Cinéastes face aux festivals : Et si on se parlait franchement ? Première partie.
Regards croisés entre cinéastes et organisateurs de festivals de cinéma dont celui de Vues d’Afrique (Montréal, du 26 avril au 05 mai 2013).
Bien que les festivals des films africains soient essentiels pour la circulation des films et pour la visibilité des cinémas d’Afrique à cause de l’absence d’industries du cinéma sur le continent, on sent monter une vague de déception du côté des cinéastes pour ces fêtes du 7ème art, qu’elles aient lieu sur le continent ou ailleurs.
Loin de vouloir alimenter la polémique, voyons ce que cinéastes et organisateurs de festivals disent sur cette relation qui nous rappelle une certaine rengaine : « Je t’aime, moi non plus »…
On se souviendra des propos de Mahamat-Saleh Haroun en 2011 sur le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le plus grand festival du film africain sur le continent. Après s’être fait balader d’hôtels en hôtels par l’organisation, le réalisateur tchadien avait déclaré qu’il ne mettra plus les pieds au Fespaco lors d’un entretien accordé à Africultures [à lire ici]. Au-delà de pointer les faiblesses dans l’organisation que nous lui connaissons, le cinéaste (Étalon d’argent avec Un homme qui crie, lors de la 22e édition) avait exprimé tout haut son regret quant à la tournure décevante que prenait cette grande manifestation du cinéma africain.
Dans un entretien avec Martial Nguéa (Africiné) [à lire ici], Haroun précise : « Je n'ai pas parlé après le palmarès. […] En fait, ce qui m'a fait parler, c'est parce que je trouve qu'il y a un bordel impardonnable au Fespaco depuis plusieurs années. A plus de 40 ans d'existence, on sait ce qu'il y a lieu de faire. Je ne comprends pas qu'après toutes ces années, ces expériences, un festival qui nous représente nous humilie et nous manque de respect à ce point. Je refuse de cautionner cela. »
Pour la critique de cinéma Catherine Ruelle, qui animait l’émission "Cinéma d’aujourd’hui, Cinémas sans frontières" sur RFI, la déception portait sur le comportement de la nouvelle génération de cinéastes présents au Fespaco: « J’ai l’impression qu’il n’y a plus d’esprit de cinéma mais un manque d’esprit militant depuis que les ‘’vieux’’ ne sont plus là. Il manque leur talent, leur engament, leur façon de travailler tous ensemble. Là, on a l’impression d’être dans un business de TV », soufflait la journaliste française dans un entretien accordé à la revue Artisttik Africa (Cotonou).
« J’ai arrêté de me rendre dans des festivals….»
Certes, les festivals de films africains sont légions mais quels sont ceux qui font véritablement le poids et qui ont un véritable impact sur la carrière d’un film ou d’un réalisateur? Selon certains cinéastes, très peu sont vraiment utiles pour les cinéastes et pour la communauté.
« J’ai arrêté de me rendre dans des festivals, quand j’ai commencé à réaliser qu’il ne s’agissait en fait pas des cinéastes mais des organisateurs. Ça devient juste ennuyant et prévisible, alors j’ai décidé de sauter hors du train », raconte Mickey Dube, réalisateur sud-africain (Sobukwe) à propos d’un grand festival de film africain aux États-Unis où il ne s’était pas rendu depuis dix ans. « Ma dernière expérience dans un festival était vraiment décevante. Je me souviens que j’y étais à ses tous débuts, je venais de finir mes études de cinéma et j’aidais alors beaucoup dans l‘organisation de la première édition de ce festival public. Mais ce que j’ai vu récemment était simplement une ombre de ce que le festival fut à l’origine, c’est-à-dire un festival vibrant. Maintenant, c’est juste devenu un évènement, une série de projections, mais plus du tout un festival… Je ne l’ai pas dit au directeur, de peur de heurter ses sentiments… ».
C’est ce même ressenti qu’éprouve le jeune réalisateur rwandais Kivu Ruhorahoza (Matière Grise) : « Il est vrai que les festivals de cinéma pullulent. Quand j’ai commencé à en visiter avec mes courts-métrages, j’ai très vite déchanté. Aujourd’hui, à part les Premières mondiales, européennes, qui sont vraiment incontournables, je ne vais à un festival que pour une de ces cinq raisons : possibilité de networking, public vraiment cinéphile, compétition avec des prix alléchants, pays ou région où j’ai un ami, voire une ancienne maîtresse ou de la famille que je souhaite voir ou tout simplement parce que je n’ai encore jamais visité la ville ».
Pour Mohamed Saïd Ouma, Directeur du Festival international du film d'Afrique et des Îles (FIFAI, ïle de la Réunion), un festival c'est un peu une fête, un moment de partage et d'échange, une occasion de découvertes pour les publics, et pour les festivals de catégorie A (les très grands) une plateforme professionnelle. Selon lui, chaque festival a sa propre logique qui suit son implication dans un territoire.
« Il faut être conscient de ses faiblesses et de ses forces. Pour ce qui est du FIFAI, c'est l'isolement des grands centres de pouvoir ainsi que le budget limité. Ses faiblesses, nous essayons d'en faire des forces en privilégiant les cinéastes de la région, et en proposant une programmation qui corresponde à notre vision d'un cinéma d'auteur exigeant. De ce fait, les réalisateurs qui acceptent ce long voyage vers nos contrées sont choisis avec soin et nous essayons de leur rendre cet honneur. Ce sont des cinéastes qui doivent être capables de donner à voir et à écouter et à transmettre », dit-il.
Des sélections médiocres, voire fantaisistes
Qui est finalement le mieux placé pour juger de ce qu’est une bonne sélection dans un festival ? Si l’on prend les téléspectateurs par exemple, ils ont beau critiquer le programme télévisé, cela n’empêche pas qu’ils soient des millions scotchés devant leur téléviseur durant des heures. Les réalisateurs ont tendance à penser que seuls les cinémas d’auteurs ont leur place dans des festivals de films, reste à savoir si le public partage cette idée. « Je connais un festival dont la programmation est un fourre-tout où on peut voir des films ethnologiques, des films d’ONG, des reportages maladroits qui se veulent documentaires,… C’est atroce. Si on a de la chance, quelques excellents longs-métrages sont parfois noyés dedans… », raconte Kivu Ruhorahoza.
Finalement, Mahamat-Saleh Haroun n’avait peut-être pas tout à fait raison en pointant le Fespaco comme étant « le seul festival où il n’y a pas d’exigence dans la sélection, avec des films qui n'ont rien à faire là ni dans d'autres festivals ».
Selon Guido Huysmans du Festival du Film Africain de Louvain en Belgique, les films dits commerciaux ont toute leur place dans des festivals de films : « Moi, je n’ai rien contre les films dits commerciaux. Ce n’est pas parce qu’un film est commercial qu’il est moins artistique. Pas mal de gens dans ce milieu opposent le cinéma commercial (qu’ils pensent forcément mauvais) au cinéma d’auteur (qu’ils pensent forcément bon). C’est surtout dans les milieux cinéphiles francophones qu’on entend ce genre de remarques que je n’ai jamais vraiment compris...
Il y a plein de films dits commerciaux qui sont très artistiques. Je pense notamment au film The Godfather [Le Parrain, de Francis Ford Coppola, 1972] ou encore Dog day afternoon [Un après-midi de chien, réalisé par Sidney Lumet en 1975], les films de Kubrick et les films de Kurosawa. Il est vrai que les films commerciaux africains ne constituent pas toujours des grandes œuvres artistiques, mais elles reflètent parfois mieux la réalité sur le terrain. Un bon nombre de thèmes intéressants sont abordés… Les films d’art et d’essai africains ne sont parfois seulement vus et appréciés que par des spectateurs européens », poursuit-il. « Des films comme Tey du Sénégalais Alain Gomis ou Heremakono d’Abderrhamane Sissako ont été primés au Fespaco… Moi, j’ai beaucoup aimé ces films, mais quel public africain les ont déjà vus ? »
« Les réalisateurs africains se concentrent sur les festivals, au lieu de se concentrer sur la distribution…»
Certains directeurs de Festivals l’annoncent dès le départ, leur festival n’est pas un marché pour distributeurs. C’est le cas par exemple du Festival international du film d'Afrique et des Îles (FIFAI) : « Ce n'est pas en venant à la Réunion qu'on pourra trouver un distributeur pour son film ! Par contre, l'échange est au cœur de notre travail », justifie le nouveau directeur du FIFAI, Mohamed Saïd Ouma.
Malgré cela, les cinéastes courent de festivals en festivals, dans le seul espoir de trouver un distributeur, peu importe la qualité du film. « Les réalisateurs africains se concentrent sur les festivals au lieu de se concentrer sur la distribution, il en résulte une espèce de ghettoïsation, explique Mickey Dube. Nous nous enfermons dans une routine dans laquelle nous allons toujours dans les mêmes festivals, encore et encore, voyons encore et toujours les mêmes personnes, qui parlent des mêmes problèmes encore et toujours, se plaignent sur les mêmes choses, encore et toujours, etc. » constate le réalisateur sud-africain.
Trouver un distributeur n’est pas chose aisée dans cette industrie déjà boiteuse, encore faut-il que les distributeurs soient intéressés. Un combat qui n’est pas exclusif aux cinéastes, d’après Gérard Le Chêne (photo), PDG du Festival international de cinéma Vues d’Afrique : "Il en pousse beaucoup de festivals comme des champignons, parce qu’il n'y a pas de place ailleurs pour montrer les films. Les salles ne les programment pas et les télévisions n’en veulent pas, le cinéma d’auteur ne marche plus. Maintenant, ce qui les intéresse ce sont les Star Academy, les jeux questionnaires etc…
En salles, on ne trouve plus que les supers productions 3D. C’est difficile, on en est bien conscient ; mais le problème c’est que les distributeurs nous répondent toujours la même chose : « On ne peut pas vous acheter si les télévisions ne nous achètent pas ! ».
« Les réalisateurs jouent parfois les enfants gâtés »
En Belgique, grâce à des distributeurs comme Cinéart, BrunBro Films, Libération Films, Imagine, les films africains sont en mesure de trouver un grand public. « Les cinéastes doivent comprendre que nous en tant que festival, notre premier but est toujours de trouver un distributeur en Belgique pour un ou deux films que l’on montre au festival », explique Guido Huysmans. Cette année particulièrement, il s’agissait du film La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré.
Mais selon Guido Huysmans, les choses ne se sont pas vraiment déroulées comme l’organisation l’entendait, parce que le cinéaste sénégalais n’est finalement pas venu. « Je pense qu’il n’a pas bien saisi. Soudainement, il nous demandait un billet en première classe… Ce qui ne l’a pas empêché de se rendre une semaine après en Roumanie où son film n’est pourtant pas distribué mais seulement montré une fois devant une centaine de personnes. Alors que, grâce à nous, son film va être vu dans toute la Belgique…".
D’après Mohamed Saïd Ouma, Directeur du FIFAI, ce n'est pas le rôle du festival d'être un « sales agent » (Vendeur International). « Les réalisateurs jouent parfois aux enfants gâtés. Les festivals sur le cinéma africain ont souvent été très conciliants à leur égard, acceptant bon nombre de caprices, de films qui techniquement n'étaient pas à la hauteur et aux normes internationales, souvent sous prétexte que c'étaient les seuls lieux ou on pouvait voir ces films. On demande à un festival de dépasser sa fonction, son essence. Un festival est la cerise sur le gâteau, lorsqu’un film suit la logique du circuit. Sauf les très très grands qui servent de rampe de lancement... mais il n'y a qu'un festival de Cannes, un Berlin etc... Si le film ne suit pas cette logique, lorsqu'il arrive en festival, les problèmes de promotion, de distribution, d'outils de communication, de mise en scène, sont alors exposés en pleine lumière ».
par Djia Mambu,
Africiné / Montréal
(À lire dans la seconde partie de Cinéastes face aux Festivals : Et si on se parlait franchement ? comment organisateurs et cinéastes conçoivent-ils une meilleure conciliation pour l’avenir des festivals des cinémas d’Afrique).
Photo : Gérard Le Chêne, Montréal
Crédit : DR
Loin de vouloir alimenter la polémique, voyons ce que cinéastes et organisateurs de festivals disent sur cette relation qui nous rappelle une certaine rengaine : « Je t’aime, moi non plus »…
On se souviendra des propos de Mahamat-Saleh Haroun en 2011 sur le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le plus grand festival du film africain sur le continent. Après s’être fait balader d’hôtels en hôtels par l’organisation, le réalisateur tchadien avait déclaré qu’il ne mettra plus les pieds au Fespaco lors d’un entretien accordé à Africultures [à lire ici]. Au-delà de pointer les faiblesses dans l’organisation que nous lui connaissons, le cinéaste (Étalon d’argent avec Un homme qui crie, lors de la 22e édition) avait exprimé tout haut son regret quant à la tournure décevante que prenait cette grande manifestation du cinéma africain.
Dans un entretien avec Martial Nguéa (Africiné) [à lire ici], Haroun précise : « Je n'ai pas parlé après le palmarès. […] En fait, ce qui m'a fait parler, c'est parce que je trouve qu'il y a un bordel impardonnable au Fespaco depuis plusieurs années. A plus de 40 ans d'existence, on sait ce qu'il y a lieu de faire. Je ne comprends pas qu'après toutes ces années, ces expériences, un festival qui nous représente nous humilie et nous manque de respect à ce point. Je refuse de cautionner cela. »
Pour la critique de cinéma Catherine Ruelle, qui animait l’émission "Cinéma d’aujourd’hui, Cinémas sans frontières" sur RFI, la déception portait sur le comportement de la nouvelle génération de cinéastes présents au Fespaco: « J’ai l’impression qu’il n’y a plus d’esprit de cinéma mais un manque d’esprit militant depuis que les ‘’vieux’’ ne sont plus là. Il manque leur talent, leur engament, leur façon de travailler tous ensemble. Là, on a l’impression d’être dans un business de TV », soufflait la journaliste française dans un entretien accordé à la revue Artisttik Africa (Cotonou).
« J’ai arrêté de me rendre dans des festivals….»
Certes, les festivals de films africains sont légions mais quels sont ceux qui font véritablement le poids et qui ont un véritable impact sur la carrière d’un film ou d’un réalisateur? Selon certains cinéastes, très peu sont vraiment utiles pour les cinéastes et pour la communauté.
« J’ai arrêté de me rendre dans des festivals, quand j’ai commencé à réaliser qu’il ne s’agissait en fait pas des cinéastes mais des organisateurs. Ça devient juste ennuyant et prévisible, alors j’ai décidé de sauter hors du train », raconte Mickey Dube, réalisateur sud-africain (Sobukwe) à propos d’un grand festival de film africain aux États-Unis où il ne s’était pas rendu depuis dix ans. « Ma dernière expérience dans un festival était vraiment décevante. Je me souviens que j’y étais à ses tous débuts, je venais de finir mes études de cinéma et j’aidais alors beaucoup dans l‘organisation de la première édition de ce festival public. Mais ce que j’ai vu récemment était simplement une ombre de ce que le festival fut à l’origine, c’est-à-dire un festival vibrant. Maintenant, c’est juste devenu un évènement, une série de projections, mais plus du tout un festival… Je ne l’ai pas dit au directeur, de peur de heurter ses sentiments… ».
C’est ce même ressenti qu’éprouve le jeune réalisateur rwandais Kivu Ruhorahoza (Matière Grise) : « Il est vrai que les festivals de cinéma pullulent. Quand j’ai commencé à en visiter avec mes courts-métrages, j’ai très vite déchanté. Aujourd’hui, à part les Premières mondiales, européennes, qui sont vraiment incontournables, je ne vais à un festival que pour une de ces cinq raisons : possibilité de networking, public vraiment cinéphile, compétition avec des prix alléchants, pays ou région où j’ai un ami, voire une ancienne maîtresse ou de la famille que je souhaite voir ou tout simplement parce que je n’ai encore jamais visité la ville ».
Pour Mohamed Saïd Ouma, Directeur du Festival international du film d'Afrique et des Îles (FIFAI, ïle de la Réunion), un festival c'est un peu une fête, un moment de partage et d'échange, une occasion de découvertes pour les publics, et pour les festivals de catégorie A (les très grands) une plateforme professionnelle. Selon lui, chaque festival a sa propre logique qui suit son implication dans un territoire.
« Il faut être conscient de ses faiblesses et de ses forces. Pour ce qui est du FIFAI, c'est l'isolement des grands centres de pouvoir ainsi que le budget limité. Ses faiblesses, nous essayons d'en faire des forces en privilégiant les cinéastes de la région, et en proposant une programmation qui corresponde à notre vision d'un cinéma d'auteur exigeant. De ce fait, les réalisateurs qui acceptent ce long voyage vers nos contrées sont choisis avec soin et nous essayons de leur rendre cet honneur. Ce sont des cinéastes qui doivent être capables de donner à voir et à écouter et à transmettre », dit-il.
Des sélections médiocres, voire fantaisistes
Qui est finalement le mieux placé pour juger de ce qu’est une bonne sélection dans un festival ? Si l’on prend les téléspectateurs par exemple, ils ont beau critiquer le programme télévisé, cela n’empêche pas qu’ils soient des millions scotchés devant leur téléviseur durant des heures. Les réalisateurs ont tendance à penser que seuls les cinémas d’auteurs ont leur place dans des festivals de films, reste à savoir si le public partage cette idée. « Je connais un festival dont la programmation est un fourre-tout où on peut voir des films ethnologiques, des films d’ONG, des reportages maladroits qui se veulent documentaires,… C’est atroce. Si on a de la chance, quelques excellents longs-métrages sont parfois noyés dedans… », raconte Kivu Ruhorahoza.
Finalement, Mahamat-Saleh Haroun n’avait peut-être pas tout à fait raison en pointant le Fespaco comme étant « le seul festival où il n’y a pas d’exigence dans la sélection, avec des films qui n'ont rien à faire là ni dans d'autres festivals ».
Selon Guido Huysmans du Festival du Film Africain de Louvain en Belgique, les films dits commerciaux ont toute leur place dans des festivals de films : « Moi, je n’ai rien contre les films dits commerciaux. Ce n’est pas parce qu’un film est commercial qu’il est moins artistique. Pas mal de gens dans ce milieu opposent le cinéma commercial (qu’ils pensent forcément mauvais) au cinéma d’auteur (qu’ils pensent forcément bon). C’est surtout dans les milieux cinéphiles francophones qu’on entend ce genre de remarques que je n’ai jamais vraiment compris...
Il y a plein de films dits commerciaux qui sont très artistiques. Je pense notamment au film The Godfather [Le Parrain, de Francis Ford Coppola, 1972] ou encore Dog day afternoon [Un après-midi de chien, réalisé par Sidney Lumet en 1975], les films de Kubrick et les films de Kurosawa. Il est vrai que les films commerciaux africains ne constituent pas toujours des grandes œuvres artistiques, mais elles reflètent parfois mieux la réalité sur le terrain. Un bon nombre de thèmes intéressants sont abordés… Les films d’art et d’essai africains ne sont parfois seulement vus et appréciés que par des spectateurs européens », poursuit-il. « Des films comme Tey du Sénégalais Alain Gomis ou Heremakono d’Abderrhamane Sissako ont été primés au Fespaco… Moi, j’ai beaucoup aimé ces films, mais quel public africain les ont déjà vus ? »
« Les réalisateurs africains se concentrent sur les festivals, au lieu de se concentrer sur la distribution…»
Certains directeurs de Festivals l’annoncent dès le départ, leur festival n’est pas un marché pour distributeurs. C’est le cas par exemple du Festival international du film d'Afrique et des Îles (FIFAI) : « Ce n'est pas en venant à la Réunion qu'on pourra trouver un distributeur pour son film ! Par contre, l'échange est au cœur de notre travail », justifie le nouveau directeur du FIFAI, Mohamed Saïd Ouma.
Malgré cela, les cinéastes courent de festivals en festivals, dans le seul espoir de trouver un distributeur, peu importe la qualité du film. « Les réalisateurs africains se concentrent sur les festivals au lieu de se concentrer sur la distribution, il en résulte une espèce de ghettoïsation, explique Mickey Dube. Nous nous enfermons dans une routine dans laquelle nous allons toujours dans les mêmes festivals, encore et encore, voyons encore et toujours les mêmes personnes, qui parlent des mêmes problèmes encore et toujours, se plaignent sur les mêmes choses, encore et toujours, etc. » constate le réalisateur sud-africain.
Trouver un distributeur n’est pas chose aisée dans cette industrie déjà boiteuse, encore faut-il que les distributeurs soient intéressés. Un combat qui n’est pas exclusif aux cinéastes, d’après Gérard Le Chêne (photo), PDG du Festival international de cinéma Vues d’Afrique : "Il en pousse beaucoup de festivals comme des champignons, parce qu’il n'y a pas de place ailleurs pour montrer les films. Les salles ne les programment pas et les télévisions n’en veulent pas, le cinéma d’auteur ne marche plus. Maintenant, ce qui les intéresse ce sont les Star Academy, les jeux questionnaires etc…
En salles, on ne trouve plus que les supers productions 3D. C’est difficile, on en est bien conscient ; mais le problème c’est que les distributeurs nous répondent toujours la même chose : « On ne peut pas vous acheter si les télévisions ne nous achètent pas ! ».
« Les réalisateurs jouent parfois les enfants gâtés »
En Belgique, grâce à des distributeurs comme Cinéart, BrunBro Films, Libération Films, Imagine, les films africains sont en mesure de trouver un grand public. « Les cinéastes doivent comprendre que nous en tant que festival, notre premier but est toujours de trouver un distributeur en Belgique pour un ou deux films que l’on montre au festival », explique Guido Huysmans. Cette année particulièrement, il s’agissait du film La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré.
Mais selon Guido Huysmans, les choses ne se sont pas vraiment déroulées comme l’organisation l’entendait, parce que le cinéaste sénégalais n’est finalement pas venu. « Je pense qu’il n’a pas bien saisi. Soudainement, il nous demandait un billet en première classe… Ce qui ne l’a pas empêché de se rendre une semaine après en Roumanie où son film n’est pourtant pas distribué mais seulement montré une fois devant une centaine de personnes. Alors que, grâce à nous, son film va être vu dans toute la Belgique…".
D’après Mohamed Saïd Ouma, Directeur du FIFAI, ce n'est pas le rôle du festival d'être un « sales agent » (Vendeur International). « Les réalisateurs jouent parfois aux enfants gâtés. Les festivals sur le cinéma africain ont souvent été très conciliants à leur égard, acceptant bon nombre de caprices, de films qui techniquement n'étaient pas à la hauteur et aux normes internationales, souvent sous prétexte que c'étaient les seuls lieux ou on pouvait voir ces films. On demande à un festival de dépasser sa fonction, son essence. Un festival est la cerise sur le gâteau, lorsqu’un film suit la logique du circuit. Sauf les très très grands qui servent de rampe de lancement... mais il n'y a qu'un festival de Cannes, un Berlin etc... Si le film ne suit pas cette logique, lorsqu'il arrive en festival, les problèmes de promotion, de distribution, d'outils de communication, de mise en scène, sont alors exposés en pleine lumière ».
par Djia Mambu,
Africiné / Montréal
(À lire dans la seconde partie de Cinéastes face aux Festivals : Et si on se parlait franchement ? comment organisateurs et cinéastes conçoivent-ils une meilleure conciliation pour l’avenir des festivals des cinémas d’Afrique).
Photo : Gérard Le Chêne, Montréal
Crédit : DR