6ème Festival du Film du Golfe (Dubaï. Emirats Arabes Unis) : les cinéastes du Golfe aux confins des productions francophones.
Le Gulf Film Festival s'est tenu à Dubaï (Emirats Arabes Unis), avec des compétitions en quatre sections et un marché du film. Des perspectives existent pour les productions francophones.
L’émergence notable des images dans les pays du Golfe persique se mesure chaque année à Dubaï, dans une manifestation très ouverte qui les sélectionne et les promotionne. Le 6ème Festival du Film du Golfe qui s’est tenu du 11 au 17 avril 2013 (Gulf Film Festival, à Dubaï. Emirats Arabes Unis), confirme sa volonté de « célébrer et encourager le meilleur du cinéma arabe ».
Les sections compétitives, riches de 169 films venus de 43 pays, présentent les longs-métrages, les courts, les films d’étudiants des pays du Golfe mais aussi des courts-métrages internationaux. Et le Marché du Film du Golfe (Gulf Film Market, du 14 au 17 avril), multiplie les rencontres avec les professionnels pour poser les bases de productions intensément recherchées par les cinéastes.
L’enjeu majeur des pays du Golfe est de favoriser la production locale, alors que les structures du cinéma n’existent pas dans les états les plus jeunes. Hormis les contrées du nord où le cinéma a une histoire comme l’Iran ou l’Irak, l’industrie reste à construire au sud du Golfe persique où le Qatar, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis sont plus enclins à investir dans l’immobilier ou le tourisme que dans le 7ème art. D’autres comme l’Arabie Saoudite, envisagent le traitement des images par le cinéma avec réserve. La porte reste alors ouverte aux blockbusters américains, aux romances indiennes qui déferlent sur les écrans.
Pourtant les cinéastes iraniens se démarquent brillamment au nord, multipliant les échappées de plus en plus souvent hors du pays et vers l’Occident. Mais les liens sont distants avec les autres régimes qui ne reçoivent pas ces films. Les images, et les réalisateurs, circulent plus volontiers entre les pays du sud et de l’ouest tandis qu’une nouvelle génération tente d’accéder à la maitrise des images.
Les programmes et les initiatives du Gulf Film Festival révèlent les frémissements qui secouent l’audiovisuel dans la région. Les autorités des Emirats Arabes Unis soutiennent avec volontarisme une manifestation qui se veut une alternative aux manques d’infrastructure du cinéma. Depuis sa création, en 2008, le festival sert de plateforme pour développer une véritable culture de l’image et affirmer l’identité locale comme l’explique volontiers son directeur, Masoud Amralla Al Ali, un cinéphile clairvoyant et dynamique, relayé par une équipe bien structurée et efficace.
Les fictions sélectionnées comme les documentaires et les films d’animation, attestent de la variété des genres investis par les réalisateurs du Golfe. Mais leurs moyens les orientent surtout vers la pratique du court métrage qui nécessite moins de logistique à mettre en œuvre. La sélection du GFF ménage en outre une ouverture vers l’expérimental avec quelques films à l’esthétique plus audacieuse, repérés par le critique Salah Sermini, et une soirée consacrée au « cinéma différent », animée par la réalisatrice Frédérique Devaux, venue de France.
La relation entre la qualité des programmes sélectionnés et l’impact du marché du film, dirigé par Shivani Pandya et Samr Al Marzooqi, est illustrée cette année par le palmarès du festival. Le jury de la compétition du Golfe, présidé par le cinéaste égyptien Ossama Fawzi, en choisissant comme Meilleur Film Wadjda de Haifaa Al Mansour, consacre un premier long-métrage touchant, dont le scénario a été développé lors d’une précédente édition, dans le cadre des aides du GFF. La réalisatrice d’Arabie Saoudite, déjà couronnée de prix dont certains au Festival de Venise, s’impose ainsi comme une des premières femmes d’images, reconnue de son pays, en livrant une histoire sensible, au style classique, sur les rêves d’une fillette qui veut avoir un vélo dans un état où ce n’est pas permis pour elle. Le film déjà distribué dans plusieurs pays dont la France, est exemplaire d’une des voies empruntées par les cinéastes du Golfe : établir une coproduction solide avec l’Occident pour mobiliser des moyens qui permettent de signer une histoire forte.
Le Prix Spécial du Jury attribué à Karzan Kader pour Bekas, confirme cette tendance. Le cinéaste, né en Irak, bénéficie d’une production suisse pour conter les rêves d’évasion de deux garçons du Kurdistan Iraquien, sous le régime de Saddam Hussein. La combinaison d’une production siglée de l’Irak, l’Italie, le Koweït et les Emirats Arabes Unis, permet aussi à Haider Rashid, né en Italie, d’obtenir le Troisième Prix avec Sta per piovere (Il va pleuvoir), suivant les péripéties d’un père algérien et ses deux fils italo-algériens, dans leur rapport conflictuel avec l’Italie.
En concentrant le palmarès sur quelques films, le jury conforte le développement des coproductions avec l’Occident pour relever la qualité technique recherchée par les cinéastes du Golfe. « Il y a vraiment un fossé entre des films de bon niveau et ceux d’une esthétique médiocre, faits avec des moyens modestes », relève le président du jury, Ossama Fawzi, un réalisateur qui a livré le meilleur de ses films en marge des systèmes de production commerciaux en Egypte.
La sélection des courts-métrages en compétition confirme cette approche. Les cinéastes du Golfe se tournent volontiers vers des espaces francophones pour étayer leurs productions. Sahim Omar Kalifa, né au Kurdistan iraquien, remporte le Prix du Meilleur Film avec Baghdad Messi, une coproduction entre les Emirats Arabes Unis et la Belgique. On y voit un enfant unijambiste, fan de foot, entrainer son père à risquer sa vie en ville pour faire réparer la télé où il suit les matchs avec ses copains.
La réalisatrice Ahd Kamel qui obtient le Deuxième Prix avec La sainteté, réunit l’Arabie Saoudite avec la France pour raconter les émois d’une jeune fille enceinte. Sa présence au palmarès met en lumière la percée très forte des femmes dans le monde de l’audiovisuel des pays du Golfe. Les coproductions entre les Emirats Arabes Unis et d’autres pays de la région y sont très prisées comme le montre Luay Fadhil, né en Irak, qui reçoit le Prix du Meilleur Réalisateur pour Cotton, croisant une jeune paysanne qui s’ouvre à la vie, et le cercueil d’un mort traversant la contrée. Dans de nombreux cas, l’impulsion des Emirats permet d’assurer une bonne partie du financement comme on le voit avec The path dont le coréalisateur Abdulla Aljunaibi gagne le Prix du Scénario.
Le rôle du Gulf Film Festival semble ainsi servir d’alternative à l’absence d’organisation du cinéma dans la région. L’implication du gouvernement et des partenaires permet d’attribuer 500.000 dirhams (environ 100.000 euros) aux lauréats des quatre sections compétitives. The Investment Corporation of Dubaï associé à Dubaï Studio City s’engagent dans l’organisation. Cette année encore le Gulf Film Market favorise le travail sur le scénario de 12 films avec l’encadrement du réalisateur égyptien Yousry Nasrallah et de Mohammed Hassan Ahmad. Enjaaz, le fond de production du Gulf Film Market, est complété par Enjaaz Gulf Short qui pour la deuxième fois, aide dix projets en production. La New York Film Academy qui anime des séances de formation sur la production, la diffusion, dans le cadre du marché du film, attribue ses prix. Ces initiatives sont relayées par le partenariat avec le Robert Bosch Stiftung, une fondation philanthropique allemande, qui encourage les productions entre les auteurs émergents du Golfe et l’Allemagne. Mais on trouve aussi à Dubaï des professionnels français, espagnols et d’autres pays d’Europe, qui lancent des projets de coopération.
L’ouverture vers l’Occident est notable surtout lorsque les réalisateurs viennent y étudier, signant des films d’école qui se retrouvent dans la section compétitive des courts-métrages d’étudiants. Mais les lauréats de cette section, dont le jury est présidé par la réalisatrice franco-algérienne Frédérique Devaux, sont pour la plupart originaires des pays du Golfe où existent les établissements qui forment à l’audiovisuel, en particulier les Emirats Arabes Unis ou le Qatar dont le Doha Film Institute est très actif. La séance présentant quelques unes de ses productions au GFF en témoigne.
La circulation des cinéastes du Golfe vers les États les plus riches qui les accueillent et les encouragent permet de solidifier le socle d’une production régionale. Pourtant l’apprentissage de l’audiovisuel avec des outils technologiques modernes ne renvoie pas forcément à une éducation du cinéma comme peuvent l’offrir des structures occidentales, installées depuis les débuts du 7ème art. L’aspiration à développer la production locale motive cependant les réalisateurs qui profitent des aides et des initiatives développées par le Gulf Film Festival et son marché du film.
L’apport potentiel des instances francophones n’est pas négligé pour autant, même si la présence anglaise a laissé sa marque dans la région et orienté les alliances vers les zones anglophones. Les professionnels et les cinéphiles qui se croisent au 6ème Gulf Film Festival confirment que l’expression de l’identité des réalisateurs du Golfe peut trouver une place croissante dans les changements qui agitent les milieux du cinéma mondial.
par Michel AMARGER
Africiné, Paris
Correspondance spéciale
Photo : Le bureau d’accueil du Gulf Film Market © Michel AMARGER. Dubaï, avril 2013
Les sections compétitives, riches de 169 films venus de 43 pays, présentent les longs-métrages, les courts, les films d’étudiants des pays du Golfe mais aussi des courts-métrages internationaux. Et le Marché du Film du Golfe (Gulf Film Market, du 14 au 17 avril), multiplie les rencontres avec les professionnels pour poser les bases de productions intensément recherchées par les cinéastes.
L’enjeu majeur des pays du Golfe est de favoriser la production locale, alors que les structures du cinéma n’existent pas dans les états les plus jeunes. Hormis les contrées du nord où le cinéma a une histoire comme l’Iran ou l’Irak, l’industrie reste à construire au sud du Golfe persique où le Qatar, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis sont plus enclins à investir dans l’immobilier ou le tourisme que dans le 7ème art. D’autres comme l’Arabie Saoudite, envisagent le traitement des images par le cinéma avec réserve. La porte reste alors ouverte aux blockbusters américains, aux romances indiennes qui déferlent sur les écrans.
Pourtant les cinéastes iraniens se démarquent brillamment au nord, multipliant les échappées de plus en plus souvent hors du pays et vers l’Occident. Mais les liens sont distants avec les autres régimes qui ne reçoivent pas ces films. Les images, et les réalisateurs, circulent plus volontiers entre les pays du sud et de l’ouest tandis qu’une nouvelle génération tente d’accéder à la maitrise des images.
Les programmes et les initiatives du Gulf Film Festival révèlent les frémissements qui secouent l’audiovisuel dans la région. Les autorités des Emirats Arabes Unis soutiennent avec volontarisme une manifestation qui se veut une alternative aux manques d’infrastructure du cinéma. Depuis sa création, en 2008, le festival sert de plateforme pour développer une véritable culture de l’image et affirmer l’identité locale comme l’explique volontiers son directeur, Masoud Amralla Al Ali, un cinéphile clairvoyant et dynamique, relayé par une équipe bien structurée et efficace.
Les fictions sélectionnées comme les documentaires et les films d’animation, attestent de la variété des genres investis par les réalisateurs du Golfe. Mais leurs moyens les orientent surtout vers la pratique du court métrage qui nécessite moins de logistique à mettre en œuvre. La sélection du GFF ménage en outre une ouverture vers l’expérimental avec quelques films à l’esthétique plus audacieuse, repérés par le critique Salah Sermini, et une soirée consacrée au « cinéma différent », animée par la réalisatrice Frédérique Devaux, venue de France.
La relation entre la qualité des programmes sélectionnés et l’impact du marché du film, dirigé par Shivani Pandya et Samr Al Marzooqi, est illustrée cette année par le palmarès du festival. Le jury de la compétition du Golfe, présidé par le cinéaste égyptien Ossama Fawzi, en choisissant comme Meilleur Film Wadjda de Haifaa Al Mansour, consacre un premier long-métrage touchant, dont le scénario a été développé lors d’une précédente édition, dans le cadre des aides du GFF. La réalisatrice d’Arabie Saoudite, déjà couronnée de prix dont certains au Festival de Venise, s’impose ainsi comme une des premières femmes d’images, reconnue de son pays, en livrant une histoire sensible, au style classique, sur les rêves d’une fillette qui veut avoir un vélo dans un état où ce n’est pas permis pour elle. Le film déjà distribué dans plusieurs pays dont la France, est exemplaire d’une des voies empruntées par les cinéastes du Golfe : établir une coproduction solide avec l’Occident pour mobiliser des moyens qui permettent de signer une histoire forte.
Le Prix Spécial du Jury attribué à Karzan Kader pour Bekas, confirme cette tendance. Le cinéaste, né en Irak, bénéficie d’une production suisse pour conter les rêves d’évasion de deux garçons du Kurdistan Iraquien, sous le régime de Saddam Hussein. La combinaison d’une production siglée de l’Irak, l’Italie, le Koweït et les Emirats Arabes Unis, permet aussi à Haider Rashid, né en Italie, d’obtenir le Troisième Prix avec Sta per piovere (Il va pleuvoir), suivant les péripéties d’un père algérien et ses deux fils italo-algériens, dans leur rapport conflictuel avec l’Italie.
En concentrant le palmarès sur quelques films, le jury conforte le développement des coproductions avec l’Occident pour relever la qualité technique recherchée par les cinéastes du Golfe. « Il y a vraiment un fossé entre des films de bon niveau et ceux d’une esthétique médiocre, faits avec des moyens modestes », relève le président du jury, Ossama Fawzi, un réalisateur qui a livré le meilleur de ses films en marge des systèmes de production commerciaux en Egypte.
La sélection des courts-métrages en compétition confirme cette approche. Les cinéastes du Golfe se tournent volontiers vers des espaces francophones pour étayer leurs productions. Sahim Omar Kalifa, né au Kurdistan iraquien, remporte le Prix du Meilleur Film avec Baghdad Messi, une coproduction entre les Emirats Arabes Unis et la Belgique. On y voit un enfant unijambiste, fan de foot, entrainer son père à risquer sa vie en ville pour faire réparer la télé où il suit les matchs avec ses copains.
La réalisatrice Ahd Kamel qui obtient le Deuxième Prix avec La sainteté, réunit l’Arabie Saoudite avec la France pour raconter les émois d’une jeune fille enceinte. Sa présence au palmarès met en lumière la percée très forte des femmes dans le monde de l’audiovisuel des pays du Golfe. Les coproductions entre les Emirats Arabes Unis et d’autres pays de la région y sont très prisées comme le montre Luay Fadhil, né en Irak, qui reçoit le Prix du Meilleur Réalisateur pour Cotton, croisant une jeune paysanne qui s’ouvre à la vie, et le cercueil d’un mort traversant la contrée. Dans de nombreux cas, l’impulsion des Emirats permet d’assurer une bonne partie du financement comme on le voit avec The path dont le coréalisateur Abdulla Aljunaibi gagne le Prix du Scénario.
Le rôle du Gulf Film Festival semble ainsi servir d’alternative à l’absence d’organisation du cinéma dans la région. L’implication du gouvernement et des partenaires permet d’attribuer 500.000 dirhams (environ 100.000 euros) aux lauréats des quatre sections compétitives. The Investment Corporation of Dubaï associé à Dubaï Studio City s’engagent dans l’organisation. Cette année encore le Gulf Film Market favorise le travail sur le scénario de 12 films avec l’encadrement du réalisateur égyptien Yousry Nasrallah et de Mohammed Hassan Ahmad. Enjaaz, le fond de production du Gulf Film Market, est complété par Enjaaz Gulf Short qui pour la deuxième fois, aide dix projets en production. La New York Film Academy qui anime des séances de formation sur la production, la diffusion, dans le cadre du marché du film, attribue ses prix. Ces initiatives sont relayées par le partenariat avec le Robert Bosch Stiftung, une fondation philanthropique allemande, qui encourage les productions entre les auteurs émergents du Golfe et l’Allemagne. Mais on trouve aussi à Dubaï des professionnels français, espagnols et d’autres pays d’Europe, qui lancent des projets de coopération.
L’ouverture vers l’Occident est notable surtout lorsque les réalisateurs viennent y étudier, signant des films d’école qui se retrouvent dans la section compétitive des courts-métrages d’étudiants. Mais les lauréats de cette section, dont le jury est présidé par la réalisatrice franco-algérienne Frédérique Devaux, sont pour la plupart originaires des pays du Golfe où existent les établissements qui forment à l’audiovisuel, en particulier les Emirats Arabes Unis ou le Qatar dont le Doha Film Institute est très actif. La séance présentant quelques unes de ses productions au GFF en témoigne.
La circulation des cinéastes du Golfe vers les États les plus riches qui les accueillent et les encouragent permet de solidifier le socle d’une production régionale. Pourtant l’apprentissage de l’audiovisuel avec des outils technologiques modernes ne renvoie pas forcément à une éducation du cinéma comme peuvent l’offrir des structures occidentales, installées depuis les débuts du 7ème art. L’aspiration à développer la production locale motive cependant les réalisateurs qui profitent des aides et des initiatives développées par le Gulf Film Festival et son marché du film.
L’apport potentiel des instances francophones n’est pas négligé pour autant, même si la présence anglaise a laissé sa marque dans la région et orienté les alliances vers les zones anglophones. Les professionnels et les cinéphiles qui se croisent au 6ème Gulf Film Festival confirment que l’expression de l’identité des réalisateurs du Golfe peut trouver une place croissante dans les changements qui agitent les milieux du cinéma mondial.
par Michel AMARGER
Africiné, Paris
Correspondance spéciale
Photo : Le bureau d’accueil du Gulf Film Market © Michel AMARGER. Dubaï, avril 2013