24 ans d'Université d'été de la Fémis
Depuis 1989, la prestigieuse école de cinéma française La Fémis accueille chaque été, en partenariat avec le Ministère des affaires étrangères et européennes, des réalisateurs de tout horizon. Et en particulier du continent africain. Reportage.
Paris. 18e arrondissement. Au début de la rue Francoeur, un portail. Celui des anciens studios Pathé, l'une des plus anciennes entreprises du cinéma français. À l'intérieur, une cour dallée, des balcons, des plantes et, surtout, des étudiants. Nous voici dans l'antre de l'avenir du cinéma français, dans l'école où tous les apprentis cinéastes rêvent d'étudier : la Fondation européenne des métiers de l'image et du son (Fémis).
Auparavant, la Fémis s'appelait IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques, de 1943 à 1986) et forma des réalisateurs tels qu'Alain Resnais, René Vautier, Paulin Soumanou Vieyra, Mamadi Touré, Idrissa Ouédraogo, Moufida Tlatli ou Merzak Allouache.
De la fiction au documentaire
Devenue Fémis en 1986, cette école nationale supérieure (dont le conseil d'administration est aujourd'hui présidé par le réalisateur haïtien Raoul Peck, NDLR) organise depuis 1989 une Université d'été. Et permet chaque année à des réalisateurs et techniciens internationaux de se former entre les mois de juin et juillet. Les quinze premières années, on les formait à la fiction. Depuis dix ans, au documentaire. Pourquoi ? « Premièrement, ce genre est plus proche du monde professionnel, deuxièmement, il correspond davantage à l'expérience et aux perspectives professionnelles des candidats dans le contexte de leur pays d'origine », explique la chef de projet Héléna Fantl qui s'occupe depuis quatre ans de l'Université d'été.
« Au début, tous les films documentaires que je voyais sur l'Afrique étaient faits par des Occidentaux, confie l'une des étudiantes, Delphine Yerbanga (Burkina Faso), 27 ans. Il faut qu'on arrive à faire des documentaires nous-mêmes, qu'on raconte nos mondes et qu'on filme ce qui se passe ailleurs pour le montrer chez nous ».
Formation contre Autodidaxie
« Il y a deux profil de candidats, analyse Héléna Fantl qui considère la moyenne d'âge des étudiants entre 22 et 35 ans. Ceux qui sont passés par des écoles de cinéma et les autodidactes qui viennent plutôt du journalisme et ont travaillé pour des chaînes de télévision. Les niveaux sont très disparates est cela est une richesse aussi bien qu'une source de problèmes. Par rapport au contenu, nous avons le défi de construire un programme pour tous ».
Relayé par les services culturels des Ambassades de France et les attachés audiovisuels français à l'étranger, l'appel à candidature de l'Université d'été est diffusé en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et en dehors de l'Union Européenne, auprès de candidats parlant idéalement français. « Les personnes qui viennent sont tous boursiers des Ambassades de France car la formation coûte cher, poursuit Héléna Fantl avant d'énumérer leur prise en charge. Campus France les accueille dans une résidence hôtelière à Montmartre, ils ont une bourse de vie et les billets d'avion sont généralement pris en charge ».
L'arbre qui cache la forêt ?
Attaché audiovisuel régional au sein du Service de coopération et d'action culturelle (SCAC) de l'Ambassade de France au Burkina Faso, Boris Zakowsky a reçu cette année six dossiers de candidatures dont deux ont finalement été retenus par La Fémis : « Ces demandes provenaient de réalisateurs et réalisatrices burkinabès en devenir, qui avaient déjà une expérience de la réalisation de documentaires, et un sens déjà affirmé de l'écriture de ce genre audiovisuel. La majorité de ces réalisateurs avaient notamment bénéficié d'ateliers d'écriture de la structure Africadoc[1] ».
Le mode de sélection, différent selon les pays, laisse parfois Laurent Chevallier, formateur à l'Université d'été, dubitatif : « Soit le pays envoie toutes les candidatures reçues, soit le service culturel opère une sélection. Je me demande dans quelle mesure les réalisateurs qui tournent autour des centres culturels français (actuels Instituts français, NDLR) ne cachent pas d'autres réalisateurs plus riches qui ne viennent pas de ce milieu-là ».
15 participants dont 11 Africains
La formation s'étale sur deux mois. Un mois théorique où les étudiants (ré)apprennent les bases, participent à des master classes ou suivent des projections et un mois pratique où chaque étudiant prépare, tourne et monte un film documentaire de moins de dix minutes qui sera projeté le dernier jour de la formation. « Certains viennent avec une idée très précise de leur sujet, explique le réalisateur Laurent Chevallier, tuteur pour la troisième année consécutive. D'autres ont des idées floues ou pas du tout d'idée. Comme c'est souvent leur première fois à Paris, il faut les accompagner, pour aller dans le sens de leur film et les aider à le faire ». « Les sujets abordés sont souvent ceux qu'ils voient dans la rue et qui les choquent, affirme Héléna Fantl : les SDF, les personnes âgées isolées, leurs compatriotes réfugiés ».
Confiance en soi
Renate Wembo, 26 ans, fait partie de la deuxième promotion de l'école initiée par Djo Munga à Kinshasa (RDC). Là-bas, elle était la seule femme de son groupe et se dévalorisait : «c'était difficile de s'intégrer puisqu'eux étaient plus formés ». Stimulée par l'Université d'été, Renate Wembo considère avoir « beaucoup appris par rapport à l'écriture, à la préparation, au tournage » et a repris confiance en elle. « Maintenant, je peux moi-même faire la caméra, le son, le montage et montrer mon film aux professionnels », s'exclame-t-elle avec un grand sourire, avant de rejoindre son équipe, une mixette son en bandoulière et une perche à la main.
Culture cinématographique
Saïd-Ali Saïd-Mohamed, 28 ans, est le premier Comorien à avoir été sélectionné à l'Université d'été de La Fémis. Après avoir obtenu un Master Réalisation à La Réunion, le jeune homme a créé avec des amis une agence de communication dont il gère le département production. Jusqu'ici, sa pratique cinématographique s'articulait autour de films institutionnels ou de commandes. Sa formation à La Fémis lui a donc permis de s'ouvrir davantage au cinéma documentaire. « C'est une bonne expérience dans le sens où on vient d'horizons différents. Chacun a sa vision, son approche, raconte-t-il du fond de sa salle de montage. On a rencontré des grands cinéastes, ça ne pouvait qu'élargir notre culture cinématographique. Entre l'état où je suis arrivé et celui dans lequel je vais partir, il y a une différence ».
Motivation et manque de temps
« Plus ils sont motivés, plus ils partent dans leurs repérages et passent par de grands moments d'espoir et de désespoir, sourit Laurent Chevallier. On essaie de leur apprendre qu'en documentaire, ton personnage peut te dire non. C'est une forme de séduction, apprendre à se connaître, instaurer un respect mutuel. ».
Si les formateurs estiment que leurs étudiants voient parfois des choses qu'eux « ne voient pas ou plus », les principaux défauts qu'ils relèvent restent les mêmes : l'absence de choix (« ceux que tu n'as pas fait au tournage, tu les retrouveras au montage ») et de temps (« il faut aller vite : oui/non ? On jette, on garde ? »).
Vers une ouverture internationale
Bien que courte et intensive, l'Université d'été est à la fois un glorieux visa sur le CV des réalisateurs et un lieu de rencontre idéal pour tisser des amitiés... et des projets, comme en témoigne l'Algérien Mohamed Amine Hattou, participant de l'édition 2009 : « A cette époque-là, en absence de toute structure dans ce genre, ou école de cinéma en Algérie, cette formation était une magnifique opportunité pour assouvir ma curiosité pour le cinéma documentaire. Le résultat des courses, c'est surtout la naissance de A la Recherche de Janitou, un projet de film documentaire avec mon amie (et productrice) Anusha Nandakumar, une cinéaste-productrice indienne que j'ai rencontrée, un jour d'été, à Paris ». Cette heureuse rencontre internationale vient justement de déboucher sur une sélection au Durban FilmMart 2013 qui s’est tenu en Afrique du Sud, du 18 au 28 juillet 2013. Preuve qu'en-dehors de Paris, les projets continuent d'exister.
Claire Diao / Clap Noir
www.clapnoir.org
pour Images Francophones
Liste des quinze participants de l'Université d'été 2013 :
Houssem BOKHARI (Algérie), Venkat DAMARA (Inde), May EL HOSSAMY (Égypte), Asmae EL MOUDIR (Maroc), Mohamed HADI PEYKANI (Iran), Haythem KHEMIR (Tunisie), Zohair MOOSAVI (Afghanistan), Joseph NDAYISENGA (Burundi), Mamounata NIKIEMA (Burkina Faso), Barbara PESTAN-FLORES (Chili), Saïd-Ali SAÏD-MOHAMED (Comores), Hajar SETTA (Maroc), Elena SOLOVIOVA (Russe), Renate WEMBO (RDC) et Delphine YERBANGA (Burkina Faso).
Note : Moustapha DIALLO du Mali, sélectionné, n'a pas pu participer à la formation.
Illustration : L'entrée de la Fémis.
Crédit : Claire Diao, Juillet 2013
[1] Africadoc est un programme de développement du cinéma documentaire en Afrique initié par l'association française Ardèches Images. Des résidences d'écriture de films documentaires ont régulièrement lieu dans différents pays d'Afrique comme le Sénégal (à Saint-Louis) ou le Burkina Faso (à Bobo-Dioulasso).
Auparavant, la Fémis s'appelait IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques, de 1943 à 1986) et forma des réalisateurs tels qu'Alain Resnais, René Vautier, Paulin Soumanou Vieyra, Mamadi Touré, Idrissa Ouédraogo, Moufida Tlatli ou Merzak Allouache.
De la fiction au documentaire
Devenue Fémis en 1986, cette école nationale supérieure (dont le conseil d'administration est aujourd'hui présidé par le réalisateur haïtien Raoul Peck, NDLR) organise depuis 1989 une Université d'été. Et permet chaque année à des réalisateurs et techniciens internationaux de se former entre les mois de juin et juillet. Les quinze premières années, on les formait à la fiction. Depuis dix ans, au documentaire. Pourquoi ? « Premièrement, ce genre est plus proche du monde professionnel, deuxièmement, il correspond davantage à l'expérience et aux perspectives professionnelles des candidats dans le contexte de leur pays d'origine », explique la chef de projet Héléna Fantl qui s'occupe depuis quatre ans de l'Université d'été.
« Au début, tous les films documentaires que je voyais sur l'Afrique étaient faits par des Occidentaux, confie l'une des étudiantes, Delphine Yerbanga (Burkina Faso), 27 ans. Il faut qu'on arrive à faire des documentaires nous-mêmes, qu'on raconte nos mondes et qu'on filme ce qui se passe ailleurs pour le montrer chez nous ».
Formation contre Autodidaxie
« Il y a deux profil de candidats, analyse Héléna Fantl qui considère la moyenne d'âge des étudiants entre 22 et 35 ans. Ceux qui sont passés par des écoles de cinéma et les autodidactes qui viennent plutôt du journalisme et ont travaillé pour des chaînes de télévision. Les niveaux sont très disparates est cela est une richesse aussi bien qu'une source de problèmes. Par rapport au contenu, nous avons le défi de construire un programme pour tous ».
Relayé par les services culturels des Ambassades de France et les attachés audiovisuels français à l'étranger, l'appel à candidature de l'Université d'été est diffusé en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et en dehors de l'Union Européenne, auprès de candidats parlant idéalement français. « Les personnes qui viennent sont tous boursiers des Ambassades de France car la formation coûte cher, poursuit Héléna Fantl avant d'énumérer leur prise en charge. Campus France les accueille dans une résidence hôtelière à Montmartre, ils ont une bourse de vie et les billets d'avion sont généralement pris en charge ».
L'arbre qui cache la forêt ?
Attaché audiovisuel régional au sein du Service de coopération et d'action culturelle (SCAC) de l'Ambassade de France au Burkina Faso, Boris Zakowsky a reçu cette année six dossiers de candidatures dont deux ont finalement été retenus par La Fémis : « Ces demandes provenaient de réalisateurs et réalisatrices burkinabès en devenir, qui avaient déjà une expérience de la réalisation de documentaires, et un sens déjà affirmé de l'écriture de ce genre audiovisuel. La majorité de ces réalisateurs avaient notamment bénéficié d'ateliers d'écriture de la structure Africadoc[1] ».
Le mode de sélection, différent selon les pays, laisse parfois Laurent Chevallier, formateur à l'Université d'été, dubitatif : « Soit le pays envoie toutes les candidatures reçues, soit le service culturel opère une sélection. Je me demande dans quelle mesure les réalisateurs qui tournent autour des centres culturels français (actuels Instituts français, NDLR) ne cachent pas d'autres réalisateurs plus riches qui ne viennent pas de ce milieu-là ».
15 participants dont 11 Africains
La formation s'étale sur deux mois. Un mois théorique où les étudiants (ré)apprennent les bases, participent à des master classes ou suivent des projections et un mois pratique où chaque étudiant prépare, tourne et monte un film documentaire de moins de dix minutes qui sera projeté le dernier jour de la formation. « Certains viennent avec une idée très précise de leur sujet, explique le réalisateur Laurent Chevallier, tuteur pour la troisième année consécutive. D'autres ont des idées floues ou pas du tout d'idée. Comme c'est souvent leur première fois à Paris, il faut les accompagner, pour aller dans le sens de leur film et les aider à le faire ». « Les sujets abordés sont souvent ceux qu'ils voient dans la rue et qui les choquent, affirme Héléna Fantl : les SDF, les personnes âgées isolées, leurs compatriotes réfugiés ».
Confiance en soi
Renate Wembo, 26 ans, fait partie de la deuxième promotion de l'école initiée par Djo Munga à Kinshasa (RDC). Là-bas, elle était la seule femme de son groupe et se dévalorisait : «c'était difficile de s'intégrer puisqu'eux étaient plus formés ». Stimulée par l'Université d'été, Renate Wembo considère avoir « beaucoup appris par rapport à l'écriture, à la préparation, au tournage » et a repris confiance en elle. « Maintenant, je peux moi-même faire la caméra, le son, le montage et montrer mon film aux professionnels », s'exclame-t-elle avec un grand sourire, avant de rejoindre son équipe, une mixette son en bandoulière et une perche à la main.
Culture cinématographique
Saïd-Ali Saïd-Mohamed, 28 ans, est le premier Comorien à avoir été sélectionné à l'Université d'été de La Fémis. Après avoir obtenu un Master Réalisation à La Réunion, le jeune homme a créé avec des amis une agence de communication dont il gère le département production. Jusqu'ici, sa pratique cinématographique s'articulait autour de films institutionnels ou de commandes. Sa formation à La Fémis lui a donc permis de s'ouvrir davantage au cinéma documentaire. « C'est une bonne expérience dans le sens où on vient d'horizons différents. Chacun a sa vision, son approche, raconte-t-il du fond de sa salle de montage. On a rencontré des grands cinéastes, ça ne pouvait qu'élargir notre culture cinématographique. Entre l'état où je suis arrivé et celui dans lequel je vais partir, il y a une différence ».
Motivation et manque de temps
« Plus ils sont motivés, plus ils partent dans leurs repérages et passent par de grands moments d'espoir et de désespoir, sourit Laurent Chevallier. On essaie de leur apprendre qu'en documentaire, ton personnage peut te dire non. C'est une forme de séduction, apprendre à se connaître, instaurer un respect mutuel. ».
Si les formateurs estiment que leurs étudiants voient parfois des choses qu'eux « ne voient pas ou plus », les principaux défauts qu'ils relèvent restent les mêmes : l'absence de choix (« ceux que tu n'as pas fait au tournage, tu les retrouveras au montage ») et de temps (« il faut aller vite : oui/non ? On jette, on garde ? »).
Vers une ouverture internationale
Bien que courte et intensive, l'Université d'été est à la fois un glorieux visa sur le CV des réalisateurs et un lieu de rencontre idéal pour tisser des amitiés... et des projets, comme en témoigne l'Algérien Mohamed Amine Hattou, participant de l'édition 2009 : « A cette époque-là, en absence de toute structure dans ce genre, ou école de cinéma en Algérie, cette formation était une magnifique opportunité pour assouvir ma curiosité pour le cinéma documentaire. Le résultat des courses, c'est surtout la naissance de A la Recherche de Janitou, un projet de film documentaire avec mon amie (et productrice) Anusha Nandakumar, une cinéaste-productrice indienne que j'ai rencontrée, un jour d'été, à Paris ». Cette heureuse rencontre internationale vient justement de déboucher sur une sélection au Durban FilmMart 2013 qui s’est tenu en Afrique du Sud, du 18 au 28 juillet 2013. Preuve qu'en-dehors de Paris, les projets continuent d'exister.
Claire Diao / Clap Noir
www.clapnoir.org
pour Images Francophones
Liste des quinze participants de l'Université d'été 2013 :
Houssem BOKHARI (Algérie), Venkat DAMARA (Inde), May EL HOSSAMY (Égypte), Asmae EL MOUDIR (Maroc), Mohamed HADI PEYKANI (Iran), Haythem KHEMIR (Tunisie), Zohair MOOSAVI (Afghanistan), Joseph NDAYISENGA (Burundi), Mamounata NIKIEMA (Burkina Faso), Barbara PESTAN-FLORES (Chili), Saïd-Ali SAÏD-MOHAMED (Comores), Hajar SETTA (Maroc), Elena SOLOVIOVA (Russe), Renate WEMBO (RDC) et Delphine YERBANGA (Burkina Faso).
Note : Moustapha DIALLO du Mali, sélectionné, n'a pas pu participer à la formation.
Illustration : L'entrée de la Fémis.
Crédit : Claire Diao, Juillet 2013
[1] Africadoc est un programme de développement du cinéma documentaire en Afrique initié par l'association française Ardèches Images. Des résidences d'écriture de films documentaires ont régulièrement lieu dans différents pays d'Afrique comme le Sénégal (à Saint-Louis) ou le Burkina Faso (à Bobo-Dioulasso).