Entre le Canada et la République Démocratique du Congo : Rebelle
Rebelle est le premier film canadien à permettre à une actrice congolaise - et mineure de surcroît - de remporter un Ours d'argent d'interprétation à Berlin. Long-métrage de fiction sur les enfants soldats, l'amour et la violence, ce film s'est tourné en Afrique et multiplie les succès.
Ils nous accueillent dans les locaux parisiens de leur attaché de presse français, Guerrar & Co. Le réalisateur Kim Nguyen, bien mis et souriant, veille sur Rachel Mwanza, jeune actrice de 15 ans primée à Berlin (Ours d'argent de la meilleure actrice) et Tribeca (New York) pour son interprétation dans Rebelle (War Witch). Enrhumée et peu habituée aux interviews, Rachel vogue entre la boîte de mouchoirs, la machine à café et l'assiette de biscuits, répondant dans un français approximatif - elle vient de reprendre l'école - à nos questions.
Comme beaucoup de films étrangers basés en Afrique, Rebelle est un film canadien tourné en République Démocratique du Congo. Pourquoi ce pays ?
Kim Nguyen : Nous avons visité plusieurs pays dont le Cameroun et le Kenya mais le Congo était unique dans sa post-modernité. Il a un caractère propre de réappropriation du symbole de la modernité dans une fonction de survie qui crée, dans la vie de tous les jours, des œuvres d'art contemporaines incroyables comme des maisons sur pilotis dont les murs sont construits avec des panneaux de publicité. C'est troublant. Le Congo nous force à voir l'ironie de nos urgences de tous les jours. Si nous avions eu à choisir la qualité des infrastructures, il aurait malheureusement été l'un des derniers pays choisis. C'était la richesse du tournage : les difficultés faisaient partie du décor.
Rachel Mwanza : Le Congo est un pays magnifique avec beaucoup de choses de valeur [matières premières, NDLR] Mais nous les Congolais ne savons pas comment utiliser ça, alors on vole, on se bagarre, on fait la guerre. À l'Est, il y a de l'or, de la richesse, mais on vole toujours les Congolais. Ce n'est pas moi qui vais changer les choses. Mais si je pouvais, j'aiderai les enfants de la rue. Il y a des gens qui disent aider les centres [pour enfants de la rue, NDLR] mais ils ne font rien, les enfants ne mangent pas bien et c'est dommage. Dans mon centre, on était des centaines et on dormait sur des pagnes à même le sol. On ne s'occupait pas vraiment bien de nous, il n'y avait pas d'eau et on sortait dans la rue. C'est comme ça qu'on m'a trouvé pour le film (sourire).
Entièrement produit par le Canada (société ITEM 7) avec un apport financier du distributeur français (Happiness Distribution), Rebelle n'a pas fait de coproduction avec une société congolaise. Pourquoi ?
Kim Nguyen : Nous avons testé le processus. Souvent, lorsqu'on travaille en coproduction (et je ne parle pas uniquement de l'Afrique), les maisons de production prennent une commission dont il est difficile de connaître le montant. J'ai eu une expérience en Tunisie où nous n'arrivions pas à savoir combien les gens étaient payés par rapport à ce qu'ils nous étaient chargés. Souvent, le salaire était versé beaucoup plus tard que le tournage et une fois l'équipe partie, il était difficile de savoir si les gens étaient réellement payés. Sur Rebelle, nous avons décidé de payer les gens de main à main pour être sûrs que le salaire était versé selon les termes entendus et cela a amélioré grandement la qualité du travail. D'autre part, comme nous avions deux personnes relais en RDC [un Canadien et un Français, NDLR], cela nous a permis de gérer les frais, les permis... car moins on a d'intermédiaires, plus c'est efficace.
Au générique, un nom Canadien (Josa Maule) et un Congolais (Kiripi Katembo Siku) figurent au casting. Comment cela s'est-il déroulé ?
R.M: J'étais dans la rue et quelqu'un m'a contacté avec Kim pour faire le casting. J'avais déjà joué six mois avant dans Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg (Belgique/France, 2012). Sur le contrat, Marc-Henri avait signé pour prendre soin des enfants, pour qu'on aille à l'école, mais il n'envoyait pas d'argent. Un jour, il a appelé et il a dit qu'il n'allait plus s'occuper de nous. Après ce film, je suis retournée dans un centre. J'ai passé le casting de Rebelle parce que j'aime bien le cinéma.
K.N. : La majorité du casting est à attribuer à nos amis congolais car les Canadiens ne se sont occupés que de trois comédiens. Kiriki Katembo et son collègue ont fait un travail monstre, très bien ciblé. Ils avaient déjà travaillé sur le casting de Viva Riva ! de Djo Tunda wa Munga (RDC, 2010). Nous avons fait un casting sauvage et avons remarqué dès les premières auditions que les enfants de la rue - à l'exception de ceux qui avaient été brisé par la vie - avaient un talent naturel incroyable, digne des grands acteurs qui font appel à la méthode Stanislavsky en puisant dans leur passé. Il y avait une présélection, puis je venais faire passer les auditions. Cela a duré un mois.
Le tournage de Rebelle s'est déroulé durant six semaines à travers plusieurs lieux du pays dont la cité interdite construite par des architectes chinois sous Mobutu dans les années 1980. Comment cela s'est-il passé ?
K.N : Tous les cinéastes disent qu'ils veulent faire des films guérilla avec quatre personnes et les décors tels qu'ils sont. Mais après avoir visité trente lieux, nous nous sommes retrouvés avec une trentaine de Canadiens et une Centaine de congolais, ce n'était plus guérilla du tout (rires) ! Même si les principaux chefs de poste étaient Canadiens, il y a eu plus d'autonomie du fait des nombreux lieux de tournage. Nous avons développé des cellules autonomes et plusieurs Congolais sont rapidement devenus des chefs d'équipe.
R.M : J'ai beaucoup aimé jouer. La scène la plus difficile et dont je suis la plus fière, c'est celle où je tue mes parents, parce que je pleurais pour de vrai. Je n'aime pas regarder la scène du viol [où elle jouait séparément du chef militaire, une doublure a aussi été utilisée, NDLR]. D'habitude, j'aime regarder des films d'action et des films de zombie.
Rebelle a été sélectionné par une trentaine ou quarantaine de festivals dans le monde et primé par les deux tiers d'entre eux. Sorti au Canada, en Pologne et aux Pays-Bas, le film sera bientôt distribué dans une trentaine de pays. Que pensez-vous de ce succès ?
R.M. : J'étais contente de mon prix [l'Ours d'argent à Berlin en 2012] et surprise. Mais au Congo, les gens ne sont pas au courant. Je suis triste, il faut que les gens soient fiers de moi ! Il y a peut-être vingt personnes qui connaissent le film mais ni le Président, ni le Premier Ministre ne nous ont reçus.
K.N. : Je n'ai jamais vécu ça auparavant. J'ai même eu à refuser avec regret des festivals. Notre gros défi, ce sera les Oscars car nous avons été nominés par le Canada. Il faut aller faire du lobbying à Los Angeles, rencontrer des gens... C'est un peu de la politique. En plus, la barre est très haute, car il y a un nombre record de pays cette année.
Et après ce tournage, cette carrière, ce succès, qu'avez-vous mis en place localement pour accompagner les membres de l'équipe ? Qu'attendez-vous de l'avenir ?
K. N. : Rachel a eu de l'argent pendant et après le tournage et bénéficie pendant quatre ans d'un suivi : formation à l'école, alphabétisation, nourriture et logis. A 18 ans, son salaire lui sera remis. Avec la production, nous savions dès le tournage que nous mettrions en place ce processus. Serge Kanyinda [le magicien albinos, NDLR], nous a menti sur son âge et n'a pas pu bénéficier du programme de soutien que nous lui avions trouvé. La grande majorité des autres personnes étaient majeures et il nous aurait été impossible de faire cela à plus grande échelle. Est-ce que l'on fait cela pour se donner bonne conscience ou pour avoir des résultats ? Pour avoir des résultats, il n'est pas possible de le faire pour tout le monde : il faut avoir des contacts, faire un suivi mensuel...
R.M. : Dans trois ans, il faudra que je prenne en charge ma scolarité. Mais plus tard, je voudrais bien être une star.
Propos recueillis par Claire Diao / Clap Noir à Paris le 16 octobre 2012.
Comme beaucoup de films étrangers basés en Afrique, Rebelle est un film canadien tourné en République Démocratique du Congo. Pourquoi ce pays ?
Kim Nguyen : Nous avons visité plusieurs pays dont le Cameroun et le Kenya mais le Congo était unique dans sa post-modernité. Il a un caractère propre de réappropriation du symbole de la modernité dans une fonction de survie qui crée, dans la vie de tous les jours, des œuvres d'art contemporaines incroyables comme des maisons sur pilotis dont les murs sont construits avec des panneaux de publicité. C'est troublant. Le Congo nous force à voir l'ironie de nos urgences de tous les jours. Si nous avions eu à choisir la qualité des infrastructures, il aurait malheureusement été l'un des derniers pays choisis. C'était la richesse du tournage : les difficultés faisaient partie du décor.
Rachel Mwanza : Le Congo est un pays magnifique avec beaucoup de choses de valeur [matières premières, NDLR] Mais nous les Congolais ne savons pas comment utiliser ça, alors on vole, on se bagarre, on fait la guerre. À l'Est, il y a de l'or, de la richesse, mais on vole toujours les Congolais. Ce n'est pas moi qui vais changer les choses. Mais si je pouvais, j'aiderai les enfants de la rue. Il y a des gens qui disent aider les centres [pour enfants de la rue, NDLR] mais ils ne font rien, les enfants ne mangent pas bien et c'est dommage. Dans mon centre, on était des centaines et on dormait sur des pagnes à même le sol. On ne s'occupait pas vraiment bien de nous, il n'y avait pas d'eau et on sortait dans la rue. C'est comme ça qu'on m'a trouvé pour le film (sourire).
Entièrement produit par le Canada (société ITEM 7) avec un apport financier du distributeur français (Happiness Distribution), Rebelle n'a pas fait de coproduction avec une société congolaise. Pourquoi ?
Kim Nguyen : Nous avons testé le processus. Souvent, lorsqu'on travaille en coproduction (et je ne parle pas uniquement de l'Afrique), les maisons de production prennent une commission dont il est difficile de connaître le montant. J'ai eu une expérience en Tunisie où nous n'arrivions pas à savoir combien les gens étaient payés par rapport à ce qu'ils nous étaient chargés. Souvent, le salaire était versé beaucoup plus tard que le tournage et une fois l'équipe partie, il était difficile de savoir si les gens étaient réellement payés. Sur Rebelle, nous avons décidé de payer les gens de main à main pour être sûrs que le salaire était versé selon les termes entendus et cela a amélioré grandement la qualité du travail. D'autre part, comme nous avions deux personnes relais en RDC [un Canadien et un Français, NDLR], cela nous a permis de gérer les frais, les permis... car moins on a d'intermédiaires, plus c'est efficace.
Au générique, un nom Canadien (Josa Maule) et un Congolais (Kiripi Katembo Siku) figurent au casting. Comment cela s'est-il déroulé ?
R.M: J'étais dans la rue et quelqu'un m'a contacté avec Kim pour faire le casting. J'avais déjà joué six mois avant dans Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg (Belgique/France, 2012). Sur le contrat, Marc-Henri avait signé pour prendre soin des enfants, pour qu'on aille à l'école, mais il n'envoyait pas d'argent. Un jour, il a appelé et il a dit qu'il n'allait plus s'occuper de nous. Après ce film, je suis retournée dans un centre. J'ai passé le casting de Rebelle parce que j'aime bien le cinéma.
K.N. : La majorité du casting est à attribuer à nos amis congolais car les Canadiens ne se sont occupés que de trois comédiens. Kiriki Katembo et son collègue ont fait un travail monstre, très bien ciblé. Ils avaient déjà travaillé sur le casting de Viva Riva ! de Djo Tunda wa Munga (RDC, 2010). Nous avons fait un casting sauvage et avons remarqué dès les premières auditions que les enfants de la rue - à l'exception de ceux qui avaient été brisé par la vie - avaient un talent naturel incroyable, digne des grands acteurs qui font appel à la méthode Stanislavsky en puisant dans leur passé. Il y avait une présélection, puis je venais faire passer les auditions. Cela a duré un mois.
Le tournage de Rebelle s'est déroulé durant six semaines à travers plusieurs lieux du pays dont la cité interdite construite par des architectes chinois sous Mobutu dans les années 1980. Comment cela s'est-il passé ?
K.N : Tous les cinéastes disent qu'ils veulent faire des films guérilla avec quatre personnes et les décors tels qu'ils sont. Mais après avoir visité trente lieux, nous nous sommes retrouvés avec une trentaine de Canadiens et une Centaine de congolais, ce n'était plus guérilla du tout (rires) ! Même si les principaux chefs de poste étaient Canadiens, il y a eu plus d'autonomie du fait des nombreux lieux de tournage. Nous avons développé des cellules autonomes et plusieurs Congolais sont rapidement devenus des chefs d'équipe.
R.M : J'ai beaucoup aimé jouer. La scène la plus difficile et dont je suis la plus fière, c'est celle où je tue mes parents, parce que je pleurais pour de vrai. Je n'aime pas regarder la scène du viol [où elle jouait séparément du chef militaire, une doublure a aussi été utilisée, NDLR]. D'habitude, j'aime regarder des films d'action et des films de zombie.
Rebelle a été sélectionné par une trentaine ou quarantaine de festivals dans le monde et primé par les deux tiers d'entre eux. Sorti au Canada, en Pologne et aux Pays-Bas, le film sera bientôt distribué dans une trentaine de pays. Que pensez-vous de ce succès ?
R.M. : J'étais contente de mon prix [l'Ours d'argent à Berlin en 2012] et surprise. Mais au Congo, les gens ne sont pas au courant. Je suis triste, il faut que les gens soient fiers de moi ! Il y a peut-être vingt personnes qui connaissent le film mais ni le Président, ni le Premier Ministre ne nous ont reçus.
K.N. : Je n'ai jamais vécu ça auparavant. J'ai même eu à refuser avec regret des festivals. Notre gros défi, ce sera les Oscars car nous avons été nominés par le Canada. Il faut aller faire du lobbying à Los Angeles, rencontrer des gens... C'est un peu de la politique. En plus, la barre est très haute, car il y a un nombre record de pays cette année.
Et après ce tournage, cette carrière, ce succès, qu'avez-vous mis en place localement pour accompagner les membres de l'équipe ? Qu'attendez-vous de l'avenir ?
K. N. : Rachel a eu de l'argent pendant et après le tournage et bénéficie pendant quatre ans d'un suivi : formation à l'école, alphabétisation, nourriture et logis. A 18 ans, son salaire lui sera remis. Avec la production, nous savions dès le tournage que nous mettrions en place ce processus. Serge Kanyinda [le magicien albinos, NDLR], nous a menti sur son âge et n'a pas pu bénéficier du programme de soutien que nous lui avions trouvé. La grande majorité des autres personnes étaient majeures et il nous aurait été impossible de faire cela à plus grande échelle. Est-ce que l'on fait cela pour se donner bonne conscience ou pour avoir des résultats ? Pour avoir des résultats, il n'est pas possible de le faire pour tout le monde : il faut avoir des contacts, faire un suivi mensuel...
R.M. : Dans trois ans, il faudra que je prenne en charge ma scolarité. Mais plus tard, je voudrais bien être une star.
Propos recueillis par Claire Diao / Clap Noir à Paris le 16 octobre 2012.