À Rotterdam, les histoires africaines font sensation
Des images de l’Afrique ou des images sur l’Afrique ?
Au 42ème Festival International du Fllm de Rotterdam 2013 (IFFR) (23 janvier-03 février, Pays-Bas), l’Afrique a été bien présente. En plus des quelques titres de films qui font partie du programme traditionnel du panorama du cinéma mondial, place a été faite cette année à des programmes spécialement voués pour le continent noir.
Malheureusement, il semble que la programmation des films africains a trop souvent l’air de répondre à des arguments de toutes sortes, sauf à une reconnaissance réelle d’un cinéma authentiquement africain. On se demanderait si avoir des histoires africaines ne l’emporterait pas sur le désir de faire place à des films/regards typiquement africains. L’intérêt irait plus vers des images africaines que par des cinémas d’Afrique. Cela ne contribue-il pas à marginaliser les professionnels du continent noir ? Il y aurait là un débat qui ne cesse de revenir quant à la présence de l’Afrique dans beaucoup de festivals qui risque de paraître problématique mais qui, plus encore, demeure toujours nécessaire à soulever.
Il y a deux principaux paramètres qui paraissent être pris en considération dans la programmation des films d’Afrique. Le premier est d’inviter des films dont le passage a été remarqué dans de grands festivals internationaux. C’est le cas des deux films maghrébins : Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch et Rengaine de Rachid Djaïdani. Les deux films ont été repérés au dernier festival de Cannes. L’un dans la section Un Certain regard ; l’autre participait à la Quinzaine des Réalisateurs.
Les deux films ne manquent certes pas d’intérêt. D’ailleurs, le film de Nabil Ayouch remporte le prix du jeune public (MovieZone IFFR Jury) à Rotterdam 2013. Le second a déjà reçu la reconnaissance de la critique internationale (FIPRESCI) à Cannes. Ceci est louable tant il permet au public rotterdamois de découvrir des films à succès. Par contre cela est-il si utile que cela, quand ces mêmes films sont de toute façon programmés pour une sortie commerciale en Hollande et que le public va de toute évidence avoir l’occasion de les voir ?
Le second paramètre qui semble avoir un attrait particulier pour les programmeurs de Rotterdam, c’est la sélection des films produits dans le cadre de programmes spéciaux comme les deux initiatives du même festival il y a deux ans : « Where is Africa » et « Forget Africa ».
C’est dans ce cadre que sont sélectionnés les deux films kenyans : Nairobi Half Life attribué à David Tosh Gitonga et Something Necessary à Judy Kibinge. Les deux films sont le produit d’un atelier de formation organisé par des organisations allemandes, en collaboration avec des institutions locales. Leur réalisation a été encadrée par des professionnels allemands. C’est pourquoi leur attribution à un auteur semble excessive.
Le produit final est très décevant et ne pourrait pas représenter le talent des enfants de l’Afrique. Cela donne des histoires ainsi que des dialogues si simplistes et si univoques qu’on dirait qu’ils reproduisent l’idée complètement injuste que les Africains sont incapables d’originalité. Le résultat sert d’argument, en l’occurrence, pour retirer les subventions à des festivals de films africains, dans plusieurs pays d’Europe. Le moralisme et la naïveté qu’on retrouve dans ces deux films ne s’éloignent pas beaucoup des petits films de Nollywood. Le pire, c’est qu’ils sont présentés comme s’ils étaient représentatifs d’une certaine Afrique. Si c’est le meilleur que l’on puisse tirer des jeunes Africains, c’est que nous sommes en train de niveler par le bas leur potentiel de création. Heureusement que ce n’est pas toujours le cas et que d’autres expériences viennent contrer ces préjugés.
Un autre programme composé de courts métrages est aussi issu du même principe. Cinq courts documentaires ont représenté le Soudan au festival de Rotterdam. Ils ont été produits dans le cadre d’un atelier piloté par le Goethe Institute (le centre culturel allemand) de Khartoum et baptisé « Sudan’s Swinging Film Factory ». Cette initiative mérite l’admiration : elle est née dans un pays presque oublié, du point de vue du septième art. Chacun des films traite d’un aspect de la société soudanaise avec un regard jeune et tout en fraicheur. Les jeunes Soudanais prennent la parole pour donner à voir différents aspects de leur monde : le drame des salles de cinéma, un vendeur de Rabbaba (un instrument de musique traditionnel), un groupe de musique soul, le monde du hip hop au Soudan, etc.
Le programme est proposé comme un hommage au pays de Gadallah Gubara, un des réalisateurs fondateurs du Fespaco. Le Soudan a été sorti injustement et trop tôt de la carte du cinéma africain et mondial à cause du drame humain, naturel , social et politique qui le déchire au sens propre et figuré.
Il est pourtant des films qui laissent plus d’un perplexe. Ninah's Dowry ("La dot de Ninah") du Camerounais Victor Viyuoh est un film qui, malgré une naïveté apparente, reste digne d’intérêt si on voulait le situer dans la continuité de ce qui se fait en Afrique en termes du rapport à l’image: un drame typiquement simple à la Nollywood est articulé sur un fond de film de Calebasse. Les deux genres semblent se retrouver autour de thèmes traditionnels comme ceux de la pauvreté, de la condition de la femme et du poids de la tradition. Viyuoh parvient à trouver le bon rythme en usant avec modération des ingrédients du mélodrame, de l’action et des tirades didactiques. Ce jeune réalisateur avait déjà connu un grand succès avec son premier court métrage Mboutoukou. Dans ce long métrage on peut voir qu’il peut aller très loin à condition qu’il échappe à la facilité de l’imitation et du copiage et continue de puiser dans ce qui est authentique.
D’autres films, dont « l’africanité » poserait problème, n’ont pas manqué de laisser une bonne impression. Il s’agit de films fait en Afrique par des non-Africains. C’est le cas de Grand comme le Baobab (Tall as the Baobab Tree) de Jeremy Teicher et Die Welt (« Le Monde ») par Alex Pitstra. Le premier est un Américain, qui après avoir fait un film de fin d’études, est inspiré par des histoires locales dans un village sénégalais. Le produit est un film qui revient sur des sujets qui ont tout l’air de terrains battus. La question du mariage des mineurs selon la tradition des petits villages ne s’élève pas au-dessus d’une description sociologique au premier degré. Le film est piégé par un regard externe qui n’arrive pas à pénétrer le monde qu’il décrit et donc il ne parvient pas au niveau de la réflexion. Chose que l’on trouvait dans Moolaadé de feu Sembene Ousmane pour ne citer qu’un titre.
Le cas de l’autre film est plus complexe. Le vrai nom d’Alex Pitstra est Karim Alexander Elhassan Pitstra. Le nom dit l’absurdité de vouloir ramener l’existence, et encore moins, la source d’inspiration d’un auteur à une identité par défaut. Alex est un cinéaste hollandais dont le père est Tunisien. Son film, Die Welt est le produit du choc qu’il a eu lorsque, ayant atteint ses 25 printemps, il est parti rencontrer son père pour la première fois en Tunisie. Là, il a découvert une existence pleine de frustration, de rêve, de déception mais aussi de joie de vivre, qui aurait pu être la sienne s’il avait grandi du côté de son père. La question que le réalisateur se pose sur le sens qu’une vie peut avoir intervient en plus dans le contexte de la révolution tunisienne de janvier 2011. C’est donc dans ce terrain fertile de la schizophrénie que Pitstra propose un regard profondément authentique sur la réalité des jeunes tunisiens : les lieux où ils évoluent, le langage qu’ils utilisent, leurs gestes les plus anodins, leur humour marqué du poids de la réalité difficile, les manifestations de leurs fantasmes les plus profonds, et les paradoxes de leur entourage entre les traditions et les compromis nécessaires,…. Le tout est décrit avec un réalisme poignant.
Présence problématique donc, mais malgré tout nécessaire, c’est ainsi que l’Afrique est donnée à voir au Festival de Rotterdam. On cherche différentes raisons pour justifier les participations africaines. Est-ce la spécificité de l’esprit de festival, à la recherche des nouvelles tendances et de nouveaux talents dont l’Afrique ne serait pas une terre porteuse? Est-ce l’Afrique qui manquerait de stratégie(s) susceptible(s) de permettre à ses enfants de se positionner par rapport aux scènes mondiales du cinéma ?
En attendant les attitudes resteront divisées entre l’accusation des uns de néocolonialisme rampant et le reproche aux autres de nourrir une attitude de racisme par contre-réaction. Les uns considèreront que le déséquilibre économique mondial contribue à développer la production de l’image dans un seul sens en favorisant ceux qui viennent du centre contre ceux de la périphérie. Les autres, continueront de penser que la création est un droit universel peut importe d’où l’on vient. L’essentiel dans cette histoire serait d’être authentique et intellectuellement assez honnête pour que, quel que soit le côté d’où on considère les choses soit en faisant des films soit en les programmant, notre discours ne falsifie pas la réalité et dénonce de la manière la plus subtile et la plus pertinente possible ce déséquilibre injuste. A défaut de cela on continuerait à être, consciemment ou non, complices des plus grandes aberrations de notre temps.
par Hassouna Mansouri
Africiné, Amsterdam
Les films sur/d’Afrique à Rotterdam 2013 (page en anglais)
www.filmfestivalrotterdam.com/en/iffr-2013/worldmap/?continent=af
Malheureusement, il semble que la programmation des films africains a trop souvent l’air de répondre à des arguments de toutes sortes, sauf à une reconnaissance réelle d’un cinéma authentiquement africain. On se demanderait si avoir des histoires africaines ne l’emporterait pas sur le désir de faire place à des films/regards typiquement africains. L’intérêt irait plus vers des images africaines que par des cinémas d’Afrique. Cela ne contribue-il pas à marginaliser les professionnels du continent noir ? Il y aurait là un débat qui ne cesse de revenir quant à la présence de l’Afrique dans beaucoup de festivals qui risque de paraître problématique mais qui, plus encore, demeure toujours nécessaire à soulever.
Il y a deux principaux paramètres qui paraissent être pris en considération dans la programmation des films d’Afrique. Le premier est d’inviter des films dont le passage a été remarqué dans de grands festivals internationaux. C’est le cas des deux films maghrébins : Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch et Rengaine de Rachid Djaïdani. Les deux films ont été repérés au dernier festival de Cannes. L’un dans la section Un Certain regard ; l’autre participait à la Quinzaine des Réalisateurs.
Les deux films ne manquent certes pas d’intérêt. D’ailleurs, le film de Nabil Ayouch remporte le prix du jeune public (MovieZone IFFR Jury) à Rotterdam 2013. Le second a déjà reçu la reconnaissance de la critique internationale (FIPRESCI) à Cannes. Ceci est louable tant il permet au public rotterdamois de découvrir des films à succès. Par contre cela est-il si utile que cela, quand ces mêmes films sont de toute façon programmés pour une sortie commerciale en Hollande et que le public va de toute évidence avoir l’occasion de les voir ?
Le second paramètre qui semble avoir un attrait particulier pour les programmeurs de Rotterdam, c’est la sélection des films produits dans le cadre de programmes spéciaux comme les deux initiatives du même festival il y a deux ans : « Where is Africa » et « Forget Africa ».
C’est dans ce cadre que sont sélectionnés les deux films kenyans : Nairobi Half Life attribué à David Tosh Gitonga et Something Necessary à Judy Kibinge. Les deux films sont le produit d’un atelier de formation organisé par des organisations allemandes, en collaboration avec des institutions locales. Leur réalisation a été encadrée par des professionnels allemands. C’est pourquoi leur attribution à un auteur semble excessive.
Le produit final est très décevant et ne pourrait pas représenter le talent des enfants de l’Afrique. Cela donne des histoires ainsi que des dialogues si simplistes et si univoques qu’on dirait qu’ils reproduisent l’idée complètement injuste que les Africains sont incapables d’originalité. Le résultat sert d’argument, en l’occurrence, pour retirer les subventions à des festivals de films africains, dans plusieurs pays d’Europe. Le moralisme et la naïveté qu’on retrouve dans ces deux films ne s’éloignent pas beaucoup des petits films de Nollywood. Le pire, c’est qu’ils sont présentés comme s’ils étaient représentatifs d’une certaine Afrique. Si c’est le meilleur que l’on puisse tirer des jeunes Africains, c’est que nous sommes en train de niveler par le bas leur potentiel de création. Heureusement que ce n’est pas toujours le cas et que d’autres expériences viennent contrer ces préjugés.
Un autre programme composé de courts métrages est aussi issu du même principe. Cinq courts documentaires ont représenté le Soudan au festival de Rotterdam. Ils ont été produits dans le cadre d’un atelier piloté par le Goethe Institute (le centre culturel allemand) de Khartoum et baptisé « Sudan’s Swinging Film Factory ». Cette initiative mérite l’admiration : elle est née dans un pays presque oublié, du point de vue du septième art. Chacun des films traite d’un aspect de la société soudanaise avec un regard jeune et tout en fraicheur. Les jeunes Soudanais prennent la parole pour donner à voir différents aspects de leur monde : le drame des salles de cinéma, un vendeur de Rabbaba (un instrument de musique traditionnel), un groupe de musique soul, le monde du hip hop au Soudan, etc.
Le programme est proposé comme un hommage au pays de Gadallah Gubara, un des réalisateurs fondateurs du Fespaco. Le Soudan a été sorti injustement et trop tôt de la carte du cinéma africain et mondial à cause du drame humain, naturel , social et politique qui le déchire au sens propre et figuré.
Il est pourtant des films qui laissent plus d’un perplexe. Ninah's Dowry ("La dot de Ninah") du Camerounais Victor Viyuoh est un film qui, malgré une naïveté apparente, reste digne d’intérêt si on voulait le situer dans la continuité de ce qui se fait en Afrique en termes du rapport à l’image: un drame typiquement simple à la Nollywood est articulé sur un fond de film de Calebasse. Les deux genres semblent se retrouver autour de thèmes traditionnels comme ceux de la pauvreté, de la condition de la femme et du poids de la tradition. Viyuoh parvient à trouver le bon rythme en usant avec modération des ingrédients du mélodrame, de l’action et des tirades didactiques. Ce jeune réalisateur avait déjà connu un grand succès avec son premier court métrage Mboutoukou. Dans ce long métrage on peut voir qu’il peut aller très loin à condition qu’il échappe à la facilité de l’imitation et du copiage et continue de puiser dans ce qui est authentique.
D’autres films, dont « l’africanité » poserait problème, n’ont pas manqué de laisser une bonne impression. Il s’agit de films fait en Afrique par des non-Africains. C’est le cas de Grand comme le Baobab (Tall as the Baobab Tree) de Jeremy Teicher et Die Welt (« Le Monde ») par Alex Pitstra. Le premier est un Américain, qui après avoir fait un film de fin d’études, est inspiré par des histoires locales dans un village sénégalais. Le produit est un film qui revient sur des sujets qui ont tout l’air de terrains battus. La question du mariage des mineurs selon la tradition des petits villages ne s’élève pas au-dessus d’une description sociologique au premier degré. Le film est piégé par un regard externe qui n’arrive pas à pénétrer le monde qu’il décrit et donc il ne parvient pas au niveau de la réflexion. Chose que l’on trouvait dans Moolaadé de feu Sembene Ousmane pour ne citer qu’un titre.
Le cas de l’autre film est plus complexe. Le vrai nom d’Alex Pitstra est Karim Alexander Elhassan Pitstra. Le nom dit l’absurdité de vouloir ramener l’existence, et encore moins, la source d’inspiration d’un auteur à une identité par défaut. Alex est un cinéaste hollandais dont le père est Tunisien. Son film, Die Welt est le produit du choc qu’il a eu lorsque, ayant atteint ses 25 printemps, il est parti rencontrer son père pour la première fois en Tunisie. Là, il a découvert une existence pleine de frustration, de rêve, de déception mais aussi de joie de vivre, qui aurait pu être la sienne s’il avait grandi du côté de son père. La question que le réalisateur se pose sur le sens qu’une vie peut avoir intervient en plus dans le contexte de la révolution tunisienne de janvier 2011. C’est donc dans ce terrain fertile de la schizophrénie que Pitstra propose un regard profondément authentique sur la réalité des jeunes tunisiens : les lieux où ils évoluent, le langage qu’ils utilisent, leurs gestes les plus anodins, leur humour marqué du poids de la réalité difficile, les manifestations de leurs fantasmes les plus profonds, et les paradoxes de leur entourage entre les traditions et les compromis nécessaires,…. Le tout est décrit avec un réalisme poignant.
Trailer Die Welt | IFFR 2013 from Alex Pitstra on Vimeo.
Présence problématique donc, mais malgré tout nécessaire, c’est ainsi que l’Afrique est donnée à voir au Festival de Rotterdam. On cherche différentes raisons pour justifier les participations africaines. Est-ce la spécificité de l’esprit de festival, à la recherche des nouvelles tendances et de nouveaux talents dont l’Afrique ne serait pas une terre porteuse? Est-ce l’Afrique qui manquerait de stratégie(s) susceptible(s) de permettre à ses enfants de se positionner par rapport aux scènes mondiales du cinéma ?
En attendant les attitudes resteront divisées entre l’accusation des uns de néocolonialisme rampant et le reproche aux autres de nourrir une attitude de racisme par contre-réaction. Les uns considèreront que le déséquilibre économique mondial contribue à développer la production de l’image dans un seul sens en favorisant ceux qui viennent du centre contre ceux de la périphérie. Les autres, continueront de penser que la création est un droit universel peut importe d’où l’on vient. L’essentiel dans cette histoire serait d’être authentique et intellectuellement assez honnête pour que, quel que soit le côté d’où on considère les choses soit en faisant des films soit en les programmant, notre discours ne falsifie pas la réalité et dénonce de la manière la plus subtile et la plus pertinente possible ce déséquilibre injuste. A défaut de cela on continuerait à être, consciemment ou non, complices des plus grandes aberrations de notre temps.
par Hassouna Mansouri
Africiné, Amsterdam
Les films sur/d’Afrique à Rotterdam 2013 (page en anglais)
www.filmfestivalrotterdam.com/en/iffr-2013/worldmap/?continent=af