Le Fonds Succès Cinéma Burkina Faso
Un modèle, vers la régionalisation ?
L’avènement en août 2011 du Fonds Succès Cinéma Burkina Faso (basé sur l’octroi de bonifications substantielles aux producteurs des trois films en tête du box-office durant la période test - 1er septembre 2011-30 juin 2012) a suscité grand intérêt dans la sous région ouest africaine.
Pour répondre aux besoins d’information et au désir, à la fois des professionnels et des responsables nationaux du cinéma, d’expérimenter dans leur pays ce nouveau mécanisme financier, un atelier de travail s’est tenu à Ouagadougou (27, 28 et 29 février 2012) à l’initiative des créateurs du fonds. Il a réuni des producteurs, exploitants, réalisateurs et directeurs de cinéma du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo.
A l’entame, les échanges ont porté sur le contexte et le sens de l’initiative, les principes, mécanismes et règles de fonctionnement du Fonds. Les panélistes de l’association des producteurs burkinabès pour la gestion du fonds et leurs partenaires suisses ont explicité la nature et le statut du mécanisme qui tranche d’avec les fonds traditionnels dont les principes sont basés sur la sélection des dossiers par des commissions et des dotations annuellement octroyées par des institutions et des ministères.
L’initiative du fonds
Le Fonds Succès Cinéma Burkina Faso n’est pas né d’un projet soumis à des bailleurs de fonds du Nord. C'est plutôt une initiative commune de producteurs privés burkinabès et suisses, convaincus de la nécessité de rechercher de nouveaux mécanismes financiers structurants face à la situation de cinémas sinistrés dans tous les secteurs, principalement en Afrique de l’Ouest.
Cette initiative privée a bénéficié du soutien local du Bureau de la Coopération suisse qui l’a inscrite au titre de soutien à l’artisanat. Ce fonds ne vient pas se substituer aux autres fonds déjà existants ni les concurrencer. Sa seule ambition est d’apporter une modeste contribution à la production des films par l’octroi d’une aide automatique liée aux succès des films en salle.
Les bonifications versées aux films élus sont à réinvestir obligatoirement dans une nouvelle production par les producteurs qui les ont inscrits. Le système repose sur le partenariat sincère entre producteurs et exploitants de salle régi par des contrats clairs, des règles strictes de comptage des entrées ainsi que la traçabilité des recettes attestant le nombre des entrées.
Transparence et honnêteté
Les deux vertus essentielles nécessaires au bon fonctionnement d’un tel système sont transparence et honnêteté. L’extrême rigueur de l’article 8 de La Charte des principes du Fonds a polarisé à ce propos les débats au début de l’atelier. Nombreux étaient ceux qui plaidaient pour l’assouplissement de cette disposition dissuasive qui stipule : « si un producteur bénéficiaire du fonds contrevient à l’un des principes … le fonds est immédiatement dissout. » Les initiateurs ont finalement vaincu les peurs en justifiant l’inscription de cet article par le souci de prise de conscience dès le départ qu’on ne participe pas à un tel système avec l’idée de tricher éventuellement.
L’un des objectifs de ce mécanisme est de convaincre les partenaires des cinémas africains de la fiabilité du système, de sa capacité à stimuler la production de films dans une saine concurrence et de reconquérir les publics des salles. Gaston Kaboré dira qu’une transformation radicale des mentalités et des comportements s’impose car tout le monde est comptable dans cette maison commune. « Il faut que nous soyons forts de nos forces et non de nos faiblesses. »
Outre cet engagement personnel des postulants, des articles du règlement de fonctionnement du fonds dressent des garde-fous robustes notamment l’obligation de faire parvenir un décompte journalier et hebdomadaire des entrées, pour chaque salle agréée par le fonds exploitant un film inscrit. Une billetterie spéciale est émise par le secrétariat du fonds qui récapitule les données et les transmet au superviseur en Suisse qui, à son tour, les vérifie et fait des observations.
Toutes les données recueillies pour la période test ont été projetées sur Power Point et des exemples de films déclassés ou d’entrées litigeuses à vérifier ont démontré la rigueur du système. Certains ont déjà largement franchi le palier des 10.000 entrées, seuil d’éligibilité aux bonifications. Si la fréquentation s’accroît davantage, l’actualisation à la hausse du palier s’imposera naturellement. L’un des points du débat a porté sur le seul critère quantitatif de succès en salle, comme fondement du système.
De la quantité viendra la qualité
Ce critère quantitatif de succès en salle ne va-t-il pas entacher la qualité artistique et esthétique des films ? Cette interrogation récurrente depuis la mise en place du fonds succès cinéma s’est invitée une fois de plus aux débats. Les géniteurs du mécanisme ont, arguent-ils, placé leur initiative dans une logique économique en mettant œuvre un outil jamais encore expérimenté. Il y a lieu de faire confiance aux jugements des spectateurs car le public a le libre choix des films qu’il va voir.
Dans cette logique, le public a un œil critique et ce seront des films, à leur avis, qui – de par la proximité de leur thématique, la manière de raconter et d’autres paramètres techniques – toucheront le mieux les publics qui auront le plus de succès en salle. Certains ont donné en exemple les films produits par l’industrie vidéographique nigériane qui gagne en qualité technique et professionnalisme dans leur réalisation. Ces vidéos amateurs ont envahi tout l’espace ouest-africain, elles se vendent comme de petits pains et creusent leurs trous dans les grilles de programmes de bien de télévisions privées en manque de films africains.
Il fallait sortir du système classique de subvention et viser la rentabilisation, inventer, après plus de 50 ans, une nouvelle économie qui ne se nourrit pas de subventions seulement sans avoir la moindre obligation de remboursement et la capacité de se régénérer de lui-même par ses recettes.
Inventer une nouvelle économie du cinéma
Sortir du système classique, c’est aussi ne plus attendre longtemps les financements du Nord, parfois entre 5 à 10 ans, avant de tourner tandis que des ‘’films fast-food’’ occupent les écrans, que les salles ferment et que les vidéos-clubs prolifèrent. La profession se meurt de plus en plus sur toute la chaîne. Comment vivre aujourd’hui au quotidien des métiers de réalisateur, scénariste, distributeur et exploitant ?
Produire à faible coût et rentabiliser les films au niveau des salles encore existantes et d’autres espaces sous des formes diversifiées serait l’idéal. L’avènement du numérique en Afrique n’a certes pas causé la révolution quantitative massive rêvée, mais il aura permis néanmoins une augmentation sensible du nombre global de films produits, tous genres confondus, en particulier des documentaires et des séries télévisuelles. Trois à quatre longs métrages ont été produits annuellement au Burkina Faso, au cours de ces deux dernières années.
En grande partie, les réalisateurs de ces films et séries sont des amateurs qui se sont emparés du nouvel outil numérique longtemps boudé par les professionnels pour assouvir leur passion de cinéma. Inconnus des grands bailleurs de fonds, ils ont bricolé localement avec des budgets de production moyens nécessitant des apports en argent frais de l’ordre de 50.000 euros (32.797.850 CFA). Aussi les producteurs de films « low budget » présents – Boubakar Diallo, Charlemagne Abissi, Marie-Louise Asseu – ont livré leurs expériences aux participants.
Quand bien même ces films seraient produits à des coûts supportables grâce à des budgets localement réunis, il y a lieu de relativiser le terme « petit budget » car le sponsoring et les facilités diverses ne sont pas souvent comptabilisés. Ce qu’il faut retenir de ces films dits « low budget », c’est leur choix de sujets de proximité, les ingrédients narratifs et parfois l’utilisation d’effets spéciaux dont raffolent les spectateurs des salles populaires.
Le sens de l’initiative
Ces films drainent des foules, si bien que les salles ne désemplissent plus et que les recettes permettent à la fois aux exploitants de survivre et à ces nouveaux cinéastes d’engager de nouvelles productions avec l’appui de sponsors de plus en plus convaincus de « faire une bonne affaire » pour leur visibilité.
Pourvu qu’une bonne promotion soit faite, un film peut être vu par plus de 100.000 spectateurs en moyenne qui payent entre 100 et 1.000 Francs CFA (0,15 à 1,5 euro) dans chacune des huit salles professionnelles de Ouagadougou. Des projections spéciales et parfois par cinéma ambulant permettent aux producteurs d’engranger d’autres recettes. Il existe bel et bien un marché local pour les films locaux.
La viabilité de plus en plus avérée de ce système qui permet à des producteurs locaux, sans gros moyens comme à « Nollywood » au Nigéria, de continuer de produire, a inspiré l’initiative Fonds Succès Cinéma.
Par exemple, Boubakar Diallo est à son 8ème long métrage depuis 2004, soit en moyenne un long métrage par an. Il a démarré sur fonds propres, avec le soutien d’amis et de quelques petits sponsors. En produisant avec des budgets compris entre 25 et 40 millions pour la régie, sa société de production, Les films du dromadaire, n’a jamais perdu d’argent sur un film, affirme-t-il. Au fur et à mesure, la société s’équipe pour amoindrir les coûts des prochaines productions. Le sponsoring est la clé de voûte du montage financier des films de Boubakar Diallo. Après l’écriture du scénario, en suivant sa structure, une classification d’éventuels partenaires est établie. Le film est réalisé de manière à ne pas paraître publicitaire. La collaboration avec d’autres sociétés de production de la place permet également d’alléger les charges. Au plan de la promotion, un partenariat noué avec la Télévision Nationale permet la diffusion des bandes annonces.
Les autres producteurs entendus usent de stratagèmes à peu près semblables pour continuer de produire. Les possibilités de mobiliser des ressources locales et produire à coûts relativement bas existent. S’ils veulent vivre de leur art, les cinéastes sont dans l’obligation de se réadapter au contexte économique réel et d’adapter également leur écriture scénaristique. Leurs subsides viendront en grande partie des recettes que leurs films engrangeront. Les salles de cinéma sont plus que jamais au cœur des stratégies de renaissance du cinéma ouest-africain.
La salle de cinéma au cœur du système
Cette renaissance du cinéma ouest africain, sur son territoire d’abord, passe par la reconquête du public et la reprise de fréquentation des salles. Des statistiques fiables d’existence d’un marché potentiel seraient des preuves attestant de la capacité des films à s’autofinancer, en grande partie grâce aux recettes, avec l’appui des privés, des États et de leurs démembrements.
Les directeurs des cinématographies nationales et les exploitants présents à l’atelier ont brossé un panorama de désolation de l’état du parc des salles dans leur pays respectif. Dans certains pays, il se révèle l’existence de circuits alternatifs tels que les salles de vidéo projection, le cinéma ambulant, la télévision câblée qui pourraient éventuellement servir à l’exploitation et à la diffusion des films. Cependant les participants ont été unanimes à reconnaître que seules les salles de cinéma sont capables d’assurer la durabilité et l’efficacité d’un système basé sur le box office.
Thierry Spicher, le superviseur suisse du fonds, a situé la place de l’exploitant dans ce système qui se veut vertueux. L’exploitant, dit-il, en tant que personne se pose un ensemble de questions sur sa salle, son public, des questions économiques de rentabilité de sa salle ; l’exploitant c’est le maillon central en tant que personne ressource indispensable, plus indispensable qu’une salle. Parce qu’une salle sans exploitant ferme très vite tandis qu’un exploitant sans salle cherche une salle. Vaut mieux commencer par avoir des exploitants compétents, ça résoudra plus vite la problématique des salles.
Certains participants ont évoqué les nouvelles politiques de réhabilitation des salles dans leur pays (Niger, Côte d’Ivoire). L’espoir est permis, surtout avec l’étude menée par l’UEMOA depuis 2004 pour asseoir une politique commune en matière de cinéma et d’audiovisuel. (Voir article sur l’atelier de l'UEMOA, 1er au 4 août 2011 [cliquez ici]).
De la régionalisation du Fonds
La salle de cinéma étant au cœur du système du Fonds succès cinéma, il est évident que, contrairement au Burkina Faso, la faiblesse ou l’inexistence de salles dans de nombreux pays constitue un handicap majeur à l extension du modèle. La résolution de la problématique de la billetterie, de l’enregistrement des entrées et de leur vérification est la base de confiance sur laquelle tout le système est fondé. L’existence d’un nombre suffisant de salles est de ce fait l’une des conditions d’efficience d un système basé sur le box office.
La coopération suisse financera-t-elle l’extension du Fonds à d’autres pays ? L’initiative n’est pas venue de la coopération suisse dont le bureau local a consenti à la soutenir pour un temps déterminé. Il n’existe pas au niveau fédéral des financements déjà disposés pour la régionalisation du mécanisme.
À titre d’exemple, le Fonds succès cinéma Burkina Faso est mis en œuvre pour une période de cinq (5) ans de 2012 à 2016 avec un budget estimé entre 220.000 à 1.485.000 euros en 2012. Son financement est à rechercher auprès de sources potentielles identifiées : agences de développement, fonds culturels, entreprises privées, fondations, ONG, État, collectivités locales et régionales, entre autres.
L’expérience au Burkina Faso devrait plutôt inciter ceux qui pensent que ce modèle est à même de stimuler la production et la reprise de la fréquentation en salle à trouver les voies de son adoption dans le contexte propre de leur pays. Les acteurs dans chaque pays seront donc amenés à rechercher des partenaires financiers publics, privés ou internationaux pour les convaincre des opportunités porteuses de ce système expérimenté au Burkina Faso.
Des contrats spécifiques lieront les différentes parties et n’engageront pas le fonds étendu à plusieurs pays à faire la publicité des donateurs et des sponsors des films sur les écrans.
Cheick Oumar Sissoko (ancien ministre de la culture du Mali) et Kitia Touré (directeur de l’office national du cinéma de Cote d’Ivoire) ont apporté leur éclairage sur les possibilités de financement d’un éventuel fonds régional et d'une réhabilitation des salles de cinéma.
L’atelier s’est refermé sur la décision de recourir à l’UEMOA, institution à laquelle appartiennent tous les pays participants. Les délégations sont reparties avec la résolution de peser sur la politique nationale de leur pays en matière de cinéma et d’activer un plaidoyer efficace en direction des États et des collectivités locales en vue de la construction de salles de cinéma.
Emmanuel Sama
Africiné