13e Festival cinémas d'Afrique : une coupe transversale du continent, à Lausanne
Du 23 au 26 août 2018, en Suisse, avec hommage au regretté Idrissa Ouédraogo, carte blanche à Bejaia, Focus Soudan et le centenaire de Mandela.
Fondée par Alain Bottarelli (distributeur, Moa Distribution) et Boubacar Samb, l'Association Afrique cinémas est l'organisatrice du Festival Cinémas d'Afrique à Lausanne, en collaboration avec la Cinémathèque suisse. Cette 13ème édition Festival cinémas d'Afrique - Lausanne 2018 dessine une belle géographie du continent, avec une programmation gourmande sans être boulimique.
La manifestation cinématographique suisse estime à raison avoir pour ambition la mise en valeur de toute la diversité de la cinématographie africaine. Le pluriel y est d'ailleurs de rigueur. Ce rendez-vous helvète propose chaque année une sélection d'œuvres de cinéastes originaires de différentes régions, cultures et langues du continent. La section Panorama constitue le cœur du programme. Composée de longs et courts métrages de tous genres (fictions, animations, documentaires) produits entre 2016 et 2018, cette section offre une vision large de la production récente où les films à gros budget, célébrés internationalement, côtoient des découvertes rarement, voire jamais, présentées en Europe. Avec les autres sections (Hommage à Idrissa Ouédraogo, Carte Blanche RCB Algérie, …), dont des films Réalité virtuelle 360° (on y trouve le premier du genre en fiction avec la talentueuse Ng'endo Mukii), cela présente une sélection de 58 films en provenance de 25 pays d'Afrique (même le Nigéria, pourtant peu visible malgré ou à cause de sa production pléthorique et pas souvent de qualité cinéma).
Une Rétrospective Nelson Mandela (né il y a cent ans) et la lutte anti-apartheid est prévue. Les sept films de cette dernière seront présentés par Enver Samuel, journaliste et réalisateur d'investigation, membre du comité du National Film and Video Fondation, et du South Africa Film and Vidéos Awards en 2012 - 2013. La section Mandela renforce hélas un peu la vision héroïque communément de mise quand il s'agit du leader sud-africain. Pourtant il existe des films qui écornent sa légende (ce qui n'enlève rien à l'immense sacrifice qu'il a consenti) en récusant la logique de figures centrales (très masculines et supposées solitaires, " pères de la Nation ") et les profondes limites de sa politique, comme Sobukwe - A great soul de Mickey Dube, pour ne citer qu'un seul titre. Quant au Focus Soudan, il fait le pari de la jeune génération avec trois courts métrages soudanais récents.Parmi les invités, citons juste la réalisatrice Mouna NDiaye ainsi que son collègue burundais Eddy Munyamuneza.
Littérature et cinéma, en table ronde
Une table ronde est prévue sur le rapport Littérature et cinéma, en compagnie de Sol de Carvalho, réalisateur mozambicain connu notamment pour ses films Another Man's Garden (2007) et Impunidades Criminosas (2012). Il a adapté au cinéma la une nouvelle de l'écrivain mozambicain Mia Couto, O Dia em que Explodiu Mabata Bata (Le jour où Mabata Bata a explosé), film qu'il présente à Lausanne cette année. Les autres participants sont Baba Diop, journaliste, critique de cinéma et enseignant à l'Université Gaston Berger à Dakar, et Christine Le Quellec Cottier, Maître d'enseignement et de recherche, membre de l'Association des études africaines de l'Université de Lausanne feront également partie du panel. Max Lobe, écrivain camerounais basé en Suisse, participera aussi aux discussions. Il est l'auteur de 39, Rue de Berne, La Trinité bantoue et de Confidences, qui raconte l'histoire de l'indépendance du Cameroun et sa guerre cachée. Max Lobe est également membre du Comité d'organisation du Festival cinémas d'Afrique - Lausanne 2018, aux côtés de Randolph Arendse, Mariama Baldé, Luisa Bottarelli, Claude Durussel, Justine Duay, Manuel Ernst, Emmanuelle Mack, Gilles Richter, Carmela Schaller, Marième Touré et last but not least Francine Viret, une des programmatrices. La coordinatrice et administratrice du festival est Sam Genet.
Hommage à Idrissa Ouédraogo
Brutalement décédé en février 2018, le cinéaste et producteur Idrissa Ouédraogo se distingue dès 1981, interrogeant la mutation des valeurs de la société burkinabèe en les reliant au reste du monde. Plusieurs de ses films ont été produits par des Suisses ou soutenus par des fondations helvétiques. Il décroche de nombreux prix, dont celui de la Critique à Cannes et celui du public au FESPACO pour Yaaba (1989), le Grand Prix du Jury à Cannes 1990 et le Grand prix du FESPACO 1991avec Tilaï ; alors que Samba Traoré (1992) lui vaut l'Ours d'Argent à Berlin. Le Festival cinémas d'Afrique - Lausanne 2018 lui rend hommage en projetant ce qu'il présente comme " son film préféré ", Kini & Adams, une très grande comédie (en anglais, 1997), servie par des acteurs bien dirigés. C'est l'histoire poignante d'une amitié entre deux hommes qui partagent un rêve, celui de s'associer pour des affaires. Ne disposant pas des moyens financiers nécessaires à l'achat d'une voiture, ils décident d'en reconstituer une, pièce par pièce, grâce à du matériel récupéré. Toute la virtuosité d'Idrissa est de maintenir le suspense à savoir si l'amitié résiste à l'ambition. Il s'appuie sur la crème du cinéma sud-africain, en particulier Vusi Kunene et John Kani (ce dernier joue le vieux roi mort dans le vertigineux Black Panther. Ils donnent la réplique à David Mohlok, Nhati Moshesh, Netsayi Chingwedere.
La Carte blanche de Béjaïa (RCB, Algérie)
"Sensibles aux valeurs et à l'esprit d'indépendance des RCB, le Festival est heureux de leur offrir une carte blanche", indique le festival helvète dans son catalogue 2018, pour expliquer son choix. Organisées annuellement depuis 2003 par l'association Project'heurts, les Rencontres Cinématographiques de Béjaïa (RCB) se présentent comme la plus ancienne manifestation cinématographique internationale en Algérie. L'Algérie est l'un des 3 pays africains dont un cinéaste a remporté le Grand Prix du festival de Cannes, avec Mohamed Lakhdar-Hamina, Chronique des années de braise (Waqai' Sanawat al-Jamr), Palme d'Or 1975 et soumis comme le représentant national aux Oscars 1976 où il ne sera pas nominé finalement, après Orson Welles qui a présenté Othello sur la croisette sous pavillon marocain et suivi du Tunisien-Français Abdellatif Kéchiche pour La Vie d'Adèle, primé en 2013.
Avant les RCB en 2003, tout semble indiquer que cet immense pays de cinéma n'avait pas un festival d'envergure internationale pérenne. Créé en 1976, le festival d'Oran se limite aux films dits arabes (même si "arabo-berbères" serait l'expression la plus exacte). Depuis son avènement, il se tient de manière assez irrégulière : sa onzième édition vient d'avoir lieu (du 25 au 31 juillet 2018), précédée d'une polémique sur l'organisation ; la liste des films n'a été rendue officielle que la veille de son ouverture.
Dans Les Terrasses (2013), un des personnages (la jeune réalisatrice pleine de certitudes) du magnifique film choral de Merzak Allouache se gausse du festival oranais. Le très grand cinéaste algérien présidait le jury longs métrages qui a décerné le Wihr d'Or (le Grand prix) Longs Métrages du 11ème Festival international d'Oran du film arabe à Jusqu'à la fin des temps de Yasmine Chouikh (Algérie/Emirats Arabes Unis, 2017, Fiction, 1h33 minutes, comédie, avec Boudjemaa Djillali, Djamila Arres, Mohamed Takiret, Mohamed Benbakreti, Imem Noel, Mehdi Moulay). Dans son premier long métrage fiction, la jeune réalisatrice raconte l'histoire de Joher, une sexagénaire qui est venue à Sidi Boulekbour pour se recueillir sur la tombe de sa soeur. Déprimée, "au bout du rouleau", elle n'a qu'un but : préparer ses propres funérailles avec l'aide d'Ali, le gardien du cimetière. Elle ne se doute pas qu'elle y trouvera beaucoup plus.
C'est l'unique long métrage de la sélection de 4 films (de fiction) composant la Carte blanche des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa (RCB). Je te promets… , de Mohamed Yargui (2016, Algérie, fiction, 17 mins) est un des trois courts métrages bougiotes (les habitants de Béjaia sont appelés les Bougiotes, nous apprend Arab Chich, de Tout Sur l'Algérie - TSA). Sur les chemins sinueux qui montent vers les lieux de sa jeunesse, au long des sentiers escarpés, Alili arpente en silence le cours de ses pensées, dévoilant peu à peu l'histoire de sa soeur Baya et le lourd fardeau qu'il porte depuis son enfance… , selon le synopsis.
La Vague (Lmuja), de Omar Belkacemi (2015, Algérie, fiction, 37 mins, avec Abdenour Aoudia, Hocine Ait Hatrit, Latifa Aissat) est un cri de colère contre le diktat des institutions financières internationales, FMI en tête, et leurs vassaux compradores. Loin d'être une fiction, le film s'inspire du vécu amer de millions de familles algériennes subissant de plein fouet les assauts de la déferlante libérale, peut-on lire dans le résumé du film.
That Lovely Life ("Cette belle vie", en anglais), de Rami Aloui (2017, Maroc / Algérie, fiction, 22 mins, avec Aymen El Hankouri, Kenza Mamene Menebhi, Abdelghani Benizza) narre l'histoire d'une ville post-apocalyptique vue à travers la vie d'une famille ordinaire, Mehdi, 27 ans, son père Nadjib, 54 ans et sa mère Fadila, 53 ans. À travers une succession d'évènements impromptus, Mehdi commence à s'interroger, à réfléchir, à douter et à se révolter…
Directrice artistique du festival de Béjaia, Laila Aoudj est à Lausanne et présentera chacun des quatre films de la carte blanche. Le festival se tient du jeudi 23 au dimanche 26 août 2018. Rafiki de la Kenyane Wanuri Kahui (lire la critique de Cornélia Glélé) est le film d'ouverture, en présence de l'actrice Samantha Mugatsia.
Thierno I. Dia
Africiné Magazine, Bordeaux
pour Images Francophones
Image : L'actrice Samantha Mugatsia, dans une scène du film Rafiki de Wanuri Kahui
Crédit : DR
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