Les directeurs du cinéma parlent...
Lors d'une rencontre organisée à Cotonou, les directeurs du cinéma du Niger et du Bénin se sont confiés. Voici la deuxième et dernière partie avec des responsables du Burkina Faso (photo) et du Mali.
Burkina Faso : un retrait de l'État et des privés entreprenants
Comment se porte le cinéma burkinabè ?
Hema Djakaria, Directeur général de la Cinématographie nationale du Burkina Faso : Notre cinéma se porte assez bien. Comme vous le savez, les cinématographies africaines font face, en ce moment, à des difficultés de financement et même de distribution de films. Il s'agit pour nous de relever ces défis afin d'acquérir une production importante au Burkina Faso. Nous avons élaboré une politique d'appui au cinéma qui est axée sur la formation. Cela nous a permis de créer quelques centres de formation tels que le studio-école qu'est l'Institut supérieur de formation à l'image et au son (ISIS). Nous avons aussi créé une autre session qui fournit les cadres supérieurs et les cadres moyens. Cette session est logée à l'École nationale de l'administration et de la magistrature.
Il y a aussi des centres privés de formation que nous appuyons, comme le centre de Gaston Kaboré, Imagine, qui apporte des formations à la carte et peut permettre aux producteurs ainsi qu'aux réalisateurs de concevoir leurs projets.
En dehors de la formation, nous avons une politique de soutien à la production qui s'est construite autour d'un appui matériel et en ressources humaines aux producteurs. Nous disposons d'une ligne financière qui vient en appui aux productions cinématographiques. Nous avons aussi un programme de soutien à l'exploitation cinématographique, construit autour du renforcement des capacités des gérants des salles de cinéma. Nous avons également mis sur pied un projet de rénovation de 13 salles de cinéma qui est à ses débuts et recherche des financements. Toutes ces activités, mêlées les unes aux autres, nous permet aujourd'hui de dire que le cinéma burkinabé se porte bien.
Combien de salles de cinéma fonctionnent au Burkina Faso ?
Nous avons actuellement 12 salles de cinéma qui sont en activité et qui programment régulièrement des projections, dont huit à Ouagadougou et quatre en province. De temps en temps, il arrive aussi que certaines salles de conférences soient transformées en salles de cinéma.
Par ailleurs, nous sommes fiers sur le plan de la formation. Nous disposons d'une ressource humaine technique compétente sur toute la chaîne de production cinématographique, c'est-à-dire que nous avons des directeurs photo, des ingénieurs de son, des régisseurs, des costumiers, des maquilleuses… Nous avons tout le personnel technique nécessaire pour produire un film aujourd'hui. Cela est dû au fait que l'État a voulu que le Burkina Faso émerge un peu la tête de l'eau, parce que nous n'avons pas encore regagné les lauriers perdus après les années 90 où le cinéma burkinabé brillait. Nous sommes progressivement en train de reconquérir l'espace perdu et je suis convaincu que le Burkina Faso pourra rayonner à travers son cinéma en Afrique et dans le monde entier.
Qu'est-ce qui explique cette perte de lauriers ?
Elle est due essentiellement au retrait progressif du soutien de l'État au secteur du cinéma. Au début des années 90, l'entrée de nos États dans les programmes d'ajustement structurel a fait que la culture a été écartée du processus de développement économique de nos États. Les Africains n'ont pas voulu faire de la culture une priorité par rapport à certains secteurs de base que sont l'agriculture et la santé, considérés comme essentiels. 10 ans après, les professionnels de la culture se sont plaints et ont revendiqué que la culture soit prise en compte dans tout projet de développement. Dieu faisant bien les choses, aujourd'hui, les pouvoirs publics ont compris qu'un peuple ne peut se développer que sur la base de sa culture propre. Je suis convaincu que le chemin du développement culturel vient d'être pris et que l'émergence est pour bientôt.
Le Burkina Faso est un grand pays du cinéma. Est-ce que le cinéma arrive à s'y positionner comme un véritable acteur du développement ?
Je ne dirai pas que le cinéma arrive à se positionner comme un acteur du développement, c'est un mouvement perpétuel. Mais le cinéma contribue progressivement au développement du pays et surtout à sa visibilité. Le Burkina Faso est connu à travers son cinéma. Le Fespaco est une fenêtre ouverte sur le pays, les acteurs du cinéma s'organisent. Il y a eu beaucoup de sociétés de production qui ont été créées grâce au numérique.
Nous constatons un retour de la chose cinématographique, à telle enseigne que le public a pris goût et débourse de l'argent pour voir des films africains. Aujourd'hui à Ouagadougou, si une salle programme un film américain dans une autre salle un film africain ou burkinabé, c'est cette dernière programmation qui aura le plus de monde. Ça, c'est réconfortant. Il y a dix ans, ce n'était pas le cas.
Peut-on parler d'industrie cinématographique au Burkina Faso ?
C'est assez complexe. On ne peut pas parler d'industrie avec une cinématographie qui ne produit que trois ou quatre longs métrages par an, qui n'a qu'une dizaine de salles et une petite portion de sociétés de production qui ne comptent que sur les subventions européennes. Une industrie cinématographique suppose de grands studios de production. Cependant, un maillon de l'industrie cinématographique est en train de naître. Je suis convaincu que nous arriverons à créer une petite unité de production à l'échelle nationale.
Mali : un manque de moyens face aux nombreux projets
Comment se porte le cinéma aujourd'hui au Mali ?
Moussa Diabaté, Chef du département du registre cinématographique au Centre National de la Cinématographie du Mali (CNCM) : Le cinéma au Mali se porte comme partout en Afrique de l'Ouest, c'est-à-dire moyennement bien. Cela est dû au fait que les ressources destinées à la production cinématographique ne sont plus de taille et que les procédures d'accès au financement sont difficiles. Mais cela n'empêche pas la créativité. Il y a plein de projets qui sont déposés à nos bureaux, mais il y a un manque de fonds conséquents pour les appuyer.
Le Mali dispose d'un centre de production cinématographique public. Comment travaillez-vous avec les producteurs privés ?
Le Centre national est une institution de l'État qui rend un service à caractère public mais en même temps, qui a une autonomie de gestion. C'est-à-dire qu'il se prend en charge dans certains domaines, même s'il reste un établissement de l'Etat. A cet effet, le centre couvre tout ce qui a trait au cinéma et en est la personnalité morale. Nous appuyons les cinéastes locaux en matériels, mais aussi en ressources humaines. Il y a beaucoup de sociétés de production installées à leur propre compte qui peuvent nous approcher pour obtenir notre appui.
Combien de salles de cinéma existent au Mali ?
C'est dommage, il n'y ait qu'une seule salle au Mali, qui fonctionne à plein temps à Bamako. Toutes les autres salles ont été fermées. Mais l'espoir est permis, d'autant plus qu'il y a des salles que nous comptons réhabiliter pour en faire un élément du patrimoine malien. Notre politique est également d'encourager les acteurs privés à venir investir dans le cinéma. Dans cette optique, il y a deux salles de cinéma qui sont en cours de rénovation.
Quels sont les grands noms du cinéma malien d'aujourd'hui ?
Il y a ce qu'on appelle la vieille génération avec Souleymane Cissé, Cheick Oumar Sissoko... Il y a également la génération montante qui est là avec Salif Traoré, Sidy Diabaté, etc. Il y a aussi de jeunes gens qui sont encore à leurs premières productions et que nous suivons de très près pour voir ce qu'ils peuvent apporter au cinéma.
Combien de production en moyenne par an ?
Le Centre national de la cinématographie a produit en 2010/2011 deux longs métrages : " Toiles d'araignée " et " Da Monzon ". De même qu'une série télévisée de 52 épisodes et quatre documentaires. Il y a des productions privées aussi. Mais la production générale est encore en deçà de nos estimations, qui sont d'une vingtaine de films par an, toutes catégories confondues. Mais par faute de moyens, on se contente du peu qu'on peut produire. J'espère que cela va changer dans les jours à venir.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo (Africiné) lors d'une réunion organisée par le Cinéma Numérique Ambulant Afrique à Cotonou les 17 et 18 janvier 2012.
Photo : Monsieur Hema Djakaria, Directeur général de la Cinématographie nationale du Burkina Faso
Crédit: Stéphanie Dongmo