Afrique francophone : la production de séries TV en pleine expansion
Compte-rendu du Sefor (séminaire de formation, Bujumbura) et du DISCOP (Johannesburg).
Le Sefor (séminaire de formation), rendez-vous annuel des télévisions francophones proposé par le CIRTEF, s'est tenu à Bujumbura du 6 au 8 novembre, quelques jours après le DISCOP, marché des programmes organisé à Johannesburg.
Au Burundi comme en Afrique du Sud, l'un des enjeux les plus souvent évoqués a été le passage à la diffusion numérique qui doit s'opérer d'ici juin 2015 pour les télévisions africaines. Ce saut technologique offre la possibilité de multiplier les canaux de diffusion. On peut donc s'attendre à l'apparition de nouvelles chaînes de télévision pour lesquelles la question des contenus se pose inévitablement. Lors d'une précédente révolution technologique, celle qui a vu la diffusion par satellite se généraliser dans les années 80 et 90, les tuyaux ont souvent précédé les programmes et l'augmentation des capacités de transmission a devancé de très loin celle des contenus.
Face à la généralisation de la diffusion numérique, on peut se demander si les pays francophones du Sud parviendront à développer leur production assez vite pour éviter une pénurie de programmes ou un envahissement des nouveaux canaux disponibles par des programmes importés.
Mais le contexte paraît bien différent de ce qu'il était il y a vingt ans. Aujourd'hui, la perspective d'une multiplication des canaux de diffusion se situe dans un contexte d'expansion de la production et de diversification de l'offre de programmes. Il y a une vingtaine d'années, les télévisions africaines avaient très peu de programmes locaux à se mettre sous la dent ; l'offre de programmes extérieurs venait principalement des Etats-Unis (films et séries), du Brésil (télénovelas) et de la France (programmes offerts par Canal France International).
Aujourd'hui, les chaînes africaines se voient proposer des télénovelas du Brésil mais aussi du Mexique, de Colombie, du Chili, d'Argentine, ainsi que des feuilletons indiens, chinois, philippins, coréens ou turcs. On assiste donc à une mondialisation de l'offre qui peut paraître inquiétante, vue d'Afrique. Mais cet élargissement de l'éventail des fournisseurs a permis de voir apparaître aussi des contenus africains. La société Côte Ouest - principal pourvoyeur de programmes des chaînes d'Afrique francophone - propose désormais des fictions d'Afrique du Sud, du Nigeria et du Kenya, doublées en français.
On serait tenté de dire : tout le monde produit, tout le monde exporte, sauf l'Afrique francophone ! Ce n'est pas exact. La production de cette région du monde progresse elle aussi, en quantité et en qualité. Si elle n'est pas encore très présente sur un marché de programmes comme le DISCOP[i], c'est qu'aucun des pays concernés ne peut utiliser comme tremplin un marché national aussi consistant que ceux du Brésil (200 millions de consommateurs) de l'Inde (1,3 milliards) ou même du Nigeria (150 millions).
Mais la montée en puissance de l'Afrique francophone est bien réelle ; elle est même spectaculaire, pour peu qu'on veuille bien y regarder de près. Si l'on consulte l'un des inventaires les plus précis qui aient été menés il y a dix ans, l'étude réalisée sous l'égide de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) et adoptée en 2004, on constate que 13 séries télévisées à potentiel de diffusion internationale avaient été produites entre 1999 et 2002 par des structures ouest-africaines. L'ensemble de ces séries représentait 230 épisodes de 26 minutes sur les quatre années considérées, soit à peine plus d'un épisode par semaine. À l'époque, l'Afrique centrale et les autres régions d'Afrique francophone produisaient très peu, voire pas du tout certaines années. On peut donc estimer que l'ensemble de la production ne dépassait guère ce seuil d'un épisode de série par semaine, pour les 22 pays d'Afrique francophone.
Où en est-on aujourd'hui ? Aucune étude exhaustive du même ordre que celle de l'UEMOA n'est disponible. Mais on peut s'appuyer sur quelques indicateurs. Par exemple, le nombre des projets de séries de fiction déposés auprès du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud. Pour la seule année 2012, on en compte 35, représentant au total l'équivalent de 931 épisodes de 26'. On peut objecter le fait qu'il s'agit de projets et qu'une partie d'entre eux ne verra pas le jour. Mais on doit aussi tenir compte du fait que bon nombre de producteurs de séries télévisées ne sollicitent pas le Fonds francophone.
Un autre indicateur, peut-être plus sûr, puisqu'il concerne des productions déjà disponibles, est le site TV5 Monde Afrique. Début novembre 2012, on pouvait y visionner 18 séries de fiction d'Afrique francophone, pour un total équivalent à 751 épisodes de 26'.
Ce qui paraît donc à peu près certain, c'est qu'aujourd'hui, on n'en est plus à un épisode de série par semaine comme au début des années 2000 mais vraisemblablement à deux ou trois épisodes par jour, ce qui voudrait dire que la production a été multipliée par 15 ou 20 en dix ans.
Cette production est-elle suffisante, en quantité, et satisfaisante, en qualité ? Certainement pas. La meilleure preuve, c'est qu'elle n'a pas encore réussi la moindre percée hors de la zone francophone. [ii]Cette production a donc encore besoin d'être aidée et les premiers à pouvoir l'aider sont les responsables des chaînes de télévision africaines. Ces chaînes ont déjà contribué à l'essor de la production, car cela fait des années que les directeurs de programmes réclament du contenu africain. Cette demande a conduit CFI à investir dans la production indépendante pour nourrir sa banque de programmes de documentaires et de fictions africaines.
Mais les chaînes de télévision africaines, en particulier les chaînes publiques, pourraient faire plus. En produisant elles-mêmes ? Pourquoi pas ? Mais, la plupart du temps, elles sont mal placées pour obtenir des financements complémentaires à leur propre budget ou pour gérer avec la souplesse nécessaire la production d'émissions de stock. Elles se montrent donc plus efficaces lorsqu'elles coproduisent : c'est ce qu'a fait la télévision malienne pour la série " Les rois de Ségou ", écrite et réalisée par l'un de ses réalisateurs mais produite par la société de ce dernier, Brico Films, avec un autre partenaire privé, Sarama Films.
Si l'on veut rendre les séries d'Afrique francophone concurrentielles par rapport aux télénovelas d'Amérique latine, il faut leur permettre d'atteindre des durées comparables (plusieurs centaines d'épisodes) et des budgets plus importants. Certes, on n'arrivera probablement jamais aux 350 000 dollars[iii] par épisode que le géant brésilien TV Globo peut aligner sur certaines séries, mais il est nécessaire de dépasser les niveaux de budget actuels (vraisemblablement autour de 5.000 euros par épisode de 26', pour la plupart des séries burkinabèes ou ivoiriennes).
Il faut aussi que les responsables des chaînes africaines comprennent qu'une série de 300 épisodes ne se fait pas d'un claquement de doigts. Les télénovelas qui déferlent sur l'Afrique ont été produites, dans leurs pays d'origine, en plusieurs saisons, étalées sur plusieurs années.
Côté africain, il faut se souvenir que la première série d'Afrique francophone à avoir atteint 300 épisodes (" Ma famille ") a dû surmonter des obstacles inconcevables : non seulement elle n'a été préfinancée par aucune télévision mais les producteurs ont même dû acheter le temps d'antenne de la télévision ivoirienne pour la diffuser ! Aujourd'hui, heureusement, la même télévision achète les programmes dont elle a besoin et encourage les producteurs indépendants. Ils en ont grand besoin et l'essor de la production en Afrique francophone dépend largement de la qualité de leurs relations avec les télévisions.
Pierre BARROT (OIF)
[i] Où était présente, toutefois, outre Côte Ouest (avec deux séries ivoiriennes : " Histoire d'une vie " et " La villa d'à côté "), la plateforme DIFFA (diffusion de fictions africaines), avec les producteurs Jean-Hubert Nankam (Martika/Côte d'Ivoire : séries Class'A, Teenagers et P'tit bisou), Azaratou Bance (Les films du dromadaire/Burkina Faso, avec la douzaine de films de Boubakar Diallo) et Nana Kadidia Toumagnon (Brico films/Mali, avec les séries " Dou " et " Les rois de Ségou ").
[ii] Du côté de Canal France International, on évoque le projet de doubler en anglais la série " Super flics " et, du côté de la société " Côte Ouest ", on parle aussi de doubler en anglais des fictions francophones.
[iii] Chiffre cité par Michael Dearham, de la société Côte Ouest dans le numéro d'octobre 2012 de la revue Screen Africa.
Au Burundi comme en Afrique du Sud, l'un des enjeux les plus souvent évoqués a été le passage à la diffusion numérique qui doit s'opérer d'ici juin 2015 pour les télévisions africaines. Ce saut technologique offre la possibilité de multiplier les canaux de diffusion. On peut donc s'attendre à l'apparition de nouvelles chaînes de télévision pour lesquelles la question des contenus se pose inévitablement. Lors d'une précédente révolution technologique, celle qui a vu la diffusion par satellite se généraliser dans les années 80 et 90, les tuyaux ont souvent précédé les programmes et l'augmentation des capacités de transmission a devancé de très loin celle des contenus.
Face à la généralisation de la diffusion numérique, on peut se demander si les pays francophones du Sud parviendront à développer leur production assez vite pour éviter une pénurie de programmes ou un envahissement des nouveaux canaux disponibles par des programmes importés.
Mais le contexte paraît bien différent de ce qu'il était il y a vingt ans. Aujourd'hui, la perspective d'une multiplication des canaux de diffusion se situe dans un contexte d'expansion de la production et de diversification de l'offre de programmes. Il y a une vingtaine d'années, les télévisions africaines avaient très peu de programmes locaux à se mettre sous la dent ; l'offre de programmes extérieurs venait principalement des Etats-Unis (films et séries), du Brésil (télénovelas) et de la France (programmes offerts par Canal France International).
Aujourd'hui, les chaînes africaines se voient proposer des télénovelas du Brésil mais aussi du Mexique, de Colombie, du Chili, d'Argentine, ainsi que des feuilletons indiens, chinois, philippins, coréens ou turcs. On assiste donc à une mondialisation de l'offre qui peut paraître inquiétante, vue d'Afrique. Mais cet élargissement de l'éventail des fournisseurs a permis de voir apparaître aussi des contenus africains. La société Côte Ouest - principal pourvoyeur de programmes des chaînes d'Afrique francophone - propose désormais des fictions d'Afrique du Sud, du Nigeria et du Kenya, doublées en français.
On serait tenté de dire : tout le monde produit, tout le monde exporte, sauf l'Afrique francophone ! Ce n'est pas exact. La production de cette région du monde progresse elle aussi, en quantité et en qualité. Si elle n'est pas encore très présente sur un marché de programmes comme le DISCOP[i], c'est qu'aucun des pays concernés ne peut utiliser comme tremplin un marché national aussi consistant que ceux du Brésil (200 millions de consommateurs) de l'Inde (1,3 milliards) ou même du Nigeria (150 millions).
Mais la montée en puissance de l'Afrique francophone est bien réelle ; elle est même spectaculaire, pour peu qu'on veuille bien y regarder de près. Si l'on consulte l'un des inventaires les plus précis qui aient été menés il y a dix ans, l'étude réalisée sous l'égide de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) et adoptée en 2004, on constate que 13 séries télévisées à potentiel de diffusion internationale avaient été produites entre 1999 et 2002 par des structures ouest-africaines. L'ensemble de ces séries représentait 230 épisodes de 26 minutes sur les quatre années considérées, soit à peine plus d'un épisode par semaine. À l'époque, l'Afrique centrale et les autres régions d'Afrique francophone produisaient très peu, voire pas du tout certaines années. On peut donc estimer que l'ensemble de la production ne dépassait guère ce seuil d'un épisode de série par semaine, pour les 22 pays d'Afrique francophone.
Où en est-on aujourd'hui ? Aucune étude exhaustive du même ordre que celle de l'UEMOA n'est disponible. Mais on peut s'appuyer sur quelques indicateurs. Par exemple, le nombre des projets de séries de fiction déposés auprès du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud. Pour la seule année 2012, on en compte 35, représentant au total l'équivalent de 931 épisodes de 26'. On peut objecter le fait qu'il s'agit de projets et qu'une partie d'entre eux ne verra pas le jour. Mais on doit aussi tenir compte du fait que bon nombre de producteurs de séries télévisées ne sollicitent pas le Fonds francophone.
Un autre indicateur, peut-être plus sûr, puisqu'il concerne des productions déjà disponibles, est le site TV5 Monde Afrique. Début novembre 2012, on pouvait y visionner 18 séries de fiction d'Afrique francophone, pour un total équivalent à 751 épisodes de 26'.
Ce qui paraît donc à peu près certain, c'est qu'aujourd'hui, on n'en est plus à un épisode de série par semaine comme au début des années 2000 mais vraisemblablement à deux ou trois épisodes par jour, ce qui voudrait dire que la production a été multipliée par 15 ou 20 en dix ans.
Cette production est-elle suffisante, en quantité, et satisfaisante, en qualité ? Certainement pas. La meilleure preuve, c'est qu'elle n'a pas encore réussi la moindre percée hors de la zone francophone. [ii]Cette production a donc encore besoin d'être aidée et les premiers à pouvoir l'aider sont les responsables des chaînes de télévision africaines. Ces chaînes ont déjà contribué à l'essor de la production, car cela fait des années que les directeurs de programmes réclament du contenu africain. Cette demande a conduit CFI à investir dans la production indépendante pour nourrir sa banque de programmes de documentaires et de fictions africaines.
Mais les chaînes de télévision africaines, en particulier les chaînes publiques, pourraient faire plus. En produisant elles-mêmes ? Pourquoi pas ? Mais, la plupart du temps, elles sont mal placées pour obtenir des financements complémentaires à leur propre budget ou pour gérer avec la souplesse nécessaire la production d'émissions de stock. Elles se montrent donc plus efficaces lorsqu'elles coproduisent : c'est ce qu'a fait la télévision malienne pour la série " Les rois de Ségou ", écrite et réalisée par l'un de ses réalisateurs mais produite par la société de ce dernier, Brico Films, avec un autre partenaire privé, Sarama Films.
Si l'on veut rendre les séries d'Afrique francophone concurrentielles par rapport aux télénovelas d'Amérique latine, il faut leur permettre d'atteindre des durées comparables (plusieurs centaines d'épisodes) et des budgets plus importants. Certes, on n'arrivera probablement jamais aux 350 000 dollars[iii] par épisode que le géant brésilien TV Globo peut aligner sur certaines séries, mais il est nécessaire de dépasser les niveaux de budget actuels (vraisemblablement autour de 5.000 euros par épisode de 26', pour la plupart des séries burkinabèes ou ivoiriennes).
Il faut aussi que les responsables des chaînes africaines comprennent qu'une série de 300 épisodes ne se fait pas d'un claquement de doigts. Les télénovelas qui déferlent sur l'Afrique ont été produites, dans leurs pays d'origine, en plusieurs saisons, étalées sur plusieurs années.
Côté africain, il faut se souvenir que la première série d'Afrique francophone à avoir atteint 300 épisodes (" Ma famille ") a dû surmonter des obstacles inconcevables : non seulement elle n'a été préfinancée par aucune télévision mais les producteurs ont même dû acheter le temps d'antenne de la télévision ivoirienne pour la diffuser ! Aujourd'hui, heureusement, la même télévision achète les programmes dont elle a besoin et encourage les producteurs indépendants. Ils en ont grand besoin et l'essor de la production en Afrique francophone dépend largement de la qualité de leurs relations avec les télévisions.
Pierre BARROT (OIF)
[i] Où était présente, toutefois, outre Côte Ouest (avec deux séries ivoiriennes : " Histoire d'une vie " et " La villa d'à côté "), la plateforme DIFFA (diffusion de fictions africaines), avec les producteurs Jean-Hubert Nankam (Martika/Côte d'Ivoire : séries Class'A, Teenagers et P'tit bisou), Azaratou Bance (Les films du dromadaire/Burkina Faso, avec la douzaine de films de Boubakar Diallo) et Nana Kadidia Toumagnon (Brico films/Mali, avec les séries " Dou " et " Les rois de Ségou ").
[ii] Du côté de Canal France International, on évoque le projet de doubler en anglais la série " Super flics " et, du côté de la société " Côte Ouest ", on parle aussi de doubler en anglais des fictions francophones.
[iii] Chiffre cité par Michael Dearham, de la société Côte Ouest dans le numéro d'octobre 2012 de la revue Screen Africa.