Clermont-Ferrand 2013 : la créativité viendrait de l’océan indien.
Une crise du court-métrage francophone, un essor de créativité dans l’océan indien : le point de vue du programmateur Jacques Curtil et de deux réalisateurs de l’océan indien.
Le Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand fête la 25ème édition de sa sélection internationale. Le continent africain est peu représenté dans la compétition, avec seulement trois films du Maghreb, Une journée ordinaire de Bahia Allouache (Algérie), Le sort (The Curse)[1] de Fyzal Boulifa (Royaume-Uni, Maroc), Markeb waraq (Bateau de papier) de Helmy Nouh (Egypte) et un film malgache, Le Zébu de Dadilahy, de Luck Ambinintsoa Razanajaona. Ce dernier livre un joli film aux couleurs saturées qui conte puissamment une histoire simple.
Jacques Curtil est programmateur de la sélection « Regards d’Afrique » (qui, après 25 ans, attire toujours environ 5.000 fidèles clermontois). Le sélectionneur pointe une tendance : une crise affecte la production de films africains depuis une dizaine d’années, mais la créativité est forte dans l’océan indien. « Je perçois une crise dans le cinéma africain francophone. Depuis que le Ministère des Affaires Etrangères a ouvert le Fonds Sud à d’autres pays du Sud, c’est devenu très difficile. Cela se répercute dans le court-métrage africain : il y a moins de films qu’avant. Comme toute chose négative, cela a aussi des effets positifs : cela pousse les réalisateurs à se battre, cela fait le tri, en quelque sorte. »
Jacques Curtil a visionné 2.000 films, en tant que membre du comité de présélection de la compétition internationale, programmateur de la rétrospective consacrée cette année à l’Inde et responsable de la sélection « Regards d’Afrique ». Pour cette sélection, il a reçu 55 films pour un choix de 10 films.
Selon lui, l’évolution des modes de production se répercute fortement sur le contenu formel et narratif des courts-métrages réalisés en Afrique : « Avant, il y avait davantage de films, souvent produits par des sociétés françaises. On avait l’impression de voir toujours un peu le même film, un film « calebasse », au village... Aujourd’hui, les films sont faits avec moins de moyens et il y a beaucoup de films techniquement bancals qui ne passent pas la rampe. Un réalisateur comme Jon Rabaud, avec La Rencontre (Île Maurice), fait la différence, formellement. A 23 ans, il a autoproduit son film. Il s’est donné les moyens. »
Le programmateur constate un déplacement de la créativité du côté des îles de l’océan indien. « Il y a un dynamisme à Madagascar, à l’île Maurice. On n’attend pas d’avoir des sous : on fait des films. J’ai découvert l’urgence à faire des films dans cette région. Ces jeunes réalisateurs ont envie de faire du cinéma, et non pas de « paraître avec le cinéma », comme d’autres qu’on rencontre ici... ! ».
Luck Ambinintsoa Razanajaona (réalisateur du Zébu de Dadilahy) et Jon Rabaud, (réalisateur du film La Rencontre) étaient présents au festival de Clermont. Leurs témoignages confirment une rage de faire. Mais également un désir de reconnaissance institutionnelle, de ne pas instaurer la débrouille en système, parce qu’on a autoproduit son premier film. Pour tous les deux, les festivals locaux ont été un relais indispensable.
Jon Rabaud, 23 ans, cinéaste : le parcours du combattant et l’épreuve du feu
Jon Rabaud retrace un parcours quasiment autodidacte et semé d’embûches : « Le cinéma est la seule chose avec laquelle j’ai grandi. Mes parents étaient cinéphiles. Très tôt, j’ai voulu être cinéaste, mais je n’ai pas osé l’exprimer. A l’Ile Maurice, il n’y a pas de cours de cinéma. Peu après le bac, je suis parti en vacances au Canada et j’ai prolongé mon séjour pour prendre un cours de cinéma, pendant quelques mois. Cela a tout déverrouillé.
J’ai réalisé un premier court-métrage là-bas, Cold blooded. Stanley Kubrick disait que la meilleure école de cinéma, c’est de faire soi-même un film. Ce film, je l’ai inscrit au festival Iles Courts, à Maurice (qui fête sa sixième édition et est soutenu par l’Institut Français). J’ai participé aux ateliers proposés dans ce cadre et j’ai obtenu une bourse de 1.000 euros pour faire un deuxième film. Je suis allé pêcher quelques financements complémentaires et j’ai foncé pour La Rencontre. Cinq mois de préparation, quatre jours de tournage, six mois de post-prod. C’est moi qui ai monté le film. Le monteur son était un copain. Comme les sons directs étaient... médiocres, nous avons post-synchronisé les voix. La musique a été composée par Pascal Pierre, un musicien mauricien. »
Rencontre avec Luck Ambinintsoa Razanajaona.
Réalité du cinéma des îles, rôle des festivals et attentes d’une jeune génération de cinéastes.
Luck Ambinintsoa Razanajaona fait partie d’une génération qui fait du cinéma à Madagascar avec les moyens du bord. Il a la chance d’avoir pu aller au Maroc, pour faire une école de cinéma : « J’ai touché à de nombreux médiums artistiques, comme le slam, les arts plastiques, la vidéo. J’ai fait un premier film tout seul en 2006, je l’ai présenté aux Rencontres de Tananarive. Les retours m’ont encouragé. J’ai été lauréat du concours de l’école de cinéma de Marrakech et après une formation de deux ans, j’ai tourné Le Zébu de Dadilahy. J’avais écrit le scénario dans le cadre de l’école. Je pensais tourner au Maroc une histoire d’âne, mais le zébu fait partie de la vie communautaire malgache et j’ai adapté le récit ». Les conditions de fabrication ont été rudes, avec un budget d’environ 1.200 euros, il a fallu faire appel au système D.
« On est parti tourner avec une équipe de onze personnes, dans le sud. La région n’était pas sécurisée et sept personnes m’ont lâché ! On a fini à cinq, avec l’acteur. C’est moi qui tenais la perche pour le son. On utilisait des grosses pierres ou des bâtons qu’on plantait dans le sol pour servir de pied caméra. Pour la post-production, à Madagascar, cela se fait... à la maison ! J’ai appris à monter à l’école de cinéma. Avec un copain, on a fait l’étalonnage. Le son direct était correct, heureusement ».
Selon ce réalisateur – qui voyage beaucoup grâce à son film et se considère aujourd’hui comme un ambassadeur vis-à-vis de ses compatriotes – l’ouverture sur le monde est très importante... et très difficile à mettre en place pour les réalisateurs venant des Iles, où peu de structures sont en place. « A Madagascar, les gens qui font du cinéma font tous avec les moyens du bord. On est une vingtaine. Beaucoup vivent de la publicité. On travaille sur le film des autres, souvent à peine payés.
Pour faire un documentaire – comme c’est le cas pour Alain Rakotoarisoa (réalisateur de l’excellent documentaire Brebis galeuse, sélection Regards d’Afrique 2013, primé dans plusieurs festivals), qui s’était formé aux Ateliers Varan – on a des moyens limités, on tourne à deux, on monte soi-même et ça va. Pour la fiction, on travaille avec des non professionnels ».
Cette génération de cinéastes attend beaucoup des fonds institutionnels, même si c’est encore insuffisant pour permettre une indépendance complète des cinéastes et techniciens, souvent polyvalents. « Depuis l’apparition du fonds, on essaie d’avoir de l’argent, mais seuls trois projets sont aidés chaque année. Et puis, il n’y a que deux producteurs à Madagascar, l’un est le directeur des Rencontres de Tananarive, l’autre est un court-métragiste qui a créé une structure : mais à eux deux, ils ne peuvent pas accompagner vingt projets ! La production... c’est une autre histoire. Un réalisateur qui rencontre un producteur en France, c’est rare. Le festival de Cannes m’a aidé à faire de bonnes rencontres » témoigne Luck Ambinintsoa Razanajaona.
Jon Rabaud confirme l’espoir que suscite, à l’île Maurice, l’existence de ces fonds pour les jeunes cinéastes qui estiment avoir fait leurs preuves - par l’épreuve du feu -, et aspirent à travailler dans de meilleures conditions : « Récemment, le gouvernement a mis en place un fonds dont peuvent bénéficier les films étrangers qui se tournent à Maurice – ou les producteurs locaux. J’espère pouvoir bénéficier de ce fonds pour mon projet de long-métrage. J’ai rencontré un producteur anglais... » nous renseigne le jeune réalisateur mauricien.
Parallèlement au festival lui-même, l’Association Porteurs d'Images de l’île Maurice était présente (avec le soutien de l’OIF) sur le marché des Courts-Métrages de Clermont avec un catalogue d’une trentaine de courts-métrages, dont celui de Jon Rabaud.
L'Association Porteurs d'Images est animée par David Constantin et Gopalen Chellapermal.
Caroline Pochon
Clap Noir
Crédit photos : Caroline Pochon / Clap Noir
Lire
Fragments de courts-métrages : http://www.clapnoir.org/spip.php?article919
[1] Le sort (The Curse) de Fyzal Boulifa / Royaume-Uni, Maroc a obtenu la Mention du Jury International 2013. Quatre autres films ont reçu cette même mention au Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2013 : San Juan, la noche más larga (Saint-Jean, la nuit la plus longue) de Claudia Huaiquimilla / Chili, Kendo monogatari de Fabián Suárez / Cuba, Guatemala, Koorsoo (Lueur) de Omid Abdollahi / Iran et Girl of Wall (La fille du mur) de Yuji Harada / Japon.
Jacques Curtil est programmateur de la sélection « Regards d’Afrique » (qui, après 25 ans, attire toujours environ 5.000 fidèles clermontois). Le sélectionneur pointe une tendance : une crise affecte la production de films africains depuis une dizaine d’années, mais la créativité est forte dans l’océan indien. « Je perçois une crise dans le cinéma africain francophone. Depuis que le Ministère des Affaires Etrangères a ouvert le Fonds Sud à d’autres pays du Sud, c’est devenu très difficile. Cela se répercute dans le court-métrage africain : il y a moins de films qu’avant. Comme toute chose négative, cela a aussi des effets positifs : cela pousse les réalisateurs à se battre, cela fait le tri, en quelque sorte. »
Jacques Curtil a visionné 2.000 films, en tant que membre du comité de présélection de la compétition internationale, programmateur de la rétrospective consacrée cette année à l’Inde et responsable de la sélection « Regards d’Afrique ». Pour cette sélection, il a reçu 55 films pour un choix de 10 films.
Selon lui, l’évolution des modes de production se répercute fortement sur le contenu formel et narratif des courts-métrages réalisés en Afrique : « Avant, il y avait davantage de films, souvent produits par des sociétés françaises. On avait l’impression de voir toujours un peu le même film, un film « calebasse », au village... Aujourd’hui, les films sont faits avec moins de moyens et il y a beaucoup de films techniquement bancals qui ne passent pas la rampe. Un réalisateur comme Jon Rabaud, avec La Rencontre (Île Maurice), fait la différence, formellement. A 23 ans, il a autoproduit son film. Il s’est donné les moyens. »
Le programmateur constate un déplacement de la créativité du côté des îles de l’océan indien. « Il y a un dynamisme à Madagascar, à l’île Maurice. On n’attend pas d’avoir des sous : on fait des films. J’ai découvert l’urgence à faire des films dans cette région. Ces jeunes réalisateurs ont envie de faire du cinéma, et non pas de « paraître avec le cinéma », comme d’autres qu’on rencontre ici... ! ».
Luck Ambinintsoa Razanajaona (réalisateur du Zébu de Dadilahy) et Jon Rabaud, (réalisateur du film La Rencontre) étaient présents au festival de Clermont. Leurs témoignages confirment une rage de faire. Mais également un désir de reconnaissance institutionnelle, de ne pas instaurer la débrouille en système, parce qu’on a autoproduit son premier film. Pour tous les deux, les festivals locaux ont été un relais indispensable.
Jon Rabaud, 23 ans, cinéaste : le parcours du combattant et l’épreuve du feu
Jon Rabaud retrace un parcours quasiment autodidacte et semé d’embûches : « Le cinéma est la seule chose avec laquelle j’ai grandi. Mes parents étaient cinéphiles. Très tôt, j’ai voulu être cinéaste, mais je n’ai pas osé l’exprimer. A l’Ile Maurice, il n’y a pas de cours de cinéma. Peu après le bac, je suis parti en vacances au Canada et j’ai prolongé mon séjour pour prendre un cours de cinéma, pendant quelques mois. Cela a tout déverrouillé.
J’ai réalisé un premier court-métrage là-bas, Cold blooded. Stanley Kubrick disait que la meilleure école de cinéma, c’est de faire soi-même un film. Ce film, je l’ai inscrit au festival Iles Courts, à Maurice (qui fête sa sixième édition et est soutenu par l’Institut Français). J’ai participé aux ateliers proposés dans ce cadre et j’ai obtenu une bourse de 1.000 euros pour faire un deuxième film. Je suis allé pêcher quelques financements complémentaires et j’ai foncé pour La Rencontre. Cinq mois de préparation, quatre jours de tournage, six mois de post-prod. C’est moi qui ai monté le film. Le monteur son était un copain. Comme les sons directs étaient... médiocres, nous avons post-synchronisé les voix. La musique a été composée par Pascal Pierre, un musicien mauricien. »
Rencontre avec Luck Ambinintsoa Razanajaona.
Réalité du cinéma des îles, rôle des festivals et attentes d’une jeune génération de cinéastes.
Luck Ambinintsoa Razanajaona fait partie d’une génération qui fait du cinéma à Madagascar avec les moyens du bord. Il a la chance d’avoir pu aller au Maroc, pour faire une école de cinéma : « J’ai touché à de nombreux médiums artistiques, comme le slam, les arts plastiques, la vidéo. J’ai fait un premier film tout seul en 2006, je l’ai présenté aux Rencontres de Tananarive. Les retours m’ont encouragé. J’ai été lauréat du concours de l’école de cinéma de Marrakech et après une formation de deux ans, j’ai tourné Le Zébu de Dadilahy. J’avais écrit le scénario dans le cadre de l’école. Je pensais tourner au Maroc une histoire d’âne, mais le zébu fait partie de la vie communautaire malgache et j’ai adapté le récit ». Les conditions de fabrication ont été rudes, avec un budget d’environ 1.200 euros, il a fallu faire appel au système D.
« On est parti tourner avec une équipe de onze personnes, dans le sud. La région n’était pas sécurisée et sept personnes m’ont lâché ! On a fini à cinq, avec l’acteur. C’est moi qui tenais la perche pour le son. On utilisait des grosses pierres ou des bâtons qu’on plantait dans le sol pour servir de pied caméra. Pour la post-production, à Madagascar, cela se fait... à la maison ! J’ai appris à monter à l’école de cinéma. Avec un copain, on a fait l’étalonnage. Le son direct était correct, heureusement ».
Selon ce réalisateur – qui voyage beaucoup grâce à son film et se considère aujourd’hui comme un ambassadeur vis-à-vis de ses compatriotes – l’ouverture sur le monde est très importante... et très difficile à mettre en place pour les réalisateurs venant des Iles, où peu de structures sont en place. « A Madagascar, les gens qui font du cinéma font tous avec les moyens du bord. On est une vingtaine. Beaucoup vivent de la publicité. On travaille sur le film des autres, souvent à peine payés.
Pour faire un documentaire – comme c’est le cas pour Alain Rakotoarisoa (réalisateur de l’excellent documentaire Brebis galeuse, sélection Regards d’Afrique 2013, primé dans plusieurs festivals), qui s’était formé aux Ateliers Varan – on a des moyens limités, on tourne à deux, on monte soi-même et ça va. Pour la fiction, on travaille avec des non professionnels ».
Cette génération de cinéastes attend beaucoup des fonds institutionnels, même si c’est encore insuffisant pour permettre une indépendance complète des cinéastes et techniciens, souvent polyvalents. « Depuis l’apparition du fonds, on essaie d’avoir de l’argent, mais seuls trois projets sont aidés chaque année. Et puis, il n’y a que deux producteurs à Madagascar, l’un est le directeur des Rencontres de Tananarive, l’autre est un court-métragiste qui a créé une structure : mais à eux deux, ils ne peuvent pas accompagner vingt projets ! La production... c’est une autre histoire. Un réalisateur qui rencontre un producteur en France, c’est rare. Le festival de Cannes m’a aidé à faire de bonnes rencontres » témoigne Luck Ambinintsoa Razanajaona.
Jon Rabaud confirme l’espoir que suscite, à l’île Maurice, l’existence de ces fonds pour les jeunes cinéastes qui estiment avoir fait leurs preuves - par l’épreuve du feu -, et aspirent à travailler dans de meilleures conditions : « Récemment, le gouvernement a mis en place un fonds dont peuvent bénéficier les films étrangers qui se tournent à Maurice – ou les producteurs locaux. J’espère pouvoir bénéficier de ce fonds pour mon projet de long-métrage. J’ai rencontré un producteur anglais... » nous renseigne le jeune réalisateur mauricien.
Parallèlement au festival lui-même, l’Association Porteurs d'Images de l’île Maurice était présente (avec le soutien de l’OIF) sur le marché des Courts-Métrages de Clermont avec un catalogue d’une trentaine de courts-métrages, dont celui de Jon Rabaud.
L'Association Porteurs d'Images est animée par David Constantin et Gopalen Chellapermal.
Caroline Pochon
Clap Noir
Crédit photos : Caroline Pochon / Clap Noir
Lire
Fragments de courts-métrages : http://www.clapnoir.org/spip.php?article919
[1] Le sort (The Curse) de Fyzal Boulifa / Royaume-Uni, Maroc a obtenu la Mention du Jury International 2013. Quatre autres films ont reçu cette même mention au Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2013 : San Juan, la noche más larga (Saint-Jean, la nuit la plus longue) de Claudia Huaiquimilla / Chili, Kendo monogatari de Fabián Suárez / Cuba, Guatemala, Koorsoo (Lueur) de Omid Abdollahi / Iran et Girl of Wall (La fille du mur) de Yuji Harada / Japon.