Africa in Motion : L’Afrique linguistique en mouvement
Du 25 octobre au 2 novembre 2012 se tenait la 7e édition du festival Africa in Motion (AiM) d’Édimbourg. Présenté pour la première fois conjointement à Glasgow et Édimbourg, ce festival allie avec succès programmation de qualité et réflexion universitaire, quelle que soit la langue parlée.
Longtemps, les festivals et critiques de cinéma francophones ne juraient que par les films « d'Afrique noire » ou « d'Afrique sub-saharienne », reflet d'une vision post-coloniale du continent limitée aux anciennes colonies franco-belges – le Maghreb étant régulièrement rattaché au Moyen-Orient.
Si la Grande-Bretagne et le Portugal ont moins soutenu, cinématographiquement parlant, leurs anciennes colonies, force est de constater que depuis les années 2000, les pays d'Afrique émergeant à l'échelle internationale ne sont plus ceux du bassin francophone. « Les films d'Afrique francophone ne dominent plus parce que d'autres industries se développent » résume l'universitaire sud-africaine Lizelle Bischoff, qui a fondé Africa in Motion en 2005, à Édimbourg.
52 films dont 18 francophones
« Il n'y a pas tellement de films africains francophones dans les festivals anglophones, atteste la réalisatrice et directrice française du Scottish Documentary Institute, Noelle Mendelle. Le seul moyen de les voir, c'est encore d'aller dans un festival spécialisé dans les cinémas d'Afrique ». Néanmoins, dans les festivals de cinéma spécialisés Afrique, la scission demeure : films nigérians, sud-africains et kényans côté anglophone ; burkinabès, sénégalais et maliens côté francophone. Avec une présence irrégulière de productions camerounaises, ougandaises, tanzaniennes et congolaises ainsi qu'un vent nouveau en provenance de pays insulaires tels que Madagascar ou l’Île Maurice.
Rares sont les festivals qui reflètent la production cinématographique du moment (qui serait, d'ailleurs, essentiellement constituée de films marocains, sud-africains et nigérians), mais tous s'accordent à laisser une place aux cinématographies qui n'ont pas la même langue. « Les films d'Afrique francophone sont extraordinaires, forts, talentueux, témoigne Mary Holmström, membre fondatrice du Cascade festival of African Films de Portland (États-Unis), présente à Édimbourg. Il faut d'ailleurs créditer la France pour son soutien, par rapport à la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, le cinéma sud-africain est intéressant, en pleine expansion. Probablement parce que le gouvernement le finance ».
À Édimbourg, le festival Africa in Motion s'accorde à programmer toutes les nationalités, tant que les films correspondent à la ligne éditoriale définie. Sur 52 films présentés cette année, 18 provenaient d'Afrique francophone (Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Maroc, Sénégal, Tchad, Tunisie), aucun d'Afrique lusophone et le plus grand nombre de films anglophones venaient d'Afrique du Sud (10 films).
Les choix exigeants du festival, basés sur des thématiques (telles que l'Afrique moderne, les arts populaires, la science-fiction, les Printemps arabes et Nollywood cette année), permettent un réel échange entre public et universitaires. « C'est l'une de nos principales forces, analyse la directrice cap-verdienne du festival, Isabel Moura Mendes. Le fait que nous souhaitons encourager le débat autour des films : que font les réalisateurs africains, quelles histoires racontent-ils et comment font-ils pour les raconter ? Nous souhaitons aussi convier au débat des professionnels qui ont une légitimité à parler de tel ou tel sujet ».
Droit au but
Parmi eux, Onookome Okome, professeur nigérian enseignant à l'Université d'Alberta (Canada) venu animer une conférence sur Nollywood, n'a pu s'empêcher de rappeler que les cinéastes nigérians surnomment les réalisateurs d'Afrique francophone « réalisateurs d'Ambassade » : « Les films nigérians sont populaires, pas les films francophones. Ils ne sont visibles que dans les ambassades, pas auprès du peuple. Or, si l'on fait des films, c'est avant tout pour le public. Si personne ne les voit, quel est l'intérêt ? »
Plus radical, David Holmes, bénévole du festival, dénonce :« la France est un terrible maître colonial qui a donné l'opportunité à des cinéastes issus de ses anciennes colonies de faire des films, ce qui n'a pas été le cas de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne. Hormis Camp de Thiaroye [de Sembène Ousmane, Sénégal], ou Sarraounia [de Med Hondo, Mauritanie], aucun film ne critique ouvertement la France ».
Le réalisateur camerounais Jean-Pierre Békolo, invité par la School of Arts and Humanities de l'Université de Stirling pour présenter Les Saignantes et Quartier Mozart, est mitigé. « Je ne sais plus ce qui est francophone ou anglophone en moi. Je vois une approche mais pas la langue en tant que telle. En revanche, je ne sens pas la démarche des cinéastes francophones, la pensée. C'est incroyable. Même chez ceux qui sont des stars. On sent une espèce de réflexion sur l'Afrique, sur le cinéma, avec une pointe de misérabilisme, de continent abandonné. Alors qu'avec les autres, on va droit au but, on est dans la construction, on n'est pas dans l'argent, on est dans le pragmatisme.
Comme disent les Américains, ''seule la bonne jalousie te fait avancer'' : savoir comment l'autre a fait pour faire mieux que lui. Il est plus intéressant de pouvoir baigner dans des milieux positifs où l'on fait et l'on trouve des solutions, comme au Nigéria, même si leurs films sont mauvais. Les Francophones ne semblent pas être ceux qui produisent leurs discours. Il y a d'ailleurs une connivence étrange entre certains critiques français et les réalisateurs. Ce côté un peu incestueux d'acheter les gens mais n'avoir rien à dire est malsain. On veut faire des films, c'est tout ».
Mondes différents
Faire circuler les films et les cinéastes entre les différents bassins linguistiques de l'Afrique n'est pas un leurre. C'est une actualité. À tous les niveaux, les films cheminent de festivals francophones à anglophones, les réalisateurs se déplacent, parlent plusieurs langues, déposent leurs projets auprès de différents fonds. Malgré cela, une méconnaissance certaine demeure entre les pays. Si les festivals jouent leur rôle de fenêtre des différentes productions, la critique actuelle demeure cantonnée à sa langue natale (la dernière revue critique à l'échelle continentale, Écrans d'Afrique, s'est arrêtée en 1998) et les chaînes de télévision ne sont pas encore précurseurs d'un renouveau médiatique.
La faute pourrait être rejetée au coût de la traduction et du doublage, à l'absence de distributeurs ou aux accès Internet encore peu démocratisés (faute de haut débit et de coupures d'électricité) mais les films sont là. La réalisatrice sud-africaine Sara Blecher, venue présenter son long-métrage Otelo Burning, s'en réjouit : « Si tu ne regardes pas et ne te nourris pas des films des autres et ne t'en sers pas pour faire évoluer l'industrie, comment deviendras-tu meilleur-e ? Je pense qu'en Afrique, nous devons raconter les histoires différemment. Nous n'avons pas assez d'audience et devons trouver d'autres modèles pour distribuer nos films, attirer les spectateurs et leur donner envie de les consommer. Je n'ai vu que quelques films africains, c'est dommage, et j'ai hâte d'aller au Fespaco. Mais à l'échelle de l'Afrique, les paysages et les gens sont tellement différents... C'est comme parler d'Europe de l'Est et de l'Ouest ! Ce sont des mondes différents mais j'espère que nous les décloisonnerons ».
Propos recueillis et traduits de l'anglais par Claire Diao / Clap Noir
à Édimbourg, novembre 2012
NOTE : La revue Écrans d'Afrique / African Screens, était la seule revue bilingue (français/anglais) sur les cinémas d'Afrique. Édité à Ouagadougou et à Milan, son dernier numéro a paru en juillet 98.
Crédit photo : Claire Diao
Si la Grande-Bretagne et le Portugal ont moins soutenu, cinématographiquement parlant, leurs anciennes colonies, force est de constater que depuis les années 2000, les pays d'Afrique émergeant à l'échelle internationale ne sont plus ceux du bassin francophone. « Les films d'Afrique francophone ne dominent plus parce que d'autres industries se développent » résume l'universitaire sud-africaine Lizelle Bischoff, qui a fondé Africa in Motion en 2005, à Édimbourg.
52 films dont 18 francophones
« Il n'y a pas tellement de films africains francophones dans les festivals anglophones, atteste la réalisatrice et directrice française du Scottish Documentary Institute, Noelle Mendelle. Le seul moyen de les voir, c'est encore d'aller dans un festival spécialisé dans les cinémas d'Afrique ». Néanmoins, dans les festivals de cinéma spécialisés Afrique, la scission demeure : films nigérians, sud-africains et kényans côté anglophone ; burkinabès, sénégalais et maliens côté francophone. Avec une présence irrégulière de productions camerounaises, ougandaises, tanzaniennes et congolaises ainsi qu'un vent nouveau en provenance de pays insulaires tels que Madagascar ou l’Île Maurice.
Rares sont les festivals qui reflètent la production cinématographique du moment (qui serait, d'ailleurs, essentiellement constituée de films marocains, sud-africains et nigérians), mais tous s'accordent à laisser une place aux cinématographies qui n'ont pas la même langue. « Les films d'Afrique francophone sont extraordinaires, forts, talentueux, témoigne Mary Holmström, membre fondatrice du Cascade festival of African Films de Portland (États-Unis), présente à Édimbourg. Il faut d'ailleurs créditer la France pour son soutien, par rapport à la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, le cinéma sud-africain est intéressant, en pleine expansion. Probablement parce que le gouvernement le finance ».
À Édimbourg, le festival Africa in Motion s'accorde à programmer toutes les nationalités, tant que les films correspondent à la ligne éditoriale définie. Sur 52 films présentés cette année, 18 provenaient d'Afrique francophone (Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Maroc, Sénégal, Tchad, Tunisie), aucun d'Afrique lusophone et le plus grand nombre de films anglophones venaient d'Afrique du Sud (10 films).
Les choix exigeants du festival, basés sur des thématiques (telles que l'Afrique moderne, les arts populaires, la science-fiction, les Printemps arabes et Nollywood cette année), permettent un réel échange entre public et universitaires. « C'est l'une de nos principales forces, analyse la directrice cap-verdienne du festival, Isabel Moura Mendes. Le fait que nous souhaitons encourager le débat autour des films : que font les réalisateurs africains, quelles histoires racontent-ils et comment font-ils pour les raconter ? Nous souhaitons aussi convier au débat des professionnels qui ont une légitimité à parler de tel ou tel sujet ».
Droit au but
Parmi eux, Onookome Okome, professeur nigérian enseignant à l'Université d'Alberta (Canada) venu animer une conférence sur Nollywood, n'a pu s'empêcher de rappeler que les cinéastes nigérians surnomment les réalisateurs d'Afrique francophone « réalisateurs d'Ambassade » : « Les films nigérians sont populaires, pas les films francophones. Ils ne sont visibles que dans les ambassades, pas auprès du peuple. Or, si l'on fait des films, c'est avant tout pour le public. Si personne ne les voit, quel est l'intérêt ? »
Plus radical, David Holmes, bénévole du festival, dénonce :« la France est un terrible maître colonial qui a donné l'opportunité à des cinéastes issus de ses anciennes colonies de faire des films, ce qui n'a pas été le cas de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne. Hormis Camp de Thiaroye [de Sembène Ousmane, Sénégal], ou Sarraounia [de Med Hondo, Mauritanie], aucun film ne critique ouvertement la France ».
Le réalisateur camerounais Jean-Pierre Békolo, invité par la School of Arts and Humanities de l'Université de Stirling pour présenter Les Saignantes et Quartier Mozart, est mitigé. « Je ne sais plus ce qui est francophone ou anglophone en moi. Je vois une approche mais pas la langue en tant que telle. En revanche, je ne sens pas la démarche des cinéastes francophones, la pensée. C'est incroyable. Même chez ceux qui sont des stars. On sent une espèce de réflexion sur l'Afrique, sur le cinéma, avec une pointe de misérabilisme, de continent abandonné. Alors qu'avec les autres, on va droit au but, on est dans la construction, on n'est pas dans l'argent, on est dans le pragmatisme.
Comme disent les Américains, ''seule la bonne jalousie te fait avancer'' : savoir comment l'autre a fait pour faire mieux que lui. Il est plus intéressant de pouvoir baigner dans des milieux positifs où l'on fait et l'on trouve des solutions, comme au Nigéria, même si leurs films sont mauvais. Les Francophones ne semblent pas être ceux qui produisent leurs discours. Il y a d'ailleurs une connivence étrange entre certains critiques français et les réalisateurs. Ce côté un peu incestueux d'acheter les gens mais n'avoir rien à dire est malsain. On veut faire des films, c'est tout ».
Mondes différents
Faire circuler les films et les cinéastes entre les différents bassins linguistiques de l'Afrique n'est pas un leurre. C'est une actualité. À tous les niveaux, les films cheminent de festivals francophones à anglophones, les réalisateurs se déplacent, parlent plusieurs langues, déposent leurs projets auprès de différents fonds. Malgré cela, une méconnaissance certaine demeure entre les pays. Si les festivals jouent leur rôle de fenêtre des différentes productions, la critique actuelle demeure cantonnée à sa langue natale (la dernière revue critique à l'échelle continentale, Écrans d'Afrique, s'est arrêtée en 1998) et les chaînes de télévision ne sont pas encore précurseurs d'un renouveau médiatique.
La faute pourrait être rejetée au coût de la traduction et du doublage, à l'absence de distributeurs ou aux accès Internet encore peu démocratisés (faute de haut débit et de coupures d'électricité) mais les films sont là. La réalisatrice sud-africaine Sara Blecher, venue présenter son long-métrage Otelo Burning, s'en réjouit : « Si tu ne regardes pas et ne te nourris pas des films des autres et ne t'en sers pas pour faire évoluer l'industrie, comment deviendras-tu meilleur-e ? Je pense qu'en Afrique, nous devons raconter les histoires différemment. Nous n'avons pas assez d'audience et devons trouver d'autres modèles pour distribuer nos films, attirer les spectateurs et leur donner envie de les consommer. Je n'ai vu que quelques films africains, c'est dommage, et j'ai hâte d'aller au Fespaco. Mais à l'échelle de l'Afrique, les paysages et les gens sont tellement différents... C'est comme parler d'Europe de l'Est et de l'Ouest ! Ce sont des mondes différents mais j'espère que nous les décloisonnerons ».
Propos recueillis et traduits de l'anglais par Claire Diao / Clap Noir
à Édimbourg, novembre 2012
NOTE : La revue Écrans d'Afrique / African Screens, était la seule revue bilingue (français/anglais) sur les cinémas d'Afrique. Édité à Ouagadougou et à Milan, son dernier numéro a paru en juillet 98.
Crédit photo : Claire Diao