Berlin, enfin !
Stories of Our Lives décroche le Prix du Jury du Teddy Award qui récompense le film qui célèbre l'homosexualité au cinéma et arrive second quant au choix du public pour une fiction dans la section Panorama. Certes, aucun film africain en lice pour l’Ours d’or mais, grâce à ses multiples sections, le festival a révélé plusieurs trésors cette année dont La Sirène de Faso Fani du Burkina Faso, Necktie Youth de l’Afrique du Sud ou encore Booda Booda Thieves de l’Ouganda.
Déjà très remarqué au dernier festival de Toronto en septembre où il était projeté pour la première fois, Stories of Our Lives continue son circuit dans les grands festivals. Réalisé par Jim Chuchu et produit par le collectif The NEST avec le producteur sud-africain Steven Markovitz – qui avait précédemment produit Homecoming du même auteur dans le cadre de la série de courts métrages African Metropolis en 2013 (à lire interview, Tiff septembre 2013) - le film a été interdit au Kenya.
Pour cause, les autorités n’ont guère apprécié le « coming out » du mouvement qui avait donc révélé publiquement son identité lors du TIFF, et surtout le thème de l’homosexualité que le pouvoir kenyan a encore du mal à gérer. À partir de 250 histoires récoltées de part et d’autre, Jim Chuchu et sa coscénariste Njoki Ngumi ont regroupé les différents récits en cinq histoires : Ask Me Nicely, Run, Athman, Duet et Each night I dream. Illustrant ainsi un aperçu de ce que vivent des jeunes Kenyans homosexuels.
Dans la section Forum de la 65è Berlinale, les festivaliers ont pu entendre résonner la Sirène de Koudougou grâce au documentaire La Sirène de Faso Fani, du Burkinabè Michel Zongo. Troisième ville du pays (après Ouaga et Bobo-Dioulasso), Koudougou abritait la fameuse usine de textile où était produite une quantité importante de pagnes pour l’intérieur et l’extérieur du pays. Surtout, cette fabrique était à une époque le premier employeur du Burkina employant 1 000 personnes salariées dans une ville de 30.000 habitants.
Making-Off // Faso Fani par cinedocfilms
Avec une caméra chercheuse, Michel Zongo nous amène dans les quartiers de la ville, à la rencontre des anciens employés de l’usine, dont la plupart au chômage depuis la fermeture en 2001. L’activité n’a pas pour autant cessé. Les habitants continuent de tisser dans leur passerelle à l’aide de machine. Oui, les conséquences des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) imposés par les institutions de Breton Woods à la fin des années 80 ont été dévastatrices pour l’emploi et l’économie. Non, ils ne sont pas parvenus à « tuer » les résidents. Il existait déjà une culture du tissu dans la région, explique l’auteur qui y est né et y a grandi. « Il y a même davantage de demande aujourd’hui qu’à l’époque », dit-il. Le documentaire ne reflète pas la parole des institutions en cause, si ce n’est par le billet de la radio dont les messages reflètent l’esprit des discours de l’époque. Ainsi, Michel K. Zongo choisit clairement son camp en donnant la parole aux anciens employés. Et, par ce pas qu’il traverse en passant du hors-champs à l’intérieur du champ, il nous amène dans son rêve, dans son combat. En achevant sur ce gros plan qui part du tissu jusqu’au plan d’ensemble sur les jeunes tisseuses encadrées par les aînés en passant par la jeune fille créant la page Facebook, la relève est assurée. Le film se ferme comme l’ouverture avec le discours de Thomas Sankara sur un téléphone portable cellulaire « Aucun fil ne vient d’Europe ou d’Amérique,… nous consommons local…». Ainsi, le rêve n’est pas mort.
La production de ce film, qui s’est faite entre la Berlinale 2012, Open Doors Locarno 2012, et la Fabrique du Cinéma du Monde 2013, a été soutenue par l’OIF. Parmi les autres films qui ont bénéficié du soutien de la Francophonie présents à la Berlinale 2015 : The Sea is behind du Marocain Hicham Lasri, Meurtre à Pacot de Raoul Peck (Haïti) et La Vallée du Libanais Ghassan Salhab.
Donald Mugisha, James Tayler et leurs collaborateurs du collectif Yes This Us ! nous ont transportés dans les rues de la capitale ougandaise grâce à Boda boda Thieves (Abaabi ba boda boda) retenu dans la sélection d’Aide au Cinémas du Monde.
"Boda boda" est un terme condensé de « boarder to boarder » (littéralement « de frontière à frontière », en anglais) pour désigner une moto taxi, rapide et efficace pour le transport de biens à Kampala. Abel (Hassan « Spike » Isingoma), jeune adolescent poussé par ses parents à trouver un travail correct, ne voit pas les choses de la même façon que ses géniteurs. Alors que son père est victime d’un accident qui l’empêche de conduire, Abel récupère la moto de son père et s’en sert afin de faire face à ses besoins matériels et se met au service d’un gang qui y voit là un intérêt pour réaliser leurs crimes.
Alors que ses parents espèrent encore naïvement en un système d’Etat et de justice, Abel a clairement une idée de la réalité du système et compte bien obtenir ce qu’il veut par lui-même. Donald Mugisha et ses confrères ont décelé dans cette attitude du « je veux ça ici et maintenant », des similarités avec l’Europe post-guerre. Une société qui connaît la misère et qui cherche à s’en sortir d’elle-même et qui à force de vouloir acquérir les choses vite et facilement, finit par manquer totalement de sens de représentation.
Sibs-Shongwe-La Mer nous conte dans son premier long métrage Necktie Youth l’histoire d’une jeunesse sud-africaine post-apartheid à travers plusieurs personnages aux caractéristiques distinctes mais liés autour du suicide d’une adolescente survenu une année plus tôt. Loin des films de gangsters de cités dont nous a habitué le cinéma sud-africain ces dernières années, avec INumber Number, Tsotsi, etc. Il livre une belle image en noir et blanc d’une jeunesse désillusionnée de la banlieue de Johannesburg qui, au fond, est toujours en quête d’identité.
Djia Mambu
Correspondante spéciale
Berlin, Février 2015
Africiné / Bruxelles
Illustration : Michel K. Zongo, à la Berlinale 2015
Crédit : Djia Mambu / revue Africiné
Pour cause, les autorités n’ont guère apprécié le « coming out » du mouvement qui avait donc révélé publiquement son identité lors du TIFF, et surtout le thème de l’homosexualité que le pouvoir kenyan a encore du mal à gérer. À partir de 250 histoires récoltées de part et d’autre, Jim Chuchu et sa coscénariste Njoki Ngumi ont regroupé les différents récits en cinq histoires : Ask Me Nicely, Run, Athman, Duet et Each night I dream. Illustrant ainsi un aperçu de ce que vivent des jeunes Kenyans homosexuels.
Dans la section Forum de la 65è Berlinale, les festivaliers ont pu entendre résonner la Sirène de Koudougou grâce au documentaire La Sirène de Faso Fani, du Burkinabè Michel Zongo. Troisième ville du pays (après Ouaga et Bobo-Dioulasso), Koudougou abritait la fameuse usine de textile où était produite une quantité importante de pagnes pour l’intérieur et l’extérieur du pays. Surtout, cette fabrique était à une époque le premier employeur du Burkina employant 1 000 personnes salariées dans une ville de 30.000 habitants.
Making-Off // Faso Fani par cinedocfilms
Avec une caméra chercheuse, Michel Zongo nous amène dans les quartiers de la ville, à la rencontre des anciens employés de l’usine, dont la plupart au chômage depuis la fermeture en 2001. L’activité n’a pas pour autant cessé. Les habitants continuent de tisser dans leur passerelle à l’aide de machine. Oui, les conséquences des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) imposés par les institutions de Breton Woods à la fin des années 80 ont été dévastatrices pour l’emploi et l’économie. Non, ils ne sont pas parvenus à « tuer » les résidents. Il existait déjà une culture du tissu dans la région, explique l’auteur qui y est né et y a grandi. « Il y a même davantage de demande aujourd’hui qu’à l’époque », dit-il. Le documentaire ne reflète pas la parole des institutions en cause, si ce n’est par le billet de la radio dont les messages reflètent l’esprit des discours de l’époque. Ainsi, Michel K. Zongo choisit clairement son camp en donnant la parole aux anciens employés. Et, par ce pas qu’il traverse en passant du hors-champs à l’intérieur du champ, il nous amène dans son rêve, dans son combat. En achevant sur ce gros plan qui part du tissu jusqu’au plan d’ensemble sur les jeunes tisseuses encadrées par les aînés en passant par la jeune fille créant la page Facebook, la relève est assurée. Le film se ferme comme l’ouverture avec le discours de Thomas Sankara sur un téléphone portable cellulaire « Aucun fil ne vient d’Europe ou d’Amérique,… nous consommons local…». Ainsi, le rêve n’est pas mort.
La production de ce film, qui s’est faite entre la Berlinale 2012, Open Doors Locarno 2012, et la Fabrique du Cinéma du Monde 2013, a été soutenue par l’OIF. Parmi les autres films qui ont bénéficié du soutien de la Francophonie présents à la Berlinale 2015 : The Sea is behind du Marocain Hicham Lasri, Meurtre à Pacot de Raoul Peck (Haïti) et La Vallée du Libanais Ghassan Salhab.
Donald Mugisha, James Tayler et leurs collaborateurs du collectif Yes This Us ! nous ont transportés dans les rues de la capitale ougandaise grâce à Boda boda Thieves (Abaabi ba boda boda) retenu dans la sélection d’Aide au Cinémas du Monde.
"Boda boda" est un terme condensé de « boarder to boarder » (littéralement « de frontière à frontière », en anglais) pour désigner une moto taxi, rapide et efficace pour le transport de biens à Kampala. Abel (Hassan « Spike » Isingoma), jeune adolescent poussé par ses parents à trouver un travail correct, ne voit pas les choses de la même façon que ses géniteurs. Alors que son père est victime d’un accident qui l’empêche de conduire, Abel récupère la moto de son père et s’en sert afin de faire face à ses besoins matériels et se met au service d’un gang qui y voit là un intérêt pour réaliser leurs crimes.
Alors que ses parents espèrent encore naïvement en un système d’Etat et de justice, Abel a clairement une idée de la réalité du système et compte bien obtenir ce qu’il veut par lui-même. Donald Mugisha et ses confrères ont décelé dans cette attitude du « je veux ça ici et maintenant », des similarités avec l’Europe post-guerre. Une société qui connaît la misère et qui cherche à s’en sortir d’elle-même et qui à force de vouloir acquérir les choses vite et facilement, finit par manquer totalement de sens de représentation.
Sibs-Shongwe-La Mer nous conte dans son premier long métrage Necktie Youth l’histoire d’une jeunesse sud-africaine post-apartheid à travers plusieurs personnages aux caractéristiques distinctes mais liés autour du suicide d’une adolescente survenu une année plus tôt. Loin des films de gangsters de cités dont nous a habitué le cinéma sud-africain ces dernières années, avec INumber Number, Tsotsi, etc. Il livre une belle image en noir et blanc d’une jeunesse désillusionnée de la banlieue de Johannesburg qui, au fond, est toujours en quête d’identité.
Djia Mambu
Correspondante spéciale
Berlin, Février 2015
Africiné / Bruxelles
Illustration : Michel K. Zongo, à la Berlinale 2015
Crédit : Djia Mambu / revue Africiné