« Bangui, unité spéciale » en plein tournage
Première série africaine mettant en scène la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, "Bangui unité spéciale" est en tournage à Bangui depuis début mars. Retour sur la genèse d'un projet audacieux avec sa créatrice, Elvire Adjamonsi.
Même si elle entend en faire une série « pour toute l’Afrique et même pour le monde entier », la Béninoise Elvire Adjamonsi n’aurait pas pu écrire « Bangui, unité spéciale » sans une très bonne connaissance du contexte centrafricain. C’est en 2017 qu’elle a pris la direction de Linga FM, la radio créée à Bangui par l’entreprise culturelle Espace Linga Téré mais, avant cela, elle avait déjà résidé en RCA au début des années 2000. Pendant cette période, elle avait vécu un premier épisode de troubles politiques, avec le renversement du président Ange-Félix Patassé par le général François Bozizé.
Tué pour une blague
C’est dans ce contexte qu’en 2004, elle a été témoin d’un meurtre commis par des miliciens en pleine rue, à Bangui. La victime avait pour seul tort de jouer au sosie du président déchu Ange Patassé, « pour blaguer ». Ce drame, ajouté au saccage d’une maison voisine de la sienne l’a conduite à quitter le pays pour rejoindre Pointe Noire, au Congo, où elle a travaillé longtemps comme administratrice culturelle, coordonnant plusieurs projets de spectacle vivant en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, touchant au théâtre, à la danse, à la musique, et « manageant » le groupe de rap béninois H2O. Son second rendez-vous avec la guerre civile a eu lieu en 2010 à Abidjan. De retour du festival de danse Wed Bindé au Burkina Faso, elle a réussi à traverser la moitié de la Côte d’Ivoire en alternant taxis et deux-roues, échappant ainsi au bouclage de ville de Bouaké avant de se retrouver bloquée à Abidjan en proie à la violence et au couvre-feu.
Mais c’est après s’être réinstallée à Bangui en 2017 qu’elle découvre l’ampleur du phénomène des « violences basées sur le genre » lors de repérages pour le documentaire « A Wa Be Africa ». « Des filles de 13 ou 14 ans témoignaient de leur condition d’esclaves sexuelles des rebelles. Les mots les plus choquants sortaient de la bouche de ces enfants. » C’est aussi cette expérience qui lui fait prendre conscience de l’impossibilité de montrer les victimes ou d’obtenir leur témoignage face-caméra. Le recours à la fiction devient pour elle une évidence. Elvire a fait ses premières armes de scénariste et de réalisatrice avec le court-métrage « La maudite », en 2010, puis avec « Sessi » qu’elle qualifie de « film pour la télévision ». Ce long-métrage soutenu par le Fonds d’aide de l’Organisation internationale de la Francophonie a reçu une mention spéciale du jury lors du festival « Lumières d’Afrique » de Besançon en 2013.
Pour l’épauler dans l’écriture des dix épisodes de « Bangui, unité spéciale », Elvire Adjamonsi a fait appel au scénariste camerounais Emery Noudjiep Tchemdjo. Formé au Québec, il a tourné le documentaire « Centrafrique, l’industrie de la rébellion » avant de participer à l’écriture de plusieurs séries ouest-africaines (« Dantec 221 » au Sénégal, « Assinie » et « Les colocs chocs » en Côte d’Ivoire). Pour la réalisation d’un épisode sur deux, c’est l’écrivain, poète et cinéaste congolais Glad Amog Lemra qu’elle a choisi. Son second long-métrage avait été remarqué lors du Fespaco 2015.
Pour la distribution des rôles, Elvire Adjamonsi a eu recours à un casting panafricain. Habi Touré (vue dans les séries à succès « Aimé malgré lui » et « River Hotel », diffusées par TV5Monde) est centrafricaine mais réside en France, tout comme la franco-ivoirienne d’origine béninoise Tella Kpomahou qui a travaillé avec plusieurs grands réalisateurs africains et caribéens (Cheick Fantamady Camara, Alain Gomis, Raoul Peck) mais joue aussi régulièrement en France dans des longs-métrages de cinéma, des séries, des téléfilms et des pièces de théâtre. Autre acteur franco-africain, Joaquim Tivoukou a participé à plusieurs films français ainsi qu’aux séries « Barbershop » et « Forces spéciales africaines » coproduites par Canal+ International. Parmi les comédiens vivant en Centrafrique, on peut citer dans les rôles du commissaire et du médecin-légiste Philippe Bokoula et Thierry Messongo mais aussi Valentina Kpekabou dans le rôle de Régine (la comédienne camerounaise qui devait initialement jouer le rôle a dû renoncer à cause d'un problème de passeport).
Force tranquille
Dans un pays qui connaît une renaissance de la production audiovisuelle et cinématographique depuis le tournage du film « Camille » du Français Boris Lojkine mais qui n’a jamais produit aucune série 100 % fiction[i], de nombreux défis attendent l’équipe de production et les comédiens. Mais la force tranquille et le courage inépuisable d’Elvire Adjamonsi semblent donner confiance à tous ceux qui se sont engagés à ses côtés. « C’est un projet qui mérite d’être soutenu » souligne Tella Kpomahou.
Est-ce que parce que le pays est méconnu, le sujet délicat, le moment difficile et le tournage risqué ? A ce stade, la productrice de « Bangui, unité spéciale n’a pas encore signé avec un diffuseur international. A ceux qui craignent une réaction frileuse, voire négative du public, Elvire Adjamonsi rappelle que l’enjeu n’est pas de faire plaisir à tout prix mais d’être utile aux téléspectateurs. « On dit « c’est un sujet tabou » mais c’est pourtant un sujet dont il faut parler, y compris aux enfants et même surtout avec les enfants ! Il faut qu’ils sachent que quand une grande personne se livre à de vilains gestes sur eux, ils doivent en parler. Comment le sauraient-ils si on ne les sensibilise pas ? »
« Notre série, poursuit-elle, peut y contribuer. Il faut que tout le monde puisse la regarder, à partir de 12-13 ans. N’oublions pas que ceux qu’on appelle rebelles, en RCA comme dans d’autres pays, sont, pour la plupart, des jeunes ou des enfants ! Il faut que ceux qui risquent d’être exposés à ces violences soient prévenus du danger. Si on prétend vouloir les protéger en leur épargnant les sujets dits « tabous », on les maintient dans l’ignorance et on les rend plus vulnérables face à ceux qui voudraient, un jour, les utiliser comme enfants-soldats ou objets sexuels. »
Propos d’Elvire Adjamonsi recueillis par Pierre Barrot (OIF)
[i] La série Centro Liv’n Piz dont le tournage avait débuté en 2014 était composée de reportages et de sketches.
Rappelons que “Bangui, unité spéciale” est un projet soutenu par le Fonds Image de la Francophonie dans le cadre du projet Clap ACP. Comment contacter Elvire Adjamonsi ? banguiunitespeciale@gmail.com