Ecrans Noirs 2018
La série télé River Hôtel en ouverture du festival de cinéma de Yaoundé. Maki'la et La Belle et la Meute en competition.
Une représentation locale grandissante et competitive, un marché du film qui s'établit, une fenêtre glamour ouverte pour appâter la jeunesse au 7eme art, Écrans noirs s'échine à maintenir sa place d'évènement leader du cinéma en Afrique Centrale.
Comme tout grand festival, Ecrans Noirs 2018 a ses habitudes. Rendu à sa 22eme édition, l'évènement tient par exemple à un timing et un modèle de communication qu'il veut sans pression. Une communication qui disons-le a même régressé comparé à quelques années plutôt. Les sponsors aussi ont régressé, soufflera un jour son promoteur. Nous ne voulons pas pour l'instant rentrer dans ce débat qui fera forcément ressortir le fait qu'une communication efficace ne tient pas uniquement au sponsoring mais qu'elle est également profilée, ciblée et méthodique. Nous voulons, pour le moment, présenter ce que cette édition du festival de cinéma propose comme visibilité pour les cinémas d'Afrique. L'édition qui s'ouvre ce 13 juillet au Palais des Congrès de Yaoundé a donné sa conférence de presse trois jours avant. Chose pas commune également pour un festival de cinéma, Ecrans Noirs 2018 s'ouvre avec River Hôtel la nouvelle série télévisée de Didier Ndenga réalisée en RDC, actuellement diffusée sur TV5 Monde. Un choix bien risqué pour les organisateurs. Car si la production a misé sur un casting glamour avec des stars de la musique africaine, l'intrigue reste fade avec des interprétations approximatives (lire la critique de la série par Stéphanie Dongmo, avec un lien pour voir la première saison).
Le train a véritablement été lancé le 1er juin dernier avec l'annonce de la sélection officielle par la responsable de la programmation, Françoise Ellong et le directeur du festival, Marcel Epée. Soixante-dix films, légèrement moins que l'année dernière, sont censés appeler le public dans les salles : Sita Bella, Centre culturel camerounais, Canal Olympia et l'Institut français de Yaoundé pour la nuit de la série. Dix productions sont en lice pour l'Ecran d'or 2018. Le Cameroun y figure avec le film d'animation de Claye Edou, Minga et la cuillère cassée, qui circule actuellement dans des festivals. Il challenge avec des productions telles que Five Fingers for Marseilles du Sud-Africain Michael Matthews, Maki'la de Machérie Ekwa Bahango de la RDC, le film à double paternité (RDC/Ouganda) NGO (Nothing Going On) d'Arnold Aganze, mention spéciale du jury aux JCC 2016. L'Afrique Maghrébine, habituée du festival, est suffisamment présente avec l'Egypte (The Other Land d'Aly Edreis), l'Algérie (En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui) et puis la Tunisie (La Belle et la meute de Kaouther Ben Hania). Inspiré d'un fait divers ayant défrayé la chronique en Tunisie et relaté dans l'ouvrage Coupable d'avoir été violée de Meriem Ben Mohamed, le thriller de 100 minutes s'immisce dans les magouilles bureaucratiques que subit une victime de viol. La Forêt du Niolo du Burkinabé Adama Roamba avec Gérard Essomba dans le casting, est également dans cette course pour succéder au film ghanéen Children of the Moutain, Ecran d'or 2017.
Une production locale foisonnante
L'écran du meilleur film camerounais se dispute, lui aussi, par dix prétendants. Avec des cinéastes camerounais prolifiques ces derniers mois, l'édition en cours propose des films d'un calibre consistant donnant autant à voir sur la créativité artistique que sur l'originalité des histoires. La production locale, quasi invisible auparavant, est bien en place avec un cinéma commercial, palpitant et plus audacieux. A Man for the Weekend d'Achille Brice, gagnant du titre en 2017 avec Life Point, est en competition. Le long métrage produit par Syndy Emade qui tient également le premier rôle est une comédie romantique à forte coloration hollywoodienne. Peau de Panthère de Brice Numkam y est également, tout comme Les Nanga de Pouamo Djélé, Minga et la cuillère cassée de Claye Edou, Little Cindy de Billybob Lifongo, A Good Time to Divorce de Nkanya Nkwai, film le plus primé aux récents Golden Movie Awards Africa (GMAA, Ghana). Sur 11 nominations, le film s'en est tiré avec six prix dont celui du meilleur scénario et du meilleur réalisateur. La liste se complète avec Married Single de LT Njeck, Rebel Pilgrim de Paul Samba et Chinepoh Cosson et Tenacity de Musing Derick tous deux primés au dernier Cameroon International Film Festival (Camiff). Tenacity, dont certaines scènes rappellent le mythique Hôtel Rwanda, nous ramène dans la période précoloniale précisément dans les régions de l'Ouest Cameroun où les manœuvres des colons ont engendré d'intenses conflits entre deux principaux clans. L'unique coloration féminine dans cette course pour le meilleur film camerounais se trouve être Delphine Itambi. Avec son long métrage Ward Zee, la réalisatrice décide de porter à l'écran l'épineux problème du trafic de nouveaux nés. C'est au soir du 20 juillet que les différents jurys, dont le principal présidé par l'écrivaine camerounaise Calixthe Beyala, dévoileront les gagnants des différentes categories.
Cinéma et politique en Afrique
Ecrans Noirs tient son deuxième Marché international du film de l'Afrique Centrale (Mifac) qui fut initié l'année dernière. Selon Marcel Epée, le bilan fait état de 17 accords conclus pendant le marché, 15 deals entamés et 21 envisagés. Des résultats satisfaisants et encourageants pour programmer une nouvelle édition qui annonce déjà la participation des diffuseurs et distributeurs comme Diffa, Canal, Patou films mais aussi des locaux tels Crtv et Canal2. Tout à côté du marché du film, sera donnée une réflexion sur la thématique Cinéma et politique en Afrique. Les colloques du festival qui se veulent désormais scientifiques et non plus exclusivement professionnels donnent droit à des appels à contributions. "Suites à certaines recommandations et suggestions, nous avons jugé utile d'associer les universitaires et les chercheurs pour réfléchir sur l'avenir du cinéma. Nous partons sur le concept que les échanges scientifiques peuvent contribuer à l'action des professionnels", précise Marcel Epée.
Des réflexions sont d'ailleurs en cours pour la mise en place d'un comité scientifique permanent pour des contributions encore plus pointues. Ce dernier, on l'espère viendra donner un coup de pousse pour que la publication des actes de ces différents colloques soit enfin effective. Aux problèmes d'ordre structurels, s'ajoute la léthargie post colloque des intervenants qui envoient difficilement les copies conformes de leurs interventions. Mais nous travaillons à ce que ces actes soient publiés, rassurent les organisateurs. Entre temps, pour booster sa visibilité et intéresser les jeunes à la consommation des produits cinématographiques, le festival s'est associé à l'ancienne miss Cameroun, Valérie Ayena pour organiser le concours de miss Ecrans noirs. Le premier critère étant l'intérêt que porte la candidate à devenir actrice. A côté d'une formation en actorat, l'élue prendra des prérequis en esthétique, diction et chorégraphie.
Pélagie NG'ONANA
Africiné Magazine, correspondante à Yaoundé
pour Images Francophones
Image Scène du film Maki'la de Machérie Ekwa Bahango (Congo RDC), avec Amour Lombi (Maki'la)
Crédit : Tosala Films / Orange Studio / DIFFA