Cinéastes face aux festivals : Et si on se parlait franchement ? Seconde partie.
Suite et fin de l'analyse des relations entre cinéastes et festivals, avec des témoignages croisés de réalisateurs, directeurs de festival et festivaliers.
Les festivals de films africains d’aujourd’hui peuvent-ils prétendre à la renommée dont ils jouissaient autrefois? Et redevenir des rencontres où les débats passionnés entre réalisateurs étaient au cœur des manifestations ? Y a-t-il un espoir qu’un jour ils égalent les grosses machines bien huilées que sont les festivals de Cannes, Berlin, TriBeCa, Venise ou encore Rotterdam dans lesquels les cinéastes africains rêvent de voir leur film en compétition ? Cinéastes et organisateurs redessinent en creux les festivals du futur à la hauteur des ambitions des cinémas d’Afrique.
À qui profitent vraiment les festivals aujourd’hui?
On l’a dit dans la première partie (sur Images Francophones) : les festivals se multiplient, surtout les festivals de films africains en Occident, ce qui est en soi une bonne chose. Mais selon le réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo (Quartier Mozart, Les Saignantes), le modèle économique doit évoluer : « Le modèle qui consistait à dire au cinéaste d'accepter de donner son film à un festival, dans l'espoir de trouver un distributeur, ne tient plus la route. Les festivals sont en soi un mode de distribution et devraient payer un prix de location du film conséquent, développe-t-il. Quand on calcule combien une invitation d'un film et de son réalisateur coûte à un festival, on n’est pas loin des 3.000 euros pour le billet d'avion, l’hôtel et le repas. Si les festivals payaient 1.000 euros par film, un cinéaste qui fait 100 festivals en deux ans, ce qui arrive très souvent, il aurait 100 000 euros; ce qui permettrait aux cinéastes de financer un autre film. Les films africains rapportent plus aux compagnies aériennes et aux hôtels qu’aux cinéastes africains, aux comédiens et techniciens ».
Pour Gérard Le Chêne, PDG International du Festival international de cinéma Vues d'Afrique de Montréal, les cinéastes ont raison d’être frustrés. « À l’époque déjà, quand on a commencé Vues d'Afrique, Tahar Cheriaa du Festival de Carthage disait : « Nous cinéastes ne vivons pas de festivals ». Même les prix, bien que symboliques, ne les nourrissent pas », approuve-il.
Après avoir participé à plusieurs festivals de films africains au Nord, dont ceux organisés dans des petites villes, le Rwandais Kivu Ruhorahoza (Matière Grise) raconte que le public était essentiellement composé d’"africanophiles" plutôt que des cinéphiles, avec une moyenne d’âge d’environ soixante ans. Ce sont d’anciens humanitaires et coopérants nostalgiques, de vieux professeurs d’anthropologie, quelques jeunes chercheurs et enfin, the last but not the least, une poignée de véritables cinéphiles, curieux de découvrir d’autres objets cinématographiques. Pour ce qui est du Sud, ça s’avère être une toute autre composante, selon lui :" Dans ces festivals, le public est souvent dans son écrasante majorité composé d’expatriés qui n’oseraient nous critiquer, pour des raisons que nous connaissons tous ", dit-il sans commenter davantage.
La formule magique pour faire un bon festival ne semble pas non plus se trouver dans l’organisation de congrès ou de grandes conférences. Comme l’a fait remarquer une festivalière : « Les organisateurs des festivals en Afrique semblent obsédés par les congrès, les colloques et les hommages, a-t-elle lancé, Il y a des festivals où les cinéastes ont généreusement offert leur film au festival sans contrepartie et qui se voient logés dans des hôtels miteux, alors que les participants aux congrès et autres colloques bénéficient d’une hospitalité cinq étoiles! ».
Il faut bien choisir son festival !
Les festivals ne sont-ils vraiment qu’« une fête populaire où l'on vient pour le soleil et les millions distribués en prix spéciaux » pour reprendre les propos d’un cinéaste, à propos d’un festival ? Non, fort heureusement : « Il y a quelques petits festivals qui devraient vraiment servir d’exemple, comme le Festival international du film francophone de Tübingen, en Allemagne, et le Festival du Film d’Aarhus, au Danemark. Ce n’est pas le financement qui fait la différence avec ces deux-là ; c’est l’engagement, la passion, l’intelligence et la vision », explique Kivu Ruhorahoza.
« Pourquoi ne pas faire circuler de festival en festival les professionnels de l’événementiel et les bons programmateurs afin qu’ils transmettent leur savoir? », s ‘exclame-t-il. « Il faut que les professionnels circulent. Il faut que les organisations s’ouvrent à des compétences venues d’ailleurs. S’il y a des sensibilités à ne pas bousculer, pensons régionalement! ", poursuit-il.
D’après Mohamed Saïd Ouma, Directeur du Festival international du film d'Afrique et des îles de la Réunion - FIFAI, il faut bien choisir son festival! " Un festival, c'est comme un film ou une œuvre artistique, il faut lire sa ligne éditoriale, voir sa programmation et parler cinéma avec ceux qui le dirigent pour se dire : Tiens ça vaut la peine de venir là ! Si c'est juste pour voyager... autant aller en vacances avec sa famille ou ses amis… Il n'y a pas d'un côté un aspect business et d'un autre coté un aspect artistique, les deux sont intimement liés. Mais c'est au réalisateur d'être capable de lier les deux, pas au Festival, ajoute-t-il.
Pour Gérard Le Chêne, PDG de Vues d'Afrique, cinéastes et festivals sont dans le même bateau. « Notre festival est là pour faire connaitre le cinéma et les cinéastes, on est dans un même objectif ».
« Il faudra plus d’ingéniosité, de mutualisation des moyens, par exemple plusieurs festivals qui se regroupent et crée des synergies et s'échangent des copies, et des invités, pour rester en vie. Pour les films je suis très optimiste car il semble que les nouvelles générations de réalisateurs soient plus connectées au Tout Monde et qu'ils ont un désir profond d'être vus au-delà du cercle des aficionados du cinéma africain", conclut Mohamed Saïd Ouma.
Entre optimisme et scepticisme, l’avenir des festivals de films africains oscille, surtout en cette période de marasme économique. On s’accorde tout de même à reconnaître que les festivals sont nécessaires, pour faire circuler et faire voir les films d’Afrique. Car, en l’absence de véritable industrie cinématographique avec toutes les chaînes de production et de distribution sur le continent africain, le festival reste pour le film africain ce qu’est une galerie à une œuvre d’art.
par Djia Mambu
Africiné / Bruxelles
pour Images Francophones
Illustration : Ruth Nirere, actrice principale de Matière Grise (Kivu Ruhorahoza). Crédit : Droits réservés.
À qui profitent vraiment les festivals aujourd’hui?
On l’a dit dans la première partie (sur Images Francophones) : les festivals se multiplient, surtout les festivals de films africains en Occident, ce qui est en soi une bonne chose. Mais selon le réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo (Quartier Mozart, Les Saignantes), le modèle économique doit évoluer : « Le modèle qui consistait à dire au cinéaste d'accepter de donner son film à un festival, dans l'espoir de trouver un distributeur, ne tient plus la route. Les festivals sont en soi un mode de distribution et devraient payer un prix de location du film conséquent, développe-t-il. Quand on calcule combien une invitation d'un film et de son réalisateur coûte à un festival, on n’est pas loin des 3.000 euros pour le billet d'avion, l’hôtel et le repas. Si les festivals payaient 1.000 euros par film, un cinéaste qui fait 100 festivals en deux ans, ce qui arrive très souvent, il aurait 100 000 euros; ce qui permettrait aux cinéastes de financer un autre film. Les films africains rapportent plus aux compagnies aériennes et aux hôtels qu’aux cinéastes africains, aux comédiens et techniciens ».
Pour Gérard Le Chêne, PDG International du Festival international de cinéma Vues d'Afrique de Montréal, les cinéastes ont raison d’être frustrés. « À l’époque déjà, quand on a commencé Vues d'Afrique, Tahar Cheriaa du Festival de Carthage disait : « Nous cinéastes ne vivons pas de festivals ». Même les prix, bien que symboliques, ne les nourrissent pas », approuve-il.
Après avoir participé à plusieurs festivals de films africains au Nord, dont ceux organisés dans des petites villes, le Rwandais Kivu Ruhorahoza (Matière Grise) raconte que le public était essentiellement composé d’"africanophiles" plutôt que des cinéphiles, avec une moyenne d’âge d’environ soixante ans. Ce sont d’anciens humanitaires et coopérants nostalgiques, de vieux professeurs d’anthropologie, quelques jeunes chercheurs et enfin, the last but not the least, une poignée de véritables cinéphiles, curieux de découvrir d’autres objets cinématographiques. Pour ce qui est du Sud, ça s’avère être une toute autre composante, selon lui :" Dans ces festivals, le public est souvent dans son écrasante majorité composé d’expatriés qui n’oseraient nous critiquer, pour des raisons que nous connaissons tous ", dit-il sans commenter davantage.
La formule magique pour faire un bon festival ne semble pas non plus se trouver dans l’organisation de congrès ou de grandes conférences. Comme l’a fait remarquer une festivalière : « Les organisateurs des festivals en Afrique semblent obsédés par les congrès, les colloques et les hommages, a-t-elle lancé, Il y a des festivals où les cinéastes ont généreusement offert leur film au festival sans contrepartie et qui se voient logés dans des hôtels miteux, alors que les participants aux congrès et autres colloques bénéficient d’une hospitalité cinq étoiles! ».
Il faut bien choisir son festival !
Les festivals ne sont-ils vraiment qu’« une fête populaire où l'on vient pour le soleil et les millions distribués en prix spéciaux » pour reprendre les propos d’un cinéaste, à propos d’un festival ? Non, fort heureusement : « Il y a quelques petits festivals qui devraient vraiment servir d’exemple, comme le Festival international du film francophone de Tübingen, en Allemagne, et le Festival du Film d’Aarhus, au Danemark. Ce n’est pas le financement qui fait la différence avec ces deux-là ; c’est l’engagement, la passion, l’intelligence et la vision », explique Kivu Ruhorahoza.
« Pourquoi ne pas faire circuler de festival en festival les professionnels de l’événementiel et les bons programmateurs afin qu’ils transmettent leur savoir? », s ‘exclame-t-il. « Il faut que les professionnels circulent. Il faut que les organisations s’ouvrent à des compétences venues d’ailleurs. S’il y a des sensibilités à ne pas bousculer, pensons régionalement! ", poursuit-il.
D’après Mohamed Saïd Ouma, Directeur du Festival international du film d'Afrique et des îles de la Réunion - FIFAI, il faut bien choisir son festival! " Un festival, c'est comme un film ou une œuvre artistique, il faut lire sa ligne éditoriale, voir sa programmation et parler cinéma avec ceux qui le dirigent pour se dire : Tiens ça vaut la peine de venir là ! Si c'est juste pour voyager... autant aller en vacances avec sa famille ou ses amis… Il n'y a pas d'un côté un aspect business et d'un autre coté un aspect artistique, les deux sont intimement liés. Mais c'est au réalisateur d'être capable de lier les deux, pas au Festival, ajoute-t-il.
Pour Gérard Le Chêne, PDG de Vues d'Afrique, cinéastes et festivals sont dans le même bateau. « Notre festival est là pour faire connaitre le cinéma et les cinéastes, on est dans un même objectif ».
« Il faudra plus d’ingéniosité, de mutualisation des moyens, par exemple plusieurs festivals qui se regroupent et crée des synergies et s'échangent des copies, et des invités, pour rester en vie. Pour les films je suis très optimiste car il semble que les nouvelles générations de réalisateurs soient plus connectées au Tout Monde et qu'ils ont un désir profond d'être vus au-delà du cercle des aficionados du cinéma africain", conclut Mohamed Saïd Ouma.
Entre optimisme et scepticisme, l’avenir des festivals de films africains oscille, surtout en cette période de marasme économique. On s’accorde tout de même à reconnaître que les festivals sont nécessaires, pour faire circuler et faire voir les films d’Afrique. Car, en l’absence de véritable industrie cinématographique avec toutes les chaînes de production et de distribution sur le continent africain, le festival reste pour le film africain ce qu’est une galerie à une œuvre d’art.
par Djia Mambu
Africiné / Bruxelles
pour Images Francophones
Illustration : Ruth Nirere, actrice principale de Matière Grise (Kivu Ruhorahoza). Crédit : Droits réservés.