2ème sexe et 7ème art
Femmes de cinéma, cinéma de femmes.
Le nombre de cinéastes femmes augmente mais reste insignifiant comparé à celui des hommes. À côté de cela, on voit aussi quelques festivals de films dédiés aux femmes s’établir dans différentes régions. À défaut d’y craindre un risque de ghettoïsation, la gent féminine y voit une opportunité d’accroître sa visibilité. Cela permet-il d’approcher des sujets spécifiques aux femmes peu abordés à l’écran ou encore de s’engager dans une perspective féministe?
Des femmes de l’image y répondent sans détour.
Lors d’un panel de discussion avec des cinéastes femmes [durant le colloque organisé par le Festival Vues d'Afrique : les Journées du cinéma africain et créole de Montréal 2013, au Canada, ndlr], il a fallu attendre la 4ème ou 5ème question du public pour entrer dans le vif du sujet, à savoir l’œuvre cinématographique de la réalisatrice en tant que telle. Les premières interventions portaient essentiellement sur leur statut de femme, pourtant loin d’être le thème de la rencontre : Comment gérez-vous votre profession en tant que femme? Quels obstacles rencontrerez-vous sur le terrain vous qui êtes une femme? Et ainsi de suite. Le plus souvent, ces interventions proviennent d’autres femmes... Malgré plusieurs années de présence dans l’industrie, il est encore surprenant qu’une femme puisse être l’auteure de telle ou telle œuvre cinématographique.
Pourquoi des festivals de films pour femmes?
Si cette question se pose encore aujourd’hui, c’est qu’on sous-estime le fait qu’il y a effectivement peu de femmes cinéastes dans le métier. Apercevoir des visages féminins sur les écrans ou les voir occuper des fonctions autres que la réalisation (montage, production, casting, etc.), peut donner une image biaisée de la réalité.
La réalisatrice camerounaise Osvalde Lewat (Land Rush, Une affaire de nègres*) raconte que les gens sont encore surpris quand elle leur dit qu’elle est cinéaste : « À talent égal, à moyen égal, il est toujours plus difficile pour une femme de faire un film. Les femmes ont encore beaucoup à investir dans le cinéma surtout derrière la caméra comme réalisatrice. Moi, quand je dis que je fais des films on me demande toujours : Vous êtes actrice? Vous êtes monteuse? J’attends le jour où l’on va me demander si je suis réalisatrice », dit-elle.
D’après Beti Ellerson, Directrice du Centre pour l'étude et la recherche des femmes africaines dans le cinéma (Center for the Study and Research of African Women in Cinema, AFWC), si l’on regarde l’Histoire de manière générale, il y a toujours eu des événements consacrés à un groupe, parce que historiquement celui-ci a été négligé, sous-représenté ou simplement pour souligner sa spécificité : « La création d’associations de femmes, la commémoration de la Journée Internationale de la Femme et le mois de l’Histoire de la Femme sont tous des exemples de cette consécration. Les festivals de films de Femmes et les éditions de festivals à thème féminins existent pour la même raison, tout comme la compagnie d’influence Women Make Movies, basée à New-York, explique-t-elle.
Plutôt que de le voir comme une ghettoïsation des films des femmes, je vois cette pratique comme la valorisation des expériences et des perspectives de femmes, qui autrement seraient restées en marge, à cause de la sous-représentation des femmes dans la société à travers le monde. D’un autre côté, Je ne suis pas trop pour les événements sur le thème des femmes comme attrape-tout, trompe l’œil ou pour faire tendance. Il doit y avoir un intérêt ingénieux pour les femmes... ».
« Il y a plus de cinéastes hommes qui ont fait des films sur les femmes que de cinéastes femmes sur les femmes »
Si l’on considère l’argument selon lequel ces festivals permettent notamment de montrer des sujets spécifiques aux femmes, on peut leur souhaiter longue vie parce que la femme est un sujet qui n’a pas encore été totalement exploré au cinéma, selon Osvalde Lewat : « Il n’y a pas tant de festivals de films de femmes que ça, s’exclame-t-elle. Il y a plus de cinéastes hommes qui ont fait des films sur les femmes que les cinéastes femmes sur les femmes », affirme-t-elle.
Par contre, pour la réalisatrice algérienne Fatma Zohra Zamoum (Kedach ethabni / Combien tu m'aimes), « Femmes ou hommes, on est tous égaux devant les institutions financières de l’industrie ! ».
La réalisatrice togolaise Gentille Assih (Le Rite, la folle et Moi*, Itchombi) quant à elle, explique n’avoir jamais basé ses choix ou son travail sur le fait qu’elle soit une femme. Pour elle, les festivals pour Femmes sont des festivals thématiques qui ont leur raison d'être autant que d’autres festivals spécialisés. « Ce sont des marchés, des vitrines, des espaces de rencontre et d'échanges. Il y a bien des festivals spécialisés pour cinéma d'animation, gay, documentaire, africain, droits de l'homme, et autres. Il revient au cinéaste de choisir où il veut montrer son film suivant sa stratégie de distribution ».
À Cannes, les réalisatrices représentent 0,5% dans les sélections
Si l’on crée des festivals de films de femmes, c’est parce que celles-ci ne trouvent pas suffisamment leur place dans les festivals ordinaires. Ce problème n’est pas propre au cinéma mais à toutes les catégories d’art en général, du fait que le réseau artistique demeure largement masculin.
Jackie Buet, Directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil, une des plus importantes manifestations du genre, dit à ce propos : « Tant que la société n’aura pas établi l’égalité parfaite entre hommes et femmes, je suis pour l’existence aussi variée que nombreuse des festivals dédiés aux femmes réalisatrices. Mais que ces lieux soient mixtes pour les publics évidemment. Car si nous voulons changer les mentalités, il faut le faire avec les femmes et les hommes y compris, poursuit-elle. En France, elles sont seulement 15% de réalisatrices, mais à l’étranger et dans d’autres pays d’Europe même, leur présence est inférieure à 5% ! À Cannes grande vitrine internationale du cinéma mondial, elles sont 0,5% dans les sélections, c’est donc alarmant! ».
La 66ème édition du prestigieux festival de Cannes ne comptait qu’une réalisatrice (contre dix-huit réalisateurs donc!) en compétition pour le prix suprême 2013, en la personne de Valeria Bruni-Tedeschi avec Un Château en Italie. Faut-il rappeler que jusqu'à présent, la réalisatrice Jane Campion est la seule femme à avoir remporté la Palme d’Or pour son film La leçon de piano (Nouvelle-Zélande) en 1993 ?
Djia Mambu,
Africiné, Montréal
Les films avec un* ont été aidés par le Fonds Francophone (OIF / CIRTEF).
Photo : L’universitaire américaine Beti Ellerson-Poulenc.
Crédit : DR / London Feminist Film Festival 2013