Ateliers pour partager l'écriture au Sénégal : rencontre avec Caroline Pochon, auteure et réalisatrice
Alors que le prochain FESPACO (25 février - 4 mars 2017) (*) s'annonce sur le thème "Formation et métiers du cinéma et de l'audiovisuel", les sessions d'initiation à l'écriture et à l'image se multiplient en Afrique. Ecoles de cinéma au Burkina, en Ethiopie, formations en festivals au Cameroun, au Bénin, éducation à l'art en Côte d'Ivoire, section universitaire au Sénégal… Les initiatives s'égrènent en lien avec des institutions ou des actions privées.
Un atelier d'écriture, apte à nourrir des récits littéraires ou des scénarios, est proposé cet hiver par la Française Caroline Pochon sur l'île de Ngor, au Sénégal. Ce pays où elle a tourné La Deuxième femme, 2004, un documentaire sur son histoire et sa relation avec son ex-mari, le réalisateur Massèye Niang, continue d'alimenter son inspiration puisqu'elle envisage d'y mettre en scène un long-métrage de fiction, basé sur sa position et ses réflexions.
Attentive à traiter des questions sociales dans la société française comme dans UEP 122 - portraits ouvriers, 2006, Caroline Pochon a pu travailler pour la chaîne Arte avec La face cachée des fesses, 2009, tout en cultivant un goût pour l'écriture. Entre ses films, elle publie et cosigne sous des formes diverses : témoignages, romans, essais. Son inclination pour l'écriture, combinée avec le sens de l'image et du spectacle, la conduit aujourd'hui à orchestrer des ateliers d'écriture au Sénégal.
La formation, établie en concertation avec l'association Clap Noir, se déroule pendant une semaine dans la maison Keur Yaadikoone sur l'île de Ngor. (**) Deux sessions, du 23 au 29 janvier ou du 6 au 12 février 2017, permettent d'accueillir 8 stagiaires à chaque fois pour travailler dans des conditions de proximité et d'échanges, en présence de professionnels intervenants dont la scénariste Jacqueline Cauët, membre de la Guilde des Scénaristes comme Caroline Pochon (télécharger la brochure de l'atelier).
L'objectif est d'enclencher des sessions plus régulières de formations, ouvertes aux participants africains ou directement ciblées pour les Sénégalais, modulables en fonction des demandes. Car Caroline Pochon est aussi rompue à l'exercice documentaire qu'à celui de la fiction, et aussi en phase avec les couleurs du Sénégal. Le cadre de Ngor peut alors motiver des récits poétiques mais aussi des scénarios réalistes ou dramatiques, capables de susciter des images fortes.
Ce jeu entre l'écriture et l'audiovisuel, est aussi caractéristique de la démarche de Caroline Pochon comme elle l'explique, entre Dakar et Paris.
Travailler sa capacité d'expression
- Que proposez-vous de faire en organisant cet atelier ?
Je propose, en plein hiver, de s'immerger pendant une semaine sur une île où il n'y a pas de voiture. On est dans un lieu paradisiaque en Afrique, l'île de Ngor, au large de Dakar. C'est un lieu que je connais bien puisque j'ai vécu et même écrit mon premier roman à Dakar. Là, on va travailler sur l'écriture d'un scénario ou éventuellement d'une nouvelle. C'est une immersion, une rencontre avec l'autre. Du coup, c'est aussi une réflexion sur le point de vue. C'est à dire quand je change de pays et que je rencontre d'autres personnes, j'interroge mon point de vue, et derrière ça je le renforce. Donc c'est un voyage, une expérience, et aussi un travail sur soi, ainsi que des bases techniques pour l'écriture.
- Que peut-on apprendre pour écrire une nouvelle ou un scénario dans un stage de 8 jours ?
Ce que je propose, c'est déjà de trouver la forme qui convient. Donc je donne des clés techniques d'écriture. On travaille sur le personnage, sur la construction, le point de vue. C'est plein de notions techniques sur lesquelles on peut faire des exercices et travailler, tout en avançant sur un projet qu'on a déjà.
- Ça veut dire que quand on vient participer à l'atelier, il faut être déjà porteur d'une envie d'écrire ou de faire un sujet de film ?
Il suffit qu'il y ait un désir, une envie d'écrire qui cherche sa forme. Moi j'essaie de vous accoucher de ce que vous avez en vous, de vous aider à trouver la forme qui convient. Je donne des clés et je pense que souvent on manque de confiance en soi. J'essaie de vous donner un cadre avec lequel vous pouvez repartir dans votre vie pour continuer seul l'écriture et plus tard, aller à la recherche de vos partenaires.
- La capacité d'écriture se transmet-elle ?
C'est quelque chose qu'on a en soi mais parfois ce qui manque, c'est la confiance en soi et ce sont des clés techniques. Quand on démarre, on fait des erreurs de débutant. Là je peux aider, reprendre parce que je suis beaucoup plus aguerrie. Dans l'atelier, il y a des gens qui sont déjà des scénaristes aguerris, qui peuvent être des locomotives du groupe. On sera huit, pour créer une dynamique de groupe avec des gens déjà avancés, d'autres qui ont juste une envie ou qui n'ont jamais encore fait mais qui vont s'y mettre. Je crois beaucoup à cette dynamique de groupe.
- Pensez-vous qu'aujourd'hui l'écriture des films a particulièrement besoin de s'améliorer par des stages ou des travaux d'atelier ?
Je pense qu'on est à la recherche de nouveaux talents. Bien sûr il y a déjà beaucoup de gens qui écrivent et beaucoup de films qui se font mais pour autant, je pense que le talent est quelque chose contenu en profondeur à l'intérieur d'une personne, qui cherche à sortir et à s'exprimer, à trouver sa forme. Je lui accorde toute ma considération et je le prends très au sérieux.
- Que mettez-vous en avant pour écrire un film, écrire une histoire ?
Il y a des règles dans la dramaturgie. Aristote dans l'antiquité, en a écrit certaines. En même temps comme toutes règles, elles sont là pour être transgressées et puis après, on est porteur d'une histoire et il faut qu'elle trouve sa forme. Donc ça conduit à travailler et travailler et retravailler. J'aimerais aussi que les personnes qui viennent à l'atelier prennent conscience de cette idée de travail, de " retravail " et trouvent en eux la confiance pour s'engager sur ce chemin, si c'est ça qu'ils ont en eux.
Circuler entre les modes d'écriture
- Qu'est-ce qui vous a aguerri pour écrire des films ou des livres ?
Moi j'ai envie d'écrire depuis que j'ai appris à écrire. Depuis que je suis enfant, j'écris des histoires. J'ai fait des études très sérieuses de Sciences politiques et puis j'ai voulu écrire donc je suis rentrée à la Femis, l'école nationale de cinéma, en scénario, en me disant : " Voilà un métier d'écriture ". Je circule aujourd'hui d'une écriture à l'autre, d'une forme narrative à l'autre avec cette envie d'écrire. J'ai envie de le transmettre, l'écriture étant un langage et un viatique, un moyen pour s'exprimer et pour exprimer ce dont on est porteur. C'est autour de tout cela que j'aimerais accueillir les gens qui viennent à l'atelier.
- Y a-t-il pour vous, une différence de position pour écrire un film ou écrire un récit littéraire ?
Le cinéma, c'est un genre avec ses règles, ses codes, ses circuits. Je ne suis pas magicienne, et en une semaine, je vais seulement vous permettre de partir d'une idée qui vous permette de faire votre film. Mais vous allez vous frotter à cette réalité et prendre conscience que la qualité principale d'un auteur, c'est parfois la patience qui est l'atout majeur d'un scénariste ou d'un auteur. C'est à dire qu'il faut être capable d'encaisser des refus, de s'apercevoir que ce n'est pas bien du premier coup, mais qu'on croit suffisamment à ce qu'on a envie de dire pour le porter à son terme, le porter aux personnes qui peuvent vous aider, constituer une équipe et aller vers les bons interlocuteurs. Je suis à l'origine de ça avec l'atelier mais il y a aussi des gens dans l'atelier, qui sont des scénaristes aguerris, qui n'ont plus à se prouver ça et qui investissent l'atelier pour travailler sur leur nouveau projet. Ainsi Jacqueline Cauët s'est proposée pour me seconder dans l'enseignement et on rencontre en master class, des auteurs sénégalais. C'est important de frotter ces expériences avec celles des participants à l'atelier.
- Pourquoi organiser cet atelier en Afrique alors que vous auriez pu le faire en France, à Paris où vous résidez ?
Je crois qu'il faut rêver et qu'il y a beaucoup de personnes que l'Afrique fait rêver mais qui n'ont pas encore trouvé les moyens ou l'opportunité, l'occasion d'y aller. Moi j'ai deux passions : l'écriture et l'Afrique et j'ai eu envie de les partager. Ça s'est cristallisé autour de cette idée d'atelier. Aller s'isoler sur une île où il n'y a pas de voitures, en plein hiver, pouvoir rencontrer des Sénégalais, aller à la rencontre de la culture africaine à travers le travail d'écriture et dans le cadre de ce travail ; je pense qu'il y a des personnes pour qui ça fait vraiment sens. C'est avec ces personnes que je voudrais constituer cet atelier.
Activer un lien entre les cultures
- Qu'est-ce qui motive votre ancrage particulier au Sénégal, et avec Ngor ?
Je suis tombé amoureuse d'un Sénégalais à l'âge de 27 ans, je l'ai épousé, on a vécu une histoire d'amour incroyable. Ça a été, 20 ans après, la source d'inspiration du premier roman que j'ai publié, Deuxième femme. (***) Entretemps il y a eu beaucoup d'allers-retours en Afrique, j'ai travaillé comme scénariste avec des réalisateurs africains. Je me suis vraiment impliquée en Afrique, je parle un peu wolof. Je me sens africaine tout en étant blanche, et je le revendique. Je me sens aussi un peu capable d'être un trait d'union entre deux continents, deux sociétés, deux pays. Je pense que pour certaines personnes, je peux être une passeuse. J'espère pouvoir l'être en tous cas, et transmettre.
- Les films que vous avez en projet ont-ils aussi cette fonction ?
Dans mon cinéma, j'essaie aussi d'être cette passeuse et de dénouer les conflits auxquels j'ai été confrontée à titre individuel, à travers des récits de fiction. (****) Par exemple, mon prochain long-métrage de fiction va parler d'une Française qui accepte de devenir la deuxième épouse d'un Africain. Est-ce qu'elle peut s'en sortir ? Et si c'est trop difficile de vivre cette situation, qu'est-ce qu'elle peut en tirer ? J'ai fait aussi pour la chaîne Arte, un documentaire sur le thème de l'immigration, L'immigration, un problème économique ?, 2015. J'essaie toujours de casser les idées reçues, de les interroger, de travailler sur la relation Nord - Sud d'une manière autre que celle que véhiculent beaucoup de préjugés y compris dans les médias. Pourtant je travaille pour les médias puisque j'ai fait quatre films documentaires pour Arte et je ne suis pas du tout coupée de ce monde. Simplement je l'interroge et je ne prends aucune idée pour acquise.
- Avez-vous suffisamment de moyens pour développer ces options ?
Le monde change donc certaines institutions, certaines rédactions, chaînes de télévision peuvent être conservatrices et d'autres plus innovantes. Nous, les artistes, on est souvent des électrons libres qui apportent le changement. Parfois on arrive un peu tôt, on n'est pas encore entendus, puis quelques temps après, tout le monde est d'accord. Je pense que les rapports entre la France et l'Afrique ont tout un passé lourd mais ils sont en train de bouger. L'Afrique se réveille. Il se passe beaucoup de choses au niveau culturel, à Dakar. C'est très attirant, c'est très vivant. Les moyens de communication actuels font que les frontières sont en train de tomber, et moi j'ai vraiment envie de faire partie de ce mouvement là.
Propos introduits et recueillis
par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
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(*) La 25ème édition du FESPACO se déroule du 25 février au 4 mars 2017 à Ouagadougou, au Burkina Faso.
(**) L'atelier d'écriture au Sénégal est conçu et coordonné par Caroline Pochon pour un groupe de 8 personnes. Deux périodes sont possibles : du 23 au 29 janvier 2017 ou du 6 au 12 février 2017 (pendant les vacances scolaires françaises). Le montant de la participation aux frais est de 850 euros la semaine, comprenant l'atelier, l'hébergement, les repas, avec accompagnement de projet. Deux autres tarifs existent : 600 euros pour l'Atelier seul et 500 euros pour une Résidence d'écriture à Keur Yaadikoone. Il est possible de discuter des conditions financières avec Caroline Pochon sur la page officielle de l'atelier (www.facebook.com/yaadikoone/) ou la contacter directement : caroline.pochon@gmail.com / 06 62 73 05 70. Des réservations sont déjà effectives pour la première période et quelques places sont encore disponibles pour la deuxième. Télécharger la brochure de l'atelier (cliquez sur le lien).
(***) Deuxième femme de Caroline Pochon est un roman, publié en 2013 chez Buchet-Chastel, Paris.
(****) Caroline Pochon a écrit plusieurs films dont le court métrage Magid le magicien co-écrit et réalisation par Mohamed Said Ouma (aidé par le Fonds Images de la Francophonie), ainsi que le scénario intitulé Le Saï-saï (avec Massèye Niang), et a collaboré à l'écriture de Zanzibar Hôtel de François Margolin, en 2000. Elle a aussi écrit et réalisé des courtes fictions dont La Guérison de Monsieur Kouyaté, 2005, et Le cœur net, 2014.
Image : La scénariste et formatrice Caroline Pochon
Crédit : Jean-Luc Paillé
Un atelier d'écriture, apte à nourrir des récits littéraires ou des scénarios, est proposé cet hiver par la Française Caroline Pochon sur l'île de Ngor, au Sénégal. Ce pays où elle a tourné La Deuxième femme, 2004, un documentaire sur son histoire et sa relation avec son ex-mari, le réalisateur Massèye Niang, continue d'alimenter son inspiration puisqu'elle envisage d'y mettre en scène un long-métrage de fiction, basé sur sa position et ses réflexions.
Attentive à traiter des questions sociales dans la société française comme dans UEP 122 - portraits ouvriers, 2006, Caroline Pochon a pu travailler pour la chaîne Arte avec La face cachée des fesses, 2009, tout en cultivant un goût pour l'écriture. Entre ses films, elle publie et cosigne sous des formes diverses : témoignages, romans, essais. Son inclination pour l'écriture, combinée avec le sens de l'image et du spectacle, la conduit aujourd'hui à orchestrer des ateliers d'écriture au Sénégal.
La formation, établie en concertation avec l'association Clap Noir, se déroule pendant une semaine dans la maison Keur Yaadikoone sur l'île de Ngor. (**) Deux sessions, du 23 au 29 janvier ou du 6 au 12 février 2017, permettent d'accueillir 8 stagiaires à chaque fois pour travailler dans des conditions de proximité et d'échanges, en présence de professionnels intervenants dont la scénariste Jacqueline Cauët, membre de la Guilde des Scénaristes comme Caroline Pochon (télécharger la brochure de l'atelier).
L'objectif est d'enclencher des sessions plus régulières de formations, ouvertes aux participants africains ou directement ciblées pour les Sénégalais, modulables en fonction des demandes. Car Caroline Pochon est aussi rompue à l'exercice documentaire qu'à celui de la fiction, et aussi en phase avec les couleurs du Sénégal. Le cadre de Ngor peut alors motiver des récits poétiques mais aussi des scénarios réalistes ou dramatiques, capables de susciter des images fortes.
Ce jeu entre l'écriture et l'audiovisuel, est aussi caractéristique de la démarche de Caroline Pochon comme elle l'explique, entre Dakar et Paris.
Travailler sa capacité d'expression
- Que proposez-vous de faire en organisant cet atelier ?
Je propose, en plein hiver, de s'immerger pendant une semaine sur une île où il n'y a pas de voiture. On est dans un lieu paradisiaque en Afrique, l'île de Ngor, au large de Dakar. C'est un lieu que je connais bien puisque j'ai vécu et même écrit mon premier roman à Dakar. Là, on va travailler sur l'écriture d'un scénario ou éventuellement d'une nouvelle. C'est une immersion, une rencontre avec l'autre. Du coup, c'est aussi une réflexion sur le point de vue. C'est à dire quand je change de pays et que je rencontre d'autres personnes, j'interroge mon point de vue, et derrière ça je le renforce. Donc c'est un voyage, une expérience, et aussi un travail sur soi, ainsi que des bases techniques pour l'écriture.
- Que peut-on apprendre pour écrire une nouvelle ou un scénario dans un stage de 8 jours ?
Ce que je propose, c'est déjà de trouver la forme qui convient. Donc je donne des clés techniques d'écriture. On travaille sur le personnage, sur la construction, le point de vue. C'est plein de notions techniques sur lesquelles on peut faire des exercices et travailler, tout en avançant sur un projet qu'on a déjà.
- Ça veut dire que quand on vient participer à l'atelier, il faut être déjà porteur d'une envie d'écrire ou de faire un sujet de film ?
Il suffit qu'il y ait un désir, une envie d'écrire qui cherche sa forme. Moi j'essaie de vous accoucher de ce que vous avez en vous, de vous aider à trouver la forme qui convient. Je donne des clés et je pense que souvent on manque de confiance en soi. J'essaie de vous donner un cadre avec lequel vous pouvez repartir dans votre vie pour continuer seul l'écriture et plus tard, aller à la recherche de vos partenaires.
- La capacité d'écriture se transmet-elle ?
C'est quelque chose qu'on a en soi mais parfois ce qui manque, c'est la confiance en soi et ce sont des clés techniques. Quand on démarre, on fait des erreurs de débutant. Là je peux aider, reprendre parce que je suis beaucoup plus aguerrie. Dans l'atelier, il y a des gens qui sont déjà des scénaristes aguerris, qui peuvent être des locomotives du groupe. On sera huit, pour créer une dynamique de groupe avec des gens déjà avancés, d'autres qui ont juste une envie ou qui n'ont jamais encore fait mais qui vont s'y mettre. Je crois beaucoup à cette dynamique de groupe.
- Pensez-vous qu'aujourd'hui l'écriture des films a particulièrement besoin de s'améliorer par des stages ou des travaux d'atelier ?
Je pense qu'on est à la recherche de nouveaux talents. Bien sûr il y a déjà beaucoup de gens qui écrivent et beaucoup de films qui se font mais pour autant, je pense que le talent est quelque chose contenu en profondeur à l'intérieur d'une personne, qui cherche à sortir et à s'exprimer, à trouver sa forme. Je lui accorde toute ma considération et je le prends très au sérieux.
- Que mettez-vous en avant pour écrire un film, écrire une histoire ?
Il y a des règles dans la dramaturgie. Aristote dans l'antiquité, en a écrit certaines. En même temps comme toutes règles, elles sont là pour être transgressées et puis après, on est porteur d'une histoire et il faut qu'elle trouve sa forme. Donc ça conduit à travailler et travailler et retravailler. J'aimerais aussi que les personnes qui viennent à l'atelier prennent conscience de cette idée de travail, de " retravail " et trouvent en eux la confiance pour s'engager sur ce chemin, si c'est ça qu'ils ont en eux.
Circuler entre les modes d'écriture
- Qu'est-ce qui vous a aguerri pour écrire des films ou des livres ?
Moi j'ai envie d'écrire depuis que j'ai appris à écrire. Depuis que je suis enfant, j'écris des histoires. J'ai fait des études très sérieuses de Sciences politiques et puis j'ai voulu écrire donc je suis rentrée à la Femis, l'école nationale de cinéma, en scénario, en me disant : " Voilà un métier d'écriture ". Je circule aujourd'hui d'une écriture à l'autre, d'une forme narrative à l'autre avec cette envie d'écrire. J'ai envie de le transmettre, l'écriture étant un langage et un viatique, un moyen pour s'exprimer et pour exprimer ce dont on est porteur. C'est autour de tout cela que j'aimerais accueillir les gens qui viennent à l'atelier.
- Y a-t-il pour vous, une différence de position pour écrire un film ou écrire un récit littéraire ?
Le cinéma, c'est un genre avec ses règles, ses codes, ses circuits. Je ne suis pas magicienne, et en une semaine, je vais seulement vous permettre de partir d'une idée qui vous permette de faire votre film. Mais vous allez vous frotter à cette réalité et prendre conscience que la qualité principale d'un auteur, c'est parfois la patience qui est l'atout majeur d'un scénariste ou d'un auteur. C'est à dire qu'il faut être capable d'encaisser des refus, de s'apercevoir que ce n'est pas bien du premier coup, mais qu'on croit suffisamment à ce qu'on a envie de dire pour le porter à son terme, le porter aux personnes qui peuvent vous aider, constituer une équipe et aller vers les bons interlocuteurs. Je suis à l'origine de ça avec l'atelier mais il y a aussi des gens dans l'atelier, qui sont des scénaristes aguerris, qui n'ont plus à se prouver ça et qui investissent l'atelier pour travailler sur leur nouveau projet. Ainsi Jacqueline Cauët s'est proposée pour me seconder dans l'enseignement et on rencontre en master class, des auteurs sénégalais. C'est important de frotter ces expériences avec celles des participants à l'atelier.
- Pourquoi organiser cet atelier en Afrique alors que vous auriez pu le faire en France, à Paris où vous résidez ?
Je crois qu'il faut rêver et qu'il y a beaucoup de personnes que l'Afrique fait rêver mais qui n'ont pas encore trouvé les moyens ou l'opportunité, l'occasion d'y aller. Moi j'ai deux passions : l'écriture et l'Afrique et j'ai eu envie de les partager. Ça s'est cristallisé autour de cette idée d'atelier. Aller s'isoler sur une île où il n'y a pas de voitures, en plein hiver, pouvoir rencontrer des Sénégalais, aller à la rencontre de la culture africaine à travers le travail d'écriture et dans le cadre de ce travail ; je pense qu'il y a des personnes pour qui ça fait vraiment sens. C'est avec ces personnes que je voudrais constituer cet atelier.
Activer un lien entre les cultures
- Qu'est-ce qui motive votre ancrage particulier au Sénégal, et avec Ngor ?
Je suis tombé amoureuse d'un Sénégalais à l'âge de 27 ans, je l'ai épousé, on a vécu une histoire d'amour incroyable. Ça a été, 20 ans après, la source d'inspiration du premier roman que j'ai publié, Deuxième femme. (***) Entretemps il y a eu beaucoup d'allers-retours en Afrique, j'ai travaillé comme scénariste avec des réalisateurs africains. Je me suis vraiment impliquée en Afrique, je parle un peu wolof. Je me sens africaine tout en étant blanche, et je le revendique. Je me sens aussi un peu capable d'être un trait d'union entre deux continents, deux sociétés, deux pays. Je pense que pour certaines personnes, je peux être une passeuse. J'espère pouvoir l'être en tous cas, et transmettre.
- Les films que vous avez en projet ont-ils aussi cette fonction ?
Dans mon cinéma, j'essaie aussi d'être cette passeuse et de dénouer les conflits auxquels j'ai été confrontée à titre individuel, à travers des récits de fiction. (****) Par exemple, mon prochain long-métrage de fiction va parler d'une Française qui accepte de devenir la deuxième épouse d'un Africain. Est-ce qu'elle peut s'en sortir ? Et si c'est trop difficile de vivre cette situation, qu'est-ce qu'elle peut en tirer ? J'ai fait aussi pour la chaîne Arte, un documentaire sur le thème de l'immigration, L'immigration, un problème économique ?, 2015. J'essaie toujours de casser les idées reçues, de les interroger, de travailler sur la relation Nord - Sud d'une manière autre que celle que véhiculent beaucoup de préjugés y compris dans les médias. Pourtant je travaille pour les médias puisque j'ai fait quatre films documentaires pour Arte et je ne suis pas du tout coupée de ce monde. Simplement je l'interroge et je ne prends aucune idée pour acquise.
- Avez-vous suffisamment de moyens pour développer ces options ?
Le monde change donc certaines institutions, certaines rédactions, chaînes de télévision peuvent être conservatrices et d'autres plus innovantes. Nous, les artistes, on est souvent des électrons libres qui apportent le changement. Parfois on arrive un peu tôt, on n'est pas encore entendus, puis quelques temps après, tout le monde est d'accord. Je pense que les rapports entre la France et l'Afrique ont tout un passé lourd mais ils sont en train de bouger. L'Afrique se réveille. Il se passe beaucoup de choses au niveau culturel, à Dakar. C'est très attirant, c'est très vivant. Les moyens de communication actuels font que les frontières sont en train de tomber, et moi j'ai vraiment envie de faire partie de ce mouvement là.
Propos introduits et recueillis
par Michel AMARGER
(Africiné / Paris)
pour Images Francophones
en collaboration avec Africultures
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
(*) La 25ème édition du FESPACO se déroule du 25 février au 4 mars 2017 à Ouagadougou, au Burkina Faso.
(**) L'atelier d'écriture au Sénégal est conçu et coordonné par Caroline Pochon pour un groupe de 8 personnes. Deux périodes sont possibles : du 23 au 29 janvier 2017 ou du 6 au 12 février 2017 (pendant les vacances scolaires françaises). Le montant de la participation aux frais est de 850 euros la semaine, comprenant l'atelier, l'hébergement, les repas, avec accompagnement de projet. Deux autres tarifs existent : 600 euros pour l'Atelier seul et 500 euros pour une Résidence d'écriture à Keur Yaadikoone. Il est possible de discuter des conditions financières avec Caroline Pochon sur la page officielle de l'atelier (www.facebook.com/yaadikoone/) ou la contacter directement : caroline.pochon@gmail.com / 06 62 73 05 70. Des réservations sont déjà effectives pour la première période et quelques places sont encore disponibles pour la deuxième. Télécharger la brochure de l'atelier (cliquez sur le lien).
(***) Deuxième femme de Caroline Pochon est un roman, publié en 2013 chez Buchet-Chastel, Paris.
(****) Caroline Pochon a écrit plusieurs films dont le court métrage Magid le magicien co-écrit et réalisation par Mohamed Said Ouma (aidé par le Fonds Images de la Francophonie), ainsi que le scénario intitulé Le Saï-saï (avec Massèye Niang), et a collaboré à l'écriture de Zanzibar Hôtel de François Margolin, en 2000. Elle a aussi écrit et réalisé des courtes fictions dont La Guérison de Monsieur Kouyaté, 2005, et Le cœur net, 2014.
Image : La scénariste et formatrice Caroline Pochon
Crédit : Jean-Luc Paillé