos jours, il y a beaucoup d'écoles de formation qui sont créées sur le continent et beaucoup de centres où l'on organise des ateliers.
En 2017, on invite les professionnels, les partenaires et les politiques à s'asseoir ensemble pour faire un état des lieux afin de voir où nous en sommes avec la formation, dans un environnement en constante évolution. Voir si les nouveaux métiers qui apparaissent dans ces domaines sont pris en compte. Il faut donc que les professionnels prennent conscience qu'il faut s'inscrire dans la dynamique de la formation pour faire des réajustements, pour voir comment on peut améliorer le renforcement des capacités des professionnels pour mieux nous insérer à ce nouvel environnement qui est en train d'être créé ou chacun, aujourd'hui, peut prendre sa part pour participer à la communication mondiale, au dialogue.
S'agissant des préparatifs du festival, le gros problème comme tous les autres, c'est le financement. Celui du FESPACO est supporté par le gouvernement du Burkina-Faso dans le budget national. Mais, aujourd'hui, on sait que c'est difficile pour tous les pays sur le plan budgétaire ; il faut donc trouver de nouveaux financements. Nous sommes en train de travailler pour intéresser le secteur privé aux financements du festival en lui démontrant qu'il peut allier son image à celle du festival parce que celui-ci est un espace de communication à prendre. Là aussi il y a un travail à faire au niveau des professionnels de la culture de façon générale ; poser de véritables problèmes au niveau de nos décideurs pour qu'enfin ils prennent des lois pour favoriser l'intervention du privé dans les financements des activités culturelles.
Du point de vue sécuritaire, je répondrai comme mon ministre de la culture qui, interpellé sur les dispositions sécuritaires à prendre, répondit que personne ne dévoile sa stratégie sinon on te prend à contrepied et tu es mort. Mais aujourd'hui, il faut faire avec l'environnement sécuritaire qui n'est pas seulement au Burkina-Faso mais aussi dans les autres pays. Partout se pose le problème sécuritaire. Et ce n'est pas à cause de ces problèmes qu'on va arrêter de vivre ; il faut faire avec. L'État burkinabé est conscient de fait que le festival réunira des milliers de personnes, il est en train certainement de mettre sur pied une stratégie spécifique pour le FESPACO, dans la stratégie globale mis en place dans cette situation d'insécurité.
Existe-t-il un partenariat mutuel entre les JCC et le FESPACO ?
Le FESPACO est en partenariat avec beaucoup de festivals, et les relations d'échanges et de partenariat existant entre le FESPACO et les JCC, ont été accompagnées depuis leur début par des professionnels à travers la Fédération Panafricaine des cinéastes (FEPACI). Bien sûr qu'il y a des échanges entre nous : une partie de la sélection des JCC sera au FESPACO. Il y a aussi un partenariat au niveau des ressources humaines. En 2015, j'étais à Carthage avec deux jeunes burkinabés qui ont été mis en situation pour voir comment le travail se fait au niveau des JCC, et vice versa. Nous faisons ces échanges parce que nous n'avons pas assez de moyens pour investir dans des projets ensemble, à partir des budgets que nous avons. Dans le cadre de l'organisation de nos différentes éditions, nous essayons donc de faire des échanges au niveau des ressources humaines.
Quelle appréciation faites-vous des JCC ?
Assister à un festival du cinéma, c'est toujours un plaisir parce que c'est un espace de rencontre entre professionnels du cinéma et les partenaires qui s'intéressent à notre métier et qui nous accompagnent au quotidien. C'est aussi une occasion de rencontre avec le public, parce que quand vous allez au cinéma et que vous voyez que la salle est pleine, ça fait chaud au cœur. Quelque part, on se dit que dans notre métier nous sommes entendus. C'est aussi un espace où l'on fait des découvertes de films venant des quatre coins de l'Afrique et du monde. Un billet d'avion pour un pays, c'est en même temps un avantage pour s'offrir des vacances d'une semaine dans un pays du monde, mais aussi un plaisir de rencontrer les cinéastes de différentes générations : les doyens, les moyens vieux, ceux très jeunes ; c'est une rencontre humaine, un espace de dialogue culturel, et je pense que c'est formidable.
Entretien réalisé par
Fatoumata SAGNANE & Bassirou NIANG
Image : Ardiouma SOMA, Délégué Général du Fespaco
Crédit : Fespaco
La collaboration avec les JCC (Tunisie) est très importante : cette année, le Délégué Général du Fespaco, M. Ardiouma Soma, était aussi présent avec l'un de ses collègues en charge de la sélection et de la programmation. Entretien exclusif.
Pourriez-vous, monsieur le Délégué Général, vous présentez à nos lecteurs, s'il vous plait ?
Ardiouma SOMA : Je suis le Délégué Général du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco). J'ai été nommé à ce poste en décembre 2014. Pour ce qui est de ma carrière, je l'ai vécue en grande partie au sein de cette institution.
Depuis 1988, je m'occupe de la section artistique : la sélection et la programmation des films. J'ai été aussi directeur de la Cinémathèque Africaine de Ouagadougou. Entre-temps, j'ai été appelé au ministère de la culture et du tourisme en 2012 ou j'ai occupé le poste de directeur du cinéma et de l'audiovisuel jusqu'en décembre 2014.
Et, pendant que j'occupais ce poste, j'ai été en même temps Directeur artistique du FESPACO. Poste que je n'ai pas quitté jusqu'à ma nomination à la tête du FESPACO comme Délégué Général
Avez-vous suivi une formation cinématographique dans votre parcours professionnel ?
Avec la disparition des frontières entre les métiers de la communication du cinéma et de l'audiovisuel, on a du mal à dire ce que l'on est exactement. À la base, j'ai fait des études en Sciences et techniques et de l'audiovisuel à l'Institut Africain du cinéma de Ouagadougou [Inafec, Ndlr]. Par la suite, j'ai eu la chance d'aller à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne où j'ai fait des études théoriques de cinéma.
En gros, je me définis, par ma formation, comme communicateur audiovisuel. Comme je l'ai dit tantôt, j'ai fait toute ma carrière professionnelle dans le cinéma et plus précisément dans la promotion du cinéma dont l'organisation du festival (FESPACO), de l'administration du cinéma à la tête de la direction du cinéma et de l'audiovisuel.
Avant d'en venir plus au FESPACO, pourrions-nous connaître le regard que vous posez généralement sur cinéma africain ?
Pour quelqu'un qui travaille dans ce domaine depuis plusieurs années, je peux dire que le cinéma et l'audiovisuel africains ont un bel avenir. Parce qu'aujourd'hui, nous sommes d'accord que l'Afrique a beaucoup de choses à raconter. On se rend compte de l'engouement du monde entier autour de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel africains. Il y a aujourd'hui une forte demande de contenus de la part des Africains qui ont envie de voir eux-mêmes leurs propres images, qui ont envie qu'on leur parle des choses qui sont à coté d'eux mêmes et qu'ils vivent tous les jours. Donc, il y a un besoin du public de voir des produits audiovisuels africains. On se rend compte que sur le plan mondial, on a besoin aussi du produit audiovisuel africain.
Si on jette un regard sur les médias internationaux, on constate qu'il y a de plus en plus des contenus africains et de plus en plus diversifiés. Des contenus de plus en plus différents de ce qu'on a l'habitude de voir. Le plus souvent c'était des catastrophes qu'on nous montrait. Mais aujourd'hui on a de plus en plus de chaines étrangères qui diffusent des contenus avec des aspects positifs de la réalité africaine. Ses produits cinématographiques et audiovisuels se présentent comme une alternative. De ce point de vue, il est important, effectivement, que le continent continue à jouer un rôle ; un défi qui s'impose à nous tous en termes de production, de distribution et d'exploitation parce que la demande s'est exprimée.
Cela ne demande-t-il pas que les professionnels s'impliquent davantage ?
Il faut une nouvelle prise de conscience de la part des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, une prise de conscience pour un changement de mentalité. Nous sommes des créateurs, nous avons des choses à raconter. Il faudra de plus en plus que nous intégrions la dimension économique de nos pays et savoir que nous sommes des acteurs du développement économique. Donc, de ce point de vue, il faudra que nous changions notre façon de travailler et que les occasions de rencontres que nous avons comme les Journées Cinématograhiques de Carthage (JCC) ou le Fespaco, soient saisies pour exposer les vrais problèmes, pour poser un vrai débat. Voir quels sont les canaux à utiliser pour faire passer le message à toutes les parties prenantes ; parce qu'il y a le rôle des politiques consistant à créer un environnement favorable à l'industrie du cinéma, de l'audiovisuel ; et un environnement favorable, c'est de pouvoir mettre en place les textes législatifs, réglementaires qui permettent d'avoir un environnement juridique adéquat en place. Et pour cela, on a besoin de l'appui des gouvernants et des politiques pour collecter l'argent nécessaire à injecter dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle.
Cet argent nécessaire, on peut le trouver en Afrique. Parce qu'aujourd'hui, les Africains sont des consommateurs de produits audiovisuels de leur continent à travers les chaines qui arrosent l'Afrique. Des chaines qui ont compris que les Africains ont besoin, aujourd'hui, de voir leurs propres images. En intégrant cette démarche, on se rend compte que ces chaines satellitaires se servent du circuit audiovisuel. Seulement la question est : à quel prix elles achètent nos produits ? Est-ce qu'il n'y a pas des mécanismes à trouver parce que les Africains payent pour suivre ces chaines ? Il y a de l'argent qui est investi mais qui est récupéré à travers d'autres procédés. Il y a donc une réflexion à mener à ce niveau. Quand vous prenez le domaine de la téléphonie mobile, quand vous appelez en Guinée, en Côte d'Ivoire ou au Zimbabwe, vous avez comme fond sonore la musique du terroir. Nos musiques sont largement exploitées aujourd'hui et diffusées. Est ce qu'il y a moyen aujourd'hui d'en récupérer une rémunération qui permette aux créateurs de vivre de leur art ? Une partie de cet argent pourrait être utilisée pour développer le monde de la culture en général, celui de l'audiovisuel et du cinéma, en particulier afin qu'il puisse trouver sa part dans ce mécanisme.
Voici donc un certain nombre de choses qu'il faudrait mettre en place. Et puis il y a les infrastructures qui coutent très cher chez nous. C'est difficile pour un opérateur économique du cinéma et de l'audiovisuel de mobiliser des milliards de FCFA pour créer des infrastructures de production, de distribution comme les salles de cinémas, des plateformes et autres. Il y a un rôle clé que les politiques peuvent jouer en investissant dans la culture. Si nous avons les lois, les règlements, les mécanismes, les infrastructures, je crois que ça serait intéressant pour nous. Il faudra maintenant, après tout cela, s'organiser en commençant par une prise de conscience.
Aujourd'hui, quand on prend les cinéastes africains, on se rend compte qu'à 90%, ils sont à la fois leur propre réalisateur, scénariste et producteur. Il faut que l'on arrive à diversifier les rôles, et que certains soient de la production et d'autres de la distribution ; en gros, il faut une déconcentration. C'est pourquoi, je pense que qu'il est nécessaire qu'on se retrouve et qu'on se mette ensemble sur des axes d'intérêts communs liés à notre profession, et que chacun mette de coté son égo pour discuter et travailler sur des centres d'intérêts communs et que l'on puisse porter ce message à l'ensemble de nos gouvernements respectifs.
Il est bien de développer des ensembles sous-régionaux. Mais, il faut commencer par une organisation professionnelle dans chaque pays. Et quand il y aura une union forte dans chaque pays, les fédérations que nous mettrons en place seront aussi fortes.
Vous êtes un témoin oculaire de l'évolution du FESPACO depuis des décennies. Alors, financièrement, comment le FESPACO parvient-il à relever le défi de l'organisation ?
Le FESPACO se tient depuis 1969. Nous allons bientôt fêter ses 50 ans d'existence. La pérennité du FESPACO est due à la volonté du gouvernement burkinabé, mais aussi grâce à un appui permanant des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel africains. Auparavant, il y a eu les JCC qui ont commencé en 1966 ; la FEPACI est arrivée après autour des années 1970. Les cinéastes africains, à travers de la FEPACI, ont toujours été aux cotés de ces deux festivals (JCC, FESPACO), mettant à disposition leurs films. Mais, aussi en faisant tout le lobbying pour que ces rencontres obtiennent des financements et l'appui nécessaire des différents États des pays dans lesquels elles se tiennent, qu'elles puissent aussi obtenir des différents appuis de nos partenaires. Pour ce qui est du cas de FESPACO, le Burkina-Faso, tous gouvernements confondus depuis des décennies, a pris l'engagement de respecter cette volonté annoncée depuis 1972 d'institutionnaliser le FESPACO ; et Dieu merci, jusqu'aujourd'hui cet engagement est tenu !
Le principal bailleur du FESPACO est donc l'État du Burkina-Faso qui assure plus de 70% du budget. Le reste est financé par les partenaires au développement dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale. A partir du moment où le Burkina-Faso a présenté le projet - le FESPACO -comme un projet d'intérêt national et panafricain, cela a permis à ce festival de se tenir de façon régulière, près de 50 ans.
La gestion des ressources humaines est la plus difficile en matière d'organisation. Comment vous y prenez-vous ?
Le FESPACO se tient dans un environnement particulier qui est celui de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel africains. Si l'on considère l'évolution technique et technologique d'aujourd'hui, l'on voit que le cinéma mondial est dans l'air du numérique. Donc au FESPACO, en décidant de faire toutes les projections en DCP, il y aura une bonne partie des jeunes cinéastes africains qui sera éliminée. Le FESPACO a franchi aujourd'hui le pas de la numérisation. Nous exigeons que tous les films qui seront sélectionnés pour la compétition officielle du grand prix nous soient présentés en des copies en VCC ou DCP. Mais, il y a d'autres sections qui ont été développées afin de permettre une large participation africaine, surtout des jeunes et nous acceptons d'autres formats comme les DVD, pour garantir la participation de l'ensemble des cinéastes africains, parce que nous avons une cinématographie africaine dans laquelle le niveau des évolutions techniques et technologiques n'est pas pareil à tous les pays africains. Certains sont en avance sur d'autres. C'est cela aussi la réalité de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel en Afrique qui est en création et en évolution. Nous travaillons aussi selon les niveaux des financements à travers nos différents pays. Si l'on regarde la part réservée à la culture et notamment le cinéma, on voit que ce n'est pas si élevé que ça.
C'est déjà une prouesse de voir le festival se tenir de façon régulière pour donner l'occasion à des cinéastes de se retrouver, de montrer qu'ils existent, qu'ils prennent la parole au nom de l'importance de cette industrie. À ce titre, quand nous nous regardons sur le rétroviseur, il y a 30 ans, le cinéma africain n'était pas à ce niveau. Aujourd'hui, dans la plupart de nos pays, il y a des centaines, voir des milliers - anciens comme jeunes - qui travaillent dans le domaine de l'audiovisuel et du cinéma. Il y a de plus en plus de créations d'entreprises dans ce domaine ; donc on peut, à partir de ce moment, dire qu'il y a un important travail accompli par nos pionniers. Nous, en ce qui nous concerne, nous sommes arrivés après, avec les jeunes qui, eux, se sont sentis un peu perdus. Il faut consolider ces acquis et faire tenir des manifestations de ce genre de façon régulière qui sont des occasions de faire le point et de voir comment faire pour continuer.
Pouvez nous faire le point sur les préparatifs de l'édition à venir (FESPACO 2017), y compris au plan sécuritaire ?
Cette 25ème édition du FESPACO aura lieu du 25 février au 04 mars 2017 sur le thème " Formation et métiers du cinéma et de l'audiovisuel " et comme pays invité, la Côte-d'Ivoire. On a choisi ce thème parce qu'il y a quelques années, exactement en 2005, on avait fait de la formation un point important des enjeux de la professionnalisation. Souvent d'autres disent qu'il y a beaucoup de festivals, beaucoup de colloques et des résolutions. De 2005 à nos jours, il y a beaucoup d'écoles de formation qui sont créées sur le continent et beaucoup de centres où l'on organise des ateliers.
En 2017, on invite les professionnels, les partenaires et les politiques à s'asseoir ensemble pour faire un état des lieux afin de voir où nous en sommes avec la formation, dans un environnement en constante évolution. Voir si les nouveaux métiers qui apparaissent dans ces domaines sont pris en compte. Il faut donc que les professionnels prennent conscience qu'il faut s'inscrire dans la dynamique de la formation pour faire des réajustements, pour voir comment on peut améliorer le renforcement des capacités des professionnels pour mieux nous insérer à ce nouvel environnement qui est en train d'être créé ou chacun, aujourd'hui, peut prendre sa part pour participer à la communication mondiale, au dialogue.
S'agissant des préparatifs du festival, le gros problème comme tous les autres, c'est le financement. Celui du FESPACO est supporté par le gouvernement du Burkina-Faso dans le budget national. Mais, aujourd'hui, on sait que c'est difficile pour tous les pays sur le plan budgétaire ; il faut donc trouver de nouveaux financements. Nous sommes en train de travailler pour intéresser le secteur privé aux financements du festival en lui démontrant qu'il peut allier son image à celle du festival parce que celui-ci est un espace de communication à prendre. Là aussi il y a un travail à faire au niveau des professionnels de la culture de façon générale ; poser de véritables problèmes au niveau de nos décideurs pour qu'enfin ils prennent des lois pour favoriser l'intervention du privé dans les financements des activités culturelles.
Du point de vue sécuritaire, je répondrai comme mon ministre de la culture qui, interpellé sur les dispositions sécuritaires à prendre, répondit que personne ne dévoile sa stratégie sinon on te prend à contrepied et tu es mort. Mais aujourd'hui, il faut faire avec l'environnement sécuritaire qui n'est pas seulement au Burkina-Faso mais aussi dans les autres pays. Partout se pose le problème sécuritaire. Et ce n'est pas à cause de ces problèmes qu'on va arrêter de vivre ; il faut faire avec. L'État burkinabé est conscient de fait que le festival réunira des milliers de personnes, il est en train certainement de mettre sur pied une stratégie spécifique pour le FESPACO, dans la stratégie globale mis en place dans cette situation d'insécurité.
Existe-t-il un partenariat mutuel entre les JCC et le FESPACO ?
Le FESPACO est en partenariat avec beaucoup de festivals, et les relations d'échanges et de partenariat existant entre le FESPACO et les JCC, ont été accompagnées depuis leur début par des professionnels à travers la Fédération Panafricaine des cinéastes (FEPACI). Bien sûr qu'il y a des échanges entre nous : une partie de la sélection des JCC sera au FESPACO. Il y a aussi un partenariat au niveau des ressources humaines. En 2015, j'étais à Carthage avec deux jeunes burkinabés qui ont été mis en situation pour voir comment le travail se fait au niveau des JCC, et vice versa. Nous faisons ces échanges parce que nous n'avons pas assez de moyens pour investir dans des projets ensemble, à partir des budgets que nous avons. Dans le cadre de l'organisation de nos différentes éditions, nous essayons donc de faire des échanges au niveau des ressources humaines.
Quelle appréciation faites-vous des JCC ?
Assister à un festival du cinéma, c'est toujours un plaisir parce que c'est un espace de rencontre entre professionnels du cinéma et les partenaires qui s'intéressent à notre métier et qui nous accompagnent au quotidien. C'est aussi une occasion de rencontre avec le public, parce que quand vous allez au cinéma et que vous voyez que la salle est pleine, ça fait chaud au cœur. Quelque part, on se dit que dans notre métier nous sommes entendus. C'est aussi un espace où l'on fait des découvertes de films venant des quatre coins de l'Afrique et du monde. Un billet d'avion pour un pays, c'est en même temps un avantage pour s'offrir des vacances d'une semaine dans un pays du monde, mais aussi un plaisir de rencontrer les cinéastes de différentes générations : les doyens, les moyens vieux, ceux très jeunes ; c'est une rencontre humaine, un espace de dialogue culturel, et je pense que c'est formidable.
Entretien réalisé par
Fatoumata SAGNANE & Bassirou NIANG
Image : Ardiouma SOMA, Délégué Général du Fespaco
Crédit : Fespaco