Ciné Sud 2014 - "L'Afrique consomme beaucoup mais propose très peu"
Avec 27 films en compétition et 13 professionnels invités, la 15e édition du festival CinéSud de Cozes (France), rendez-vous bientôt incontournable des courts africains, a organisé le 22 février 2014 une table ronde sur l'état des lieux du court-métrage en Afrique. Compte-rendu.
Cette année, la programmation de CinéSud était composée de films venus de 13 pays d'Afrique, réalisés par des hommes (22) et des femmes (5) majoritairement nés dans les années 1980 et formés sur le continent (Higher Cinema Institute du Caire, ESAV de Marrakech, Big Fish School of Digital Filmmaking et AFDA de Johannesburg). Fait important pour être souligné, quatre d'entre eux venaient du milieu des Beaux-Arts, élargissant ainsi le spectre des influences cinématographiques sur le continent.
Ne pas attendre l'Etat
Pourtant, comme le soulignait Dorine Bourineau, la responsable française du Pôle Education à l'image de Poitou-Charentes, "le court-métrage africain a deux freins : être court et être africain. C'est pour cela qu'il faut former les publics : le court-métrage est encore considéré comme un sous-genre et les cinémas d'Afrique n'existent pas".
"Au Burkina Faso, il n'y a aucune volonté politique, ajoute le cinéaste Dani Kouyaté. Les dirigeants n'ont pas compris. J'ai eu deux fois l'avance sur recette du Centre National du cinéma et de l'image animée (CNC) français pour mes longs-métrages. Il n'y a qu'en France qu'on peut voir ça ! Parce que l'Etat se bat pour maintenir le cinéma".
"Concernant le dessin animé, il n'y a ni école ni festival de cinéma, regrette la cinéaste tunisienne Nadia Raïs. Mais il ne faut pas attendre l'Etat. Il n'y a pas que ça. Nous sommes très loin mais dès que l'on est dans la négativité, on n'avance plus. Il faut se battre".
"En Egypte, des groupes indépendants produisent des longs-métrages qui participent à de grands festivals de cinéma comme Dubaï, rapporte le producteur égyptien Bavly Samy (The Sun Sink, réalisé par Joseph Ezzat). Leur succès encourage d'autres cinéastes à se lancer et rencontrent même le public de retour au pays".
L'exemple marocain
"Prenez l'exemple du Maroc, souligne la directrice espagnole du Festival FCAT-Cordoba, Mane Cisneros. Il y a eu des changements énormes ces dix dernières années parce que le Centre national du cinéma marocain (CCM) a fait le pari de créer un grand cinéma, en devenant un centre de post-production pour toute l'Afrique".
"Aller de l'Angleterre au Maroc est plus compliqué que d'aller de la France au Maroc, confirme le réalisateur britannique Fyzal Boulifa dont le court-métrage The Curse, tourné au Maroc, a remporté le Prix Illy du meilleur court-métrage à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2012. Je ne me suis jamais considéré comme cinéaste marocain ou maghrébin, mais mes films m'ont permis de voyager dans des festivals que je ne connaissais pas comme à Rabat (au Maroc, NDLR). Je suis curieux de voir ce qui émergera du cinéma marocain ces prochaines années".
Former le public
"Il faut utiliser l'école où se trouvent les enfants, propose le réalisateur et plasticien malien Bakary Diallo. C'est là que nous pourrons préparer les futurs spectateurs qui se rendront dans les salles de cinéma".
"Nous avons, en France, des dispositifs d'éducation à l'image pour les jeunes (Ecole et cinéma, Collège et Cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma, NDLR), réagit Dorine Bourineau. Mais le constat est que les jeunes de moins de 25 ans ne viennent plus dans les salles ! Ils préfèrent télécharger les films sur leurs ordinateurs ou leurs tablettes…"
"Le combat, ce n'est pas la réouverture de salles mais le public, confirme Dani Kouyaté. Comment fera-t-on fonctionner les salles s'il n'y a pas de billetterie ? Comment l'exploitant pourra-t-il payer son électricité ? Il faut que les politiques réfléchissent et proposent des solutions".
Politique et asservissement
"Au Mali, tout est centralisé à Bamako, regrette le réalisateur et plasticien malien Seydou Cissé. On a beau faire des choses, elles se limitent aux capitales. Où est le gouvernement pour tout ça ?".
"Les politiques sont déphasés avec le cinéma, atteste le délégué général camerounais du festival Yaoundé Tout Court, Franck Olivier Ndema. Je suis très souvent censuré dans mon pays mais il faut pouvoir donner son point de vue. Si le cinéma se développait, les jeunes réaliseraient dans quel asservissement ils sont".
"L'Art et la Censure ont toujours flirté ensemble, rebondit Dani Kouyaté. C'est à l'artiste de se démerder. Sembène Ousmane n'a-t-il pas utilisé l'argent de la France pour la critiquer ?"
"Entre politique et culture, il y a un rapport incestueux et impossible, atteste Dorine Bourineau. Tout objet d'art produit un contre-discours ; donc à partir du moment où l'Etat donne 1€ pour le produire, il scie la branche qui le fait tenir".
"Etudiez l'histoire du cinéma cubain, suggère Mane Cisneros. Cuba a eu des problèmes économiques mais continue de faire des grands films, d'avoir des salles de cinéma bondées. L'école San Antonio de los Baños a formé plusieurs cinéastes africains mais ne reçoit plus de candidatures venant d'Afrique. Elle offre pourtant des bourses financées par la Fondation Gabriel Garcia Marquez".
Point de vue africain
"En regardant bien, les Africains savent mieux que quiconque se contenter du peu, rebondit Bakary Diallo. Nous avons besoin de savoir-faire technique sans demander des choses".
"Le futur se trouve en Afrique, assène Mane Cisneros. Il faudrait arrêter de regarder ailleurs pour trouver des soutiens chez vous. C'est une bataille qu'il y a eu partout. En Espagne, nous avons subi quarante ans de dictature et avons eu un grand cinéma".
"C'est une question d'authenticité et de regard, conclue Dani Kouyaté. Le monde est une symphonie et chacun doit jouer sa note. L'Afrique consomme beaucoup mais propose très peu. Pourtant, l'extérieur a besoin du point de vue de l'Afrique. Notre problème, c'est la mal-gouvernance. Mais les derniers dinosaures mourront. À l'image des mouvements politiques au Maghreb, des choses sont en train de bouger et bougeront dans les années à venir".
Propos recueillis par Claire Diao,
à Saint-Georges-de-Didonne
Depuis le Sud / Africiné, Paris
pour Images Francophones (OIF)
avec le soutien de l'Organisation internationale de la Francophonie
Photo : Le réalisateur Ahmed Ibrahim (Egypte) prenant la parole.
Crédit : Florian Bon
Ne pas attendre l'Etat
Pourtant, comme le soulignait Dorine Bourineau, la responsable française du Pôle Education à l'image de Poitou-Charentes, "le court-métrage africain a deux freins : être court et être africain. C'est pour cela qu'il faut former les publics : le court-métrage est encore considéré comme un sous-genre et les cinémas d'Afrique n'existent pas".
"Au Burkina Faso, il n'y a aucune volonté politique, ajoute le cinéaste Dani Kouyaté. Les dirigeants n'ont pas compris. J'ai eu deux fois l'avance sur recette du Centre National du cinéma et de l'image animée (CNC) français pour mes longs-métrages. Il n'y a qu'en France qu'on peut voir ça ! Parce que l'Etat se bat pour maintenir le cinéma".
"Concernant le dessin animé, il n'y a ni école ni festival de cinéma, regrette la cinéaste tunisienne Nadia Raïs. Mais il ne faut pas attendre l'Etat. Il n'y a pas que ça. Nous sommes très loin mais dès que l'on est dans la négativité, on n'avance plus. Il faut se battre".
"En Egypte, des groupes indépendants produisent des longs-métrages qui participent à de grands festivals de cinéma comme Dubaï, rapporte le producteur égyptien Bavly Samy (The Sun Sink, réalisé par Joseph Ezzat). Leur succès encourage d'autres cinéastes à se lancer et rencontrent même le public de retour au pays".
L'exemple marocain
"Prenez l'exemple du Maroc, souligne la directrice espagnole du Festival FCAT-Cordoba, Mane Cisneros. Il y a eu des changements énormes ces dix dernières années parce que le Centre national du cinéma marocain (CCM) a fait le pari de créer un grand cinéma, en devenant un centre de post-production pour toute l'Afrique".
"Aller de l'Angleterre au Maroc est plus compliqué que d'aller de la France au Maroc, confirme le réalisateur britannique Fyzal Boulifa dont le court-métrage The Curse, tourné au Maroc, a remporté le Prix Illy du meilleur court-métrage à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2012. Je ne me suis jamais considéré comme cinéaste marocain ou maghrébin, mais mes films m'ont permis de voyager dans des festivals que je ne connaissais pas comme à Rabat (au Maroc, NDLR). Je suis curieux de voir ce qui émergera du cinéma marocain ces prochaines années".
Former le public
"Il faut utiliser l'école où se trouvent les enfants, propose le réalisateur et plasticien malien Bakary Diallo. C'est là que nous pourrons préparer les futurs spectateurs qui se rendront dans les salles de cinéma".
"Nous avons, en France, des dispositifs d'éducation à l'image pour les jeunes (Ecole et cinéma, Collège et Cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma, NDLR), réagit Dorine Bourineau. Mais le constat est que les jeunes de moins de 25 ans ne viennent plus dans les salles ! Ils préfèrent télécharger les films sur leurs ordinateurs ou leurs tablettes…"
"Le combat, ce n'est pas la réouverture de salles mais le public, confirme Dani Kouyaté. Comment fera-t-on fonctionner les salles s'il n'y a pas de billetterie ? Comment l'exploitant pourra-t-il payer son électricité ? Il faut que les politiques réfléchissent et proposent des solutions".
Politique et asservissement
"Au Mali, tout est centralisé à Bamako, regrette le réalisateur et plasticien malien Seydou Cissé. On a beau faire des choses, elles se limitent aux capitales. Où est le gouvernement pour tout ça ?".
"Les politiques sont déphasés avec le cinéma, atteste le délégué général camerounais du festival Yaoundé Tout Court, Franck Olivier Ndema. Je suis très souvent censuré dans mon pays mais il faut pouvoir donner son point de vue. Si le cinéma se développait, les jeunes réaliseraient dans quel asservissement ils sont".
"L'Art et la Censure ont toujours flirté ensemble, rebondit Dani Kouyaté. C'est à l'artiste de se démerder. Sembène Ousmane n'a-t-il pas utilisé l'argent de la France pour la critiquer ?"
"Entre politique et culture, il y a un rapport incestueux et impossible, atteste Dorine Bourineau. Tout objet d'art produit un contre-discours ; donc à partir du moment où l'Etat donne 1€ pour le produire, il scie la branche qui le fait tenir".
"Etudiez l'histoire du cinéma cubain, suggère Mane Cisneros. Cuba a eu des problèmes économiques mais continue de faire des grands films, d'avoir des salles de cinéma bondées. L'école San Antonio de los Baños a formé plusieurs cinéastes africains mais ne reçoit plus de candidatures venant d'Afrique. Elle offre pourtant des bourses financées par la Fondation Gabriel Garcia Marquez".
Point de vue africain
"En regardant bien, les Africains savent mieux que quiconque se contenter du peu, rebondit Bakary Diallo. Nous avons besoin de savoir-faire technique sans demander des choses".
"Le futur se trouve en Afrique, assène Mane Cisneros. Il faudrait arrêter de regarder ailleurs pour trouver des soutiens chez vous. C'est une bataille qu'il y a eu partout. En Espagne, nous avons subi quarante ans de dictature et avons eu un grand cinéma".
"C'est une question d'authenticité et de regard, conclue Dani Kouyaté. Le monde est une symphonie et chacun doit jouer sa note. L'Afrique consomme beaucoup mais propose très peu. Pourtant, l'extérieur a besoin du point de vue de l'Afrique. Notre problème, c'est la mal-gouvernance. Mais les derniers dinosaures mourront. À l'image des mouvements politiques au Maghreb, des choses sont en train de bouger et bougeront dans les années à venir".
Propos recueillis par Claire Diao,
à Saint-Georges-de-Didonne
Depuis le Sud / Africiné, Paris
pour Images Francophones (OIF)
avec le soutien de l'Organisation internationale de la Francophonie
Photo : Le réalisateur Ahmed Ibrahim (Egypte) prenant la parole.
Crédit : Florian Bon