DISCOP/Rencontres UniFrance : Abidjan rayonne
Pendant la première semaine de juin, Abidjan est devenue la capitale africaine des images avec le marché des programmes de télévision (DISCOP) et les Rencontres du cinéma francophone, organisées par UniFrance, l'organisme de promotion du cinéma français. Photo : Binta Dembélé, auteur de la série "L'ambre".
Avec 600 participants, le DISCOP d'Abidjan a tenu ses promesses et deviendra désormais un rendez-vous annuel, en plus du DISCOP de Johannesburg, organisé chaque année en novembre. Les multiples initiatives annoncées à l'occasion de ce marché des programmes ont montré que l'audiovisuel d'Afrique francophone, après l'emballement de 2014, était toujours en mode " effervescence ". Basic Lead, la société organisatrice du DISCOP va se doter d'une représentation permanente à Abidjan. DIFFA, la société de distribution d'Alain Modot, créée avec le soutien de l'OIF et intégrée au groupe Lagardère, va implanter un bureau à Abidjan et un autre à Johannesburg. Olivier Laouchez, patron de Trace TV a annoncé que son groupe, qui réalise déjà 35 à 40 % de ses recettes en Afrique, allait créer une filiale ivoirienne et lancer une nouvelle chaîne de fiction qui l'amènerait à investir " plusieurs millions d'euros " dans la fiction africaine. De son côté, Côte Ouest Audiovisuel prévoit d'aligner 11 séries africaines produites ou coproduites, d'ici 2016. Enfin, la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI), dont la branche distribution présente un catalogue riche de vingt-deux séries, multiplie les initiatives en matière de production. A l'occasion du DISCOP, son Directeur général, Ahmadou Bakayoko a signé des accords sur les deux projets lauréats du concours " Nouveaux talents " qu'il avait lancé en 2014 avec l'appui de l'OIF et avec l'intervention de Marguerite Abouet. La série " Top Radio " (écrite par Honoré Essoh) sera coproduite avec Lagardère Entertainment mais cet accord ne devrait pas remettre en cause le partenariat mis en place pour le pilote de la série (avec Karamoko Touré à la production exécutive et Alex Ogou à la réalisation). Plus spectaculaire encore est l'accord intervenu sur la série " L'ambre ". Il y a un an, cette série d'aventure écrite par l'étudiante Binta Dembélé (voir photo) ressemblait à un projet utopique : récit brillant mais paraissant trop ambitieux, rêve inaccessible au regard des contraintes de production que l'on connaît en Afrique francophone. Certes, la RTI avait tenté un coup de poker en inscrivant Binta Dembélé au concours de pitch du DISCOP 2014 à Johannesburg. Mais la jeune femme, rongée par le trac, avait échoué au pied du podium, à la quatrième place. Qu'importe ! Son projet a fait parler de lui et les contacts pris à Johannesburg ont abouti à l'accord de co-développement signé la semaine dernière à Abidjan entre la RTI et la société sud-africaine Matchbox, dirigée par Lebone Maema. Dès juillet, celui-ci devrait accueillir Binta Dembélé en résidence d'écriture à Johannesburg. C'est probablement la toute première fois qu'une série télévisée fait l'objet d'un accord entre une télévision d'Afrique francophone et un producteur anglophone.
Au-delà de ces deux projets-phares, la RTI s'est engagée sur cinq autres projets de séries : "Cash Cache" de Khalif Soumahoro (également révélé par le concours " Nouveaux talents " et formé par Marc Gautron avec le soutien de l'OIF), "Denrée rare" d'Alain Guikou " (qui s'était déjà illustré avec la série Brouteurs.com), "National Security" d'Hollywood Academy, "Psych" de Making On, et "P'tit bisou" de Mike Danon (produit par Martika, la société de Jean-Hubert Nankam). Le directeur général de la RTI prévoit également de coproduire une série de cent épisodes qui fournirait un rendez-vous quotidien sur son antenne.
Mis à part l'accord spectaculaire signé entre la RTI et Matchbox, l'Afrique anglophone était peu présente à cette édition du Discop. On note, en revanche, le dynamisme des investisseurs chinois (Star Times) et l'arrivée des Américains du groupe Turner (CNN, Boomerang).
On remarque également la multiplication des projets de série " atypiques " atteignant des budgets beaucoup plus importants que la moyenne constatée au début des années 2010, avec des niveaux d'ambition bien plus élevés. Le premier exemple est la série " C'est la vie ", diffusée à partir de ce mois de juin sur la chaîne A. Sur cette Production de la société Keewu (groupe Lagardère), 70 % du budget a été trouvé hors du secteur audiovisuel (bailleurs de fonds internationaux opérant dans le domaine de la santé). Il s'agit, toutefois, d'une série à vocation strictement africaine ; en revanche la série " Enquêtes africaines " (Keewu/Lagardère également), dirigée par Philippe Niang, a vocation à trouver une audience internationale, de même que " Go Mécanique " de Gnama Baddy Dega (producteur de Villa Karayib) et Renaud Mathieu (directeur de production de la série britannique " Meurtre au paradis ") ou " Joie Ville " de Marguerite Abouet (présenté par elle-même comme un " Desperate housewives " africain). Le producteur de cette série n'est autre que le Français Eric Névé (société La Chauve Souris), président du groupe francophone d'UniFrance, l'organisme de promotion du cinéma français.
Ayant ouvert lui-même une brèche dans le mur qui sépare habituellement l'univers du cinéma du petit monde de la télévision, Eric Névé a sans doute contribué à ce qu'UniFrance organise à Abidjan une manifestation hybride avec une journée " télévision ", tenue pendant le DISCOP, et une journée consacrée au cinéma.
La journée télévision de cette rencontre UniFrance a donné lieu à des débats passionnés au cours desquels le " modèle " nigérian faisait office tantôt de repoussoir, tantôt de référence fantasmatique (le film October 1st de Kunle Afolayan aurait fait l'objet d'une transaction " à six chiffres " - ce qui signifie au moins 100 000 dollars - avec Netflix).
La table-ronde sur la vidéo à la demande a permis de découvrir que la plateforme nigériane Iroko était désormais capable d'investir significativement dans de nouveaux programmes : 12 séries TV coproduites à hauteur de 50 000 à 60 000 dollars chacune, un film de cinéma financé à hauteur de 100 000 dollars. A noter qu'Iroko obtient 90 % de ses recettes en dehors du Nigeria.
Le marché est loin d'être aussi mirobolant côté francophone mais on a pu citer une fiction sénégalaise en wolof qui aurait atteint 50 millions de vues sur YouTube.
La journée cinéma des Rencontres du cinéma francophone a permis à des dizaines de professionnels de découvrir ou redécouvrir une Afrique qui reprend vigueur : il y a encore deux ans, on comptait une seule cabine de projection en DCP dans toute l'Afrique francophone (celle du cinéma Le Normandie, de Ndjamena, exploité par Issa Serge Coelo). Aujourd'hui, on en compte une quinzaine, dont trois en Côte d'Ivoire (La salle Majestic, de l'hôtel Ivoire inaugurée le 3 juin, le palais de la Culture et l'Institut français) et deux au Mali (les deux salles du Magic cinéma - ex-Babemba). Côté distributeurs, on assiste au retour de Films 26 (Jean-Paul de Vidas), à la réapparition de Damia Films (Malek Ali-Yahia) au Sud du Sahara et à une possible implantation du groupe Pathé-Gaumont qui envisage l'implantation de multiplexes de dix salles dans quatre pays jugés prioritaires : Maroc, Algérie, Sénégal et Côte d'Ivoire. Enfin, les travaux de la première salle du ciné Guimbi devraient commencer en juillet à Bobo Dioulasso tandis que les nouveaux multiplexes du groupe Mégarama ouvriront bientôt à Tanger et Rabat, ce qui permet d'espérer enfin une inversion de la courbe de la fréquentation au Maroc. En effet, ce pays a beau être le plus dynamique des pays francophones du Sud pour la production (20 à 30 films par an, dont certains séduisent le public au point de dominer systématiquement le box-office local), il a connu une évolution des entrées inquiétante (45 millions en 1980 ; moins de 2 millions aujourd'hui) et la chute n'a pas encore été enrayée, malgré le succès des deux multiplexes existants (Casablanca et Marrakech) et la numérisation d'une quinzaine de salles indépendantes. A noter que l'arrivée sur le marché de cabines de projection numériques de deuxième main permet d'inclure à nouveau dans les circuits de distribution des salles dont l'équipement en matériel neuf n'aurait pas été envisageable, faute de rentabilité.
Le cinéma sera bientôt de retour en Afrique francophone et, pour fêter cela, la cérémonie des Trophées francophones aura lieu le 5 décembre à Abidjan dans un palais de la Culture qui vient d'être équipé pour l'occasion d'une toute nouvelle cabine de projection numérique.
Pierre Barrot
Images francophones
Photo : Binta Dembélé, auteur de la série "L'ambre" et lauréate du concours "Nouveaux talents" de la Télévision ivoirienne en 2014 (photo DR).
Au-delà de ces deux projets-phares, la RTI s'est engagée sur cinq autres projets de séries : "Cash Cache" de Khalif Soumahoro (également révélé par le concours " Nouveaux talents " et formé par Marc Gautron avec le soutien de l'OIF), "Denrée rare" d'Alain Guikou " (qui s'était déjà illustré avec la série Brouteurs.com), "National Security" d'Hollywood Academy, "Psych" de Making On, et "P'tit bisou" de Mike Danon (produit par Martika, la société de Jean-Hubert Nankam). Le directeur général de la RTI prévoit également de coproduire une série de cent épisodes qui fournirait un rendez-vous quotidien sur son antenne.
Mis à part l'accord spectaculaire signé entre la RTI et Matchbox, l'Afrique anglophone était peu présente à cette édition du Discop. On note, en revanche, le dynamisme des investisseurs chinois (Star Times) et l'arrivée des Américains du groupe Turner (CNN, Boomerang).
On remarque également la multiplication des projets de série " atypiques " atteignant des budgets beaucoup plus importants que la moyenne constatée au début des années 2010, avec des niveaux d'ambition bien plus élevés. Le premier exemple est la série " C'est la vie ", diffusée à partir de ce mois de juin sur la chaîne A. Sur cette Production de la société Keewu (groupe Lagardère), 70 % du budget a été trouvé hors du secteur audiovisuel (bailleurs de fonds internationaux opérant dans le domaine de la santé). Il s'agit, toutefois, d'une série à vocation strictement africaine ; en revanche la série " Enquêtes africaines " (Keewu/Lagardère également), dirigée par Philippe Niang, a vocation à trouver une audience internationale, de même que " Go Mécanique " de Gnama Baddy Dega (producteur de Villa Karayib) et Renaud Mathieu (directeur de production de la série britannique " Meurtre au paradis ") ou " Joie Ville " de Marguerite Abouet (présenté par elle-même comme un " Desperate housewives " africain). Le producteur de cette série n'est autre que le Français Eric Névé (société La Chauve Souris), président du groupe francophone d'UniFrance, l'organisme de promotion du cinéma français.
Ayant ouvert lui-même une brèche dans le mur qui sépare habituellement l'univers du cinéma du petit monde de la télévision, Eric Névé a sans doute contribué à ce qu'UniFrance organise à Abidjan une manifestation hybride avec une journée " télévision ", tenue pendant le DISCOP, et une journée consacrée au cinéma.
La journée télévision de cette rencontre UniFrance a donné lieu à des débats passionnés au cours desquels le " modèle " nigérian faisait office tantôt de repoussoir, tantôt de référence fantasmatique (le film October 1st de Kunle Afolayan aurait fait l'objet d'une transaction " à six chiffres " - ce qui signifie au moins 100 000 dollars - avec Netflix).
La table-ronde sur la vidéo à la demande a permis de découvrir que la plateforme nigériane Iroko était désormais capable d'investir significativement dans de nouveaux programmes : 12 séries TV coproduites à hauteur de 50 000 à 60 000 dollars chacune, un film de cinéma financé à hauteur de 100 000 dollars. A noter qu'Iroko obtient 90 % de ses recettes en dehors du Nigeria.
Le marché est loin d'être aussi mirobolant côté francophone mais on a pu citer une fiction sénégalaise en wolof qui aurait atteint 50 millions de vues sur YouTube.
La journée cinéma des Rencontres du cinéma francophone a permis à des dizaines de professionnels de découvrir ou redécouvrir une Afrique qui reprend vigueur : il y a encore deux ans, on comptait une seule cabine de projection en DCP dans toute l'Afrique francophone (celle du cinéma Le Normandie, de Ndjamena, exploité par Issa Serge Coelo). Aujourd'hui, on en compte une quinzaine, dont trois en Côte d'Ivoire (La salle Majestic, de l'hôtel Ivoire inaugurée le 3 juin, le palais de la Culture et l'Institut français) et deux au Mali (les deux salles du Magic cinéma - ex-Babemba). Côté distributeurs, on assiste au retour de Films 26 (Jean-Paul de Vidas), à la réapparition de Damia Films (Malek Ali-Yahia) au Sud du Sahara et à une possible implantation du groupe Pathé-Gaumont qui envisage l'implantation de multiplexes de dix salles dans quatre pays jugés prioritaires : Maroc, Algérie, Sénégal et Côte d'Ivoire. Enfin, les travaux de la première salle du ciné Guimbi devraient commencer en juillet à Bobo Dioulasso tandis que les nouveaux multiplexes du groupe Mégarama ouvriront bientôt à Tanger et Rabat, ce qui permet d'espérer enfin une inversion de la courbe de la fréquentation au Maroc. En effet, ce pays a beau être le plus dynamique des pays francophones du Sud pour la production (20 à 30 films par an, dont certains séduisent le public au point de dominer systématiquement le box-office local), il a connu une évolution des entrées inquiétante (45 millions en 1980 ; moins de 2 millions aujourd'hui) et la chute n'a pas encore été enrayée, malgré le succès des deux multiplexes existants (Casablanca et Marrakech) et la numérisation d'une quinzaine de salles indépendantes. A noter que l'arrivée sur le marché de cabines de projection numériques de deuxième main permet d'inclure à nouveau dans les circuits de distribution des salles dont l'équipement en matériel neuf n'aurait pas été envisageable, faute de rentabilité.
Le cinéma sera bientôt de retour en Afrique francophone et, pour fêter cela, la cérémonie des Trophées francophones aura lieu le 5 décembre à Abidjan dans un palais de la Culture qui vient d'être équipé pour l'occasion d'une toute nouvelle cabine de projection numérique.
Pierre Barrot
Images francophones
Photo : Binta Dembélé, auteur de la série "L'ambre" et lauréate du concours "Nouveaux talents" de la Télévision ivoirienne en 2014 (photo DR).