Cannes 2014 : La francophonie, vent en poupe
9 films sur 18 sont en français. Timbuktu (A. Sissako) remporte 2 prix.
Le rideau est tombé sur l'édition 2014 du Festival de Cannes. Le temps est donc au bilan. Il y a ceux qui sont repartis avec des prix, d'autres ont réalisé des ventes, d'autres des achats, d'autres encore ont concrétisé des projets sur lesquels ils ont travaillé pendant toute l'année, voire même plusieurs années, et ont eu des promesses, d'autres enfin ont joui d'avoir pu accompagner le festival le plus important au monde où la culture francophone a été amplement représentée et récompensée.
Au premier plan
Le film francophone a eu la part du lion dans les sections officielles du festival. Il y a certes les films français qui ont l'avantage du sol bien sûr, mais d'autres films représentants les quatre coins du monde sont venus illustrer la richesse et la diversité des cultures francophones du Canada à la Belgique en faisant le détour par la Mauritanie, porte-drapeau et de l'Afrique et du Monde Arabe. Ainsi les chiffres le disent clairement : 9 sur les 18 films de la compétition la plus en vue au monde parlent la langue de Molière.
Si Abderrahmane Sissako et les frères Dardenne sont passés à côté du palmarès officiel, le jury s'est incliné symboliquement devant deux talents incontestables. Le premier, Jean-Luc Godard (Suisse - France) fait déjà partie de l'histoire du septième art ; le second Xavier Dolan (Canada) vient de confirmer qu'il n'y pas à s'inquiéter pour la relève. L'un fait ses adieux, l'autre prendre le cinéma à bras le corps, pour s'affirmer comme le cinéaste avec qui il faudra désormais compter bien qu'il n'ait que deux décennies et demi d'âge.
Le jury du festival de Cannes 2014, en donnant le prix ex aequo aux deux cinéastes, a lancé un message très important mais aussi très subtil. Jean-Luc Godard demeure au-dessus de toute compétition et son cinéma n'a pas besoin d'être primé. Le jury a fait montre de respect absolu à l'égard du dompteur de l'image en le montrant comme une preuve vivante que le cinéma ne connait pas d'âge. Du haut de ses 83 ans, Godard a plus que jamais l'esprit vif, le regard pénétrant et le propos opportun et pertinent. Avec ses 25 ans, le jeune Canadien a trouvé dans le cinéma l'outil par lequel il pourra déflorer les secrets du monde.
Au second plan
Dans les autres sections, qui ne manquent pas d'importance pour autant, les cinéastes francophones n'ont pas manqué non plus de laisser des empreintes. Si Run de Philippe Lacôte, le jeune Ivoirien, a plutôt déçu les attentifs aux contributions africaines aux lumières de la croisette, La Chambre bleue de Mathieu Amalrick est un bonheur romanesque et cinématographique. Ce dernier avec une adaptation majestueuse du roman de Simenon est passé à un poil près de la consécration cannoise.
Il n'en aura pas été de même pour Thomas Cailly dont le passage par les couloirs de la quinzaine des réalisateurs ne sera pas oublié de sitôt. Avec Les Combattants, son tout premier film, il décroche pas moins de trois prix de la manifestation organisée par les auteurs et pour les auteurs : Label Europa Cinema, Art Cinema Award et SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques). En outre, cette magnifique ode à l'amour portée par deux comédiens superbes (Adèle Haenel et Kevin Azaïs) a convaincu aussi le jury des critiques de cinéma qui lui ont attribué le prix de la FIPRESCI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique).
Dans les marges de la création
Ailleurs, et pas trop loin des enjeux de la compétition, d'autres talents continuent de se frayer les chemins impénétrables de la poésie de l'image. André Téchiné vient faire son tour classique par la croisette avec L'Homme qui aimait trop, son nouveau film dans lequel il dirige à nouveau son actrice fétiche et icône du cinéma français, Catherine Deneuve.
En dehors de toutes les compétitions d'autres poètes arborent les couloirs du palais des festivals en présentant les derniers produits de leur inspiration. Avec Geronimo, Tony Gatlif apporte plein d'énergie à la croisette avec une version tzigane de La Fièvre du Samedi Soir, Greez et le mythe de Roméo et Juliette. Alors que le Syrien Oussama Mohamad, tient à rappeler au monde la douleur incommensurable de son peuple. A partir de vidéos des media sociaux, il a confectionné un poème visuel dans une tentative d'exorciser par le cinéma le démon qui mange les enfants de son pays.
Pas très loin de tout ceci, une jeune Tunisienne, vient discrètement se frayer un petit sentier parmi les autoroutes des grandes productions. Kaouther Ben Hania a ouvert la sélection ACID 2014. Celle-ci est dédiée aux films indépendants en leur offrant un espace de visibilité afin de les aider à trouver des distributeurs. Le Challat de Tunis, l'un des deux films non français du programme s'est imposé parce qu'insolite comme son sujet et insolent comme son style de mise en scène où l'humour noir se marie avec le flirt avec les frontières entre documentaire et fiction. Il a bénéficié du soutien du Fonds Francophone (OIF /CIRTEF).
Dans l'arrière-boutique du festival : Fabrique du Pavillon des Cinémas du Monde, …
Ce qui fait de Cannes, Cannes, c'est qu'à côté des programmes officiels et des sections parallèles, il y a un nombre énorme de films qui y passent dans des circuits multiples comme le fameux Marché du film et les diverses initiatives à des niveaux extrêmement variés. Mais ce qui donne au festival le profond ancrage qu'il a dans le monde du cinéma c'est que ce n'est pas seulement un espace pour les films qui sont faits, mais un lieu où les projets de films naissent, se développement et reçoivent un encadrement qui les met sur les orbites qui les emmèneront dans les coins et recoins de la galaxie du septième art.
C'est le cas de l'atelier des projets organisé officiellement par le festival de Cannes mais aussi de la Fabrique du Pavillon des Cinémas du Monde, initiative de l'Institut Français, de l'Organisation Internationale de la Francophonie et de la SODEC - Canada. La Fabrique est une pépinière des jeunes talents venant des quatre coins du monde et surtout des pays francophones. Sur la dizaine de projets retenus cette année, ont pris part à la fabrique de 2014 des jeunes d'Algérie (Djaber Debzi, producteur de Chedda du realisateur Damien Ounouri), du Laos (Mattie Do et Douangmany Soliphanh), du Sénégal (Angèle Diabang, avec Une si longue lettre), et du Maroc (Lamia Chraïbi), pour ne citer que quelques noms.
Outre la possibilité de marqueter leurs films dans le cadre d'entretiens one-to-one avec d'éventuels coproducteurs, les talents de demain ont eu droit à un programme riche de formation. En plus de l'accompagnement qu'ils ont reçu de la part du parrain du paillon, qui était cette année, l'Argentin Walter Salles, ils ont pu assister à plusieurs conférences comme celle animée par Pascal Diot (Onoma International) autour des Forums et les Marchés de coproduction ou de l'atelier du pitching animé par Stefano Tealdi. Par ailleurs, et dans le cadre de la journée de l'OIF, Youma Fall, Directrice de la diversité et du développement Culturelle, est intervenue en mettant l'accent sur les deux fronts sur lesquels le combat du cinéma doit être mené, en l'occurrence, celui de la production mais aussi celui de la présence.
2 Prix pour Sissako
Timbuktu, Le Chagrin Des Oiseaux de Abderrahmane Sissako a eu le Prix SIGNIS du Jury œcuménique et le Prix Francois Chalais. L'action se situe au Mali, près de Tombouctou, ville tombée aux mains des fondamentalistes religieux. Kidane y vit paisiblement dans les dunes avec sa femme Satima, sa fille Toya, et Issan, leur jeune berger âgé de douze ans.
L'esprit francophone aura traversé le Festival de Cannes 2014 de bout en bout tout en laissant des traces comme une voie lactée qui guidera ceux qui viendront les années à venir, emprunteront les mêmes voies et peut-être, monteront les mêmes marches de l'olympe de l'image. Ceux qui ont reçu des consécrations auront montré les voies, et ceux qui ont fait leurs premiers pas, reviendront à leurs tours arborer les couloirs du temple de la gloire et peut-être trouveront, eux aussi, le passage secret vers l'éternité.
Hassouna Mansouri
Africiné, Amsterdam
Correspondant à Cannes.
pour Images Francophones
A lire
Timbuktu vole la vedette a Kidman et Kelly, par Hassouna Mansouri (Africiné)
Photo : La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania dans son film Challat de Tunis, soutenu par le Fonds Francophonede production audiovisuelle du Sud (OIF/CIRTEF).
Crédit : Cinétéléfilms / Sister Productions
Au premier plan
Le film francophone a eu la part du lion dans les sections officielles du festival. Il y a certes les films français qui ont l'avantage du sol bien sûr, mais d'autres films représentants les quatre coins du monde sont venus illustrer la richesse et la diversité des cultures francophones du Canada à la Belgique en faisant le détour par la Mauritanie, porte-drapeau et de l'Afrique et du Monde Arabe. Ainsi les chiffres le disent clairement : 9 sur les 18 films de la compétition la plus en vue au monde parlent la langue de Molière.
Si Abderrahmane Sissako et les frères Dardenne sont passés à côté du palmarès officiel, le jury s'est incliné symboliquement devant deux talents incontestables. Le premier, Jean-Luc Godard (Suisse - France) fait déjà partie de l'histoire du septième art ; le second Xavier Dolan (Canada) vient de confirmer qu'il n'y pas à s'inquiéter pour la relève. L'un fait ses adieux, l'autre prendre le cinéma à bras le corps, pour s'affirmer comme le cinéaste avec qui il faudra désormais compter bien qu'il n'ait que deux décennies et demi d'âge.
Le jury du festival de Cannes 2014, en donnant le prix ex aequo aux deux cinéastes, a lancé un message très important mais aussi très subtil. Jean-Luc Godard demeure au-dessus de toute compétition et son cinéma n'a pas besoin d'être primé. Le jury a fait montre de respect absolu à l'égard du dompteur de l'image en le montrant comme une preuve vivante que le cinéma ne connait pas d'âge. Du haut de ses 83 ans, Godard a plus que jamais l'esprit vif, le regard pénétrant et le propos opportun et pertinent. Avec ses 25 ans, le jeune Canadien a trouvé dans le cinéma l'outil par lequel il pourra déflorer les secrets du monde.
Au second plan
Dans les autres sections, qui ne manquent pas d'importance pour autant, les cinéastes francophones n'ont pas manqué non plus de laisser des empreintes. Si Run de Philippe Lacôte, le jeune Ivoirien, a plutôt déçu les attentifs aux contributions africaines aux lumières de la croisette, La Chambre bleue de Mathieu Amalrick est un bonheur romanesque et cinématographique. Ce dernier avec une adaptation majestueuse du roman de Simenon est passé à un poil près de la consécration cannoise.
Il n'en aura pas été de même pour Thomas Cailly dont le passage par les couloirs de la quinzaine des réalisateurs ne sera pas oublié de sitôt. Avec Les Combattants, son tout premier film, il décroche pas moins de trois prix de la manifestation organisée par les auteurs et pour les auteurs : Label Europa Cinema, Art Cinema Award et SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques). En outre, cette magnifique ode à l'amour portée par deux comédiens superbes (Adèle Haenel et Kevin Azaïs) a convaincu aussi le jury des critiques de cinéma qui lui ont attribué le prix de la FIPRESCI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique).
Dans les marges de la création
Ailleurs, et pas trop loin des enjeux de la compétition, d'autres talents continuent de se frayer les chemins impénétrables de la poésie de l'image. André Téchiné vient faire son tour classique par la croisette avec L'Homme qui aimait trop, son nouveau film dans lequel il dirige à nouveau son actrice fétiche et icône du cinéma français, Catherine Deneuve.
En dehors de toutes les compétitions d'autres poètes arborent les couloirs du palais des festivals en présentant les derniers produits de leur inspiration. Avec Geronimo, Tony Gatlif apporte plein d'énergie à la croisette avec une version tzigane de La Fièvre du Samedi Soir, Greez et le mythe de Roméo et Juliette. Alors que le Syrien Oussama Mohamad, tient à rappeler au monde la douleur incommensurable de son peuple. A partir de vidéos des media sociaux, il a confectionné un poème visuel dans une tentative d'exorciser par le cinéma le démon qui mange les enfants de son pays.
Le Challat de Tunis, de Kaouther Ben Hania-HD from Africiné www.africine.org on Vimeo.
Pas très loin de tout ceci, une jeune Tunisienne, vient discrètement se frayer un petit sentier parmi les autoroutes des grandes productions. Kaouther Ben Hania a ouvert la sélection ACID 2014. Celle-ci est dédiée aux films indépendants en leur offrant un espace de visibilité afin de les aider à trouver des distributeurs. Le Challat de Tunis, l'un des deux films non français du programme s'est imposé parce qu'insolite comme son sujet et insolent comme son style de mise en scène où l'humour noir se marie avec le flirt avec les frontières entre documentaire et fiction. Il a bénéficié du soutien du Fonds Francophone (OIF /CIRTEF).
Dans l'arrière-boutique du festival : Fabrique du Pavillon des Cinémas du Monde, …
Ce qui fait de Cannes, Cannes, c'est qu'à côté des programmes officiels et des sections parallèles, il y a un nombre énorme de films qui y passent dans des circuits multiples comme le fameux Marché du film et les diverses initiatives à des niveaux extrêmement variés. Mais ce qui donne au festival le profond ancrage qu'il a dans le monde du cinéma c'est que ce n'est pas seulement un espace pour les films qui sont faits, mais un lieu où les projets de films naissent, se développement et reçoivent un encadrement qui les met sur les orbites qui les emmèneront dans les coins et recoins de la galaxie du septième art.
C'est le cas de l'atelier des projets organisé officiellement par le festival de Cannes mais aussi de la Fabrique du Pavillon des Cinémas du Monde, initiative de l'Institut Français, de l'Organisation Internationale de la Francophonie et de la SODEC - Canada. La Fabrique est une pépinière des jeunes talents venant des quatre coins du monde et surtout des pays francophones. Sur la dizaine de projets retenus cette année, ont pris part à la fabrique de 2014 des jeunes d'Algérie (Djaber Debzi, producteur de Chedda du realisateur Damien Ounouri), du Laos (Mattie Do et Douangmany Soliphanh), du Sénégal (Angèle Diabang, avec Une si longue lettre), et du Maroc (Lamia Chraïbi), pour ne citer que quelques noms.
Outre la possibilité de marqueter leurs films dans le cadre d'entretiens one-to-one avec d'éventuels coproducteurs, les talents de demain ont eu droit à un programme riche de formation. En plus de l'accompagnement qu'ils ont reçu de la part du parrain du paillon, qui était cette année, l'Argentin Walter Salles, ils ont pu assister à plusieurs conférences comme celle animée par Pascal Diot (Onoma International) autour des Forums et les Marchés de coproduction ou de l'atelier du pitching animé par Stefano Tealdi. Par ailleurs, et dans le cadre de la journée de l'OIF, Youma Fall, Directrice de la diversité et du développement Culturelle, est intervenue en mettant l'accent sur les deux fronts sur lesquels le combat du cinéma doit être mené, en l'occurrence, celui de la production mais aussi celui de la présence.
2 Prix pour Sissako
Timbuktu, Le Chagrin Des Oiseaux de Abderrahmane Sissako a eu le Prix SIGNIS du Jury œcuménique et le Prix Francois Chalais. L'action se situe au Mali, près de Tombouctou, ville tombée aux mains des fondamentalistes religieux. Kidane y vit paisiblement dans les dunes avec sa femme Satima, sa fille Toya, et Issan, leur jeune berger âgé de douze ans.
TIMBUKTU - A. Sissako - Extrait 1 La Mosquée VOSTFR from Africiné www.africine.org on Vimeo.
L'esprit francophone aura traversé le Festival de Cannes 2014 de bout en bout tout en laissant des traces comme une voie lactée qui guidera ceux qui viendront les années à venir, emprunteront les mêmes voies et peut-être, monteront les mêmes marches de l'olympe de l'image. Ceux qui ont reçu des consécrations auront montré les voies, et ceux qui ont fait leurs premiers pas, reviendront à leurs tours arborer les couloirs du temple de la gloire et peut-être trouveront, eux aussi, le passage secret vers l'éternité.
Hassouna Mansouri
Africiné, Amsterdam
Correspondant à Cannes.
pour Images Francophones
A lire
Timbuktu vole la vedette a Kidman et Kelly, par Hassouna Mansouri (Africiné)
Photo : La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania dans son film Challat de Tunis, soutenu par le Fonds Francophonede production audiovisuelle du Sud (OIF/CIRTEF).
Crédit : Cinétéléfilms / Sister Productions