Contribuons à sauver Africultures, actuellement en péril
Une pétition à signer en ligne a été lancée. Africiné Magazine est imbriqué et s'implique aux côtés d'Africultures.
Je suis Africultures
Dans un communiqué signé par Espéra Donouvossi, Secrétaire Général de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, basée à Dakar), le Bureau Exécutif de l'organisation panafricaine donne bien le ton : "Nous devrions tous être Africultures aujourd'hui, nous lever comme un seul homme et mobiliser nos ressources et compétences pour soutenir Africultures en préservant son patrimoine culturel. Envahissons les réseaux sociaux, multiplions nos soutiens et conquérons d'autres personnes à la cause." En effet, il s'agit d'une cause qui plus est urgente, grave.
Africultures, c'est un ensemble de plusieurs supports médias (revue, magazine et site internet) participant à embraser la connaissance autour des arts et cultures africaines (y compris diasporiques). Lancé il y a plus de vingt ans, Africultures a pris une place particulière importante, l'intérêt d'internet y a été compris très tôt et a permis une visibilité encore plus importante. Le sérieux y est aussi cultivé. Dès lors ce n'est pas étonnant qu'on y trouve des textes d'Achille Mbembé (celui où il analyse à chaud le "discours raciste" - selon les mots d'un proche de Nicolas Sarkozy - prononcé par le nouveau président français d'alors à l'université de Dakar) entre autres. Suivre Africultures c'est s'accorder la latitude d'être connecté à l'actualité culturelle du continent et dans le monde, ainsi que suivre des débats sur les sociétés postcoloniales. Le travail pour la décolonisation des esprits est un axe fort chez Africultures, tant les mentalités restent engluées dans les anciennes représentations, stéréotypes, autant dans les anciennes colonies qu'au sein de l'ancienne métropole coloniale. Vaste tâche surtout quand le repli identitaire hexagonal criant balaie d'un revers de main brutal toute réévaluation de la violence symbolique coloniale. Au contraire, les pensées a priori défaites s'arrangent pour se remettre en selle sans vergogne ni mesure. D'où l'urgence de refaire encore et toujours acte de pédagogie. Or, pour agir, les moyens sont essentiels. Ce qu'il manque à Africultures aujourd'hui ce sont les moyens de continuer (avec un nouveau projet éditorial).
Des règles de l'Union Européenne tuent une initiative culturelle essentielle
Paradoxalement, l'argent existe pour continuer, car Africultures a été retenu pour le projet européen Right to Write (avec le Nigéria), cependant des règles plus confuses qu'absconses de l'Union Européenne exigent une garantie bancaire de près d'un million d'euros, alors que la structure est une association adossée à une banque solidaire qui ne peut aller aussi loin. La levée de cette exigence de garantie bancaire résoudrait immédiatement le problème majeur de la solvabilité, afin d'affronter plus sereinement la recherche de financements pour le futur.
Une initiative culturelle majeure est en train de mourir car elle a (théoriquement) recueilli de l'Union Européenne les fonds nécessaires pour prospérer. S'il comporte une levée de fonds, l'appel à l'aide lancé par Africultures vise à porter aux oreilles des responsables européens (et nigérians, partenaires et bénéficiaires du projet) cette incompréhension sans nom. Ne plus se voir requérir de garantie bancaire va permettre à Africultures d'accéder à ce financement qui lui a été officiellement accordé par l'Europe (sous réserve) en juillet dernier.
Le Secrétaire Général de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique, Espera Donouvossi, souligne judicieusement dans son communiqué une situation paradoxale: "c'est en 2018, l'année européenne du patrimoine culturel et une période pendant laquelle les grands moyens intellectuels, factuels et matériels sont mobilisés pour convaincre de l'importance de la culture dans le développement durable ; c'est en ce moment que l'association Africultures est en train d'être contrainte à fermer les portes".
L'impact d'une fermeture d'Africultures sur Africiné Magazine et sur la dignité
Si tout s'arrêtait la semaine prochaine, c'est bien plus que des emplois (directs et indirects, avec des pigistes majoritairement africains et vivant sur le continent) qui sont en danger, l'impact concerne un grand nombre de structures dont en premier lieu le site web Images Francophones ainsi qu'Africiné Magazine (gestionnaire de contenu l'éditorial d'Images Francophones). Africiné Magazine est une parution électronique (et en papier lors de chaque Fespaco, depuis 2007, publié à milliers d'exemplaires et qui devait paraître pendant le festival de Durban, en Afrique du Sud et Carthage, en Tunisie). Notre magazine panafricain partage sa base de données depuis presque ses débuts en 2004, avec celle d'Africultures. Cette mutualisation a permis à la database commune de réunir plus de 1 000 films dès 2005 et désormais plus de 17 200 films (sans mentionner les talents - cinéastes, acteurs, techniciens, administrateurs - et structures nécessaires à l'émergence) treize ans plus tard. Quand je crée une page d'un film sur le site web d'Africiné Magazine, elle s'affiche sur Africultures et les sites liés. Car Africultures a accompagné la création de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC) portée sur les fronts baptismaux à Tunis, en marge des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC 2004). L'organisation de la Francophonie nous avait accordés un financement de 190 000 euros (sur le Fonds des Inforoutes) permettant un exercice confortable durant quatre ans. Des dizaines de journalistes africains ont été formés à chaque Fespaco (Festival Panafricain du Cinéma de Ouaga) au Burkina ainsi que dans d'autres pays. Africultures a souhaité faire de cette base de données commune un outil encore plus mutualisé où divers partenaires contribuaient à nourrir la base, tout en servant documenter l'actualité et l'histoire des arts du continent africain et de ses diasporas.
La vitalité de cette base de données n'est pas uniquement de réunir une masse d'informations, sa force vient du fait qu'elle permet de faire un vrai de travail de média, avec des pigistes majoritairement africains et qui vivent sur le continent. Même si les sommes ne sont pas faramineuses, quand elles sont payées en échange de ce travail si salutaire elles permettent à des personnes de pouvoir continuer à se draper de dignité, malgré le travail si ingrat, mal considéré et très chronophage que représente le journalisme (surtout culturel). Car derrière la froideur et quelquefois l'anonymat du web, il y a une dimension humaine absolue, surtout dans le monde de la culture.
Africultures est utile pour panser le monde
Nous faisons face avec brutalité au risque de voir se casser l'une des rares aiguilles pertinentes de la pensée. La diversalité n'est pas un dé à jouer, elle a besoin de fils (internet et ses fibres transnationaux qui sont le maillage le plus efficace) et de diverses pensées qui aiguillent notre monde et celui à venir. Ces pensées ne sont pas unanimes, elles sont parfois contradictoires voire fortement antagonistes : il m'est arrivé d'appuyer la parution sur Africultures d'un article trouble du controversé Tidiane Ndiaye manquant d'arguments sérieux et qui s'attaquait à Cheikh Anta Diop ; cela a permis l'émergence d'un débat en ligne. Les romans du Congolais Alain Mabanckou m'émeuvent et me font rire, quand ses essais me laissent perplexe. L'historien français Pap Ndiaye m'est hermétique, malgré tous mes efforts, surtout quand il s'aventure à vouloir faire de la sociologie et vouloir se faire l'hérault des Noirs de France ou encore plus grave prétendre fonder les Black Studies à la française au mépris de l'histoire (Anténor Firmin doit se retourner dans sa tombe) et des travaux d'Alec Hargreaves ou d'autres, niés devant tant d'audace. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne est fort brillant (j'utilise souvent sa théorie de la tolérance sur la force de l'un sur le multiple) et ne me convainc guère dès qu'il se pare du manteau de senghorien. Je n'arrive plus à me retrouver dans le jargonisme exponentiel d'Achille Mbembé. Néanmoins accéder à toutes ces expressions multiples / antagonistes par à cette structure unique, c'est une richesse inouïe à bien des égards, c'est pourquoi Africultures est si utile pour avancer.
Africultures a besoin de votre soutien et je vous invite à signer le formulaire de soutien (http://africultures.com/soutenir) et à le partager. Parmi les premiers signataires, pour ne citer que quelques noms, il y a Tanella Boni, Boubacar Boris Diop, Achille Mbembé, Alain Mabanckou, les cinéastes Ousmane William Mbaye, Laurence Attali, Nadine Otsobogo, ou encore Agnès Coulon (directrice de l'ancien festival de Cozes, unique évènement français à ne montrer que des courts métrages africains où la fine fleur du cinéma mondiale actuelle est venue partager leurs films, comme Kaouther Ben Hénia).
Le contexte est difficile pour le monde de la culture. Alors que je clos cet article, sans savoir avec mes collègues ce que sera notre lendemain (même vis-à-vis d'Images Francophones ou des concours de nouvelles et le travail), je reçois un appel transmis depuis la Suisse (grâce Silvia Voser, productrice de Mambéty et réalisatrice de films aussi), en France : le Cinéma la Clef est aussi menacé de disparition et mérite tout autant notre mobilisation (pétition à signer ici).
Nous avons tant encore à partager : le prochain film d'Idrissou Mora-Kpai ; la pugnacité vivifiante de François Woukoache ; le festival de Vaulx-en-Velin porté par Azzedine Soltani et son équipe dans la banlieue de Lyon ; les réflexions de Jean-Pierre Bekolo ; le regard du cinéaste Alassane Sy ; le panorama passionné de Ardiouma Soma sur le Fespaco ; l'investisseur privé qui a mis 3 milliards pour le complexe de cinéma Sembène Ousmane à Dakar ; ou encore la formation en Arts créé depuis 4 ans au sein de l'Université de Niamey et qui attire des étudiants maliens, béninois, burkinabès, avec des enseignants comme la pionnière en danse contemporaine Léna Blou, la reine WereWere Liking, le metteur en scène Ildevert Méda,...
Thierno I. Dia
Responsable éditorial
Images Francophones
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